On s’attendait à une levée de boucliers. A une déferlante de chroniques assassines, d’éditos indignés, d’analyses alarmistes. 54 milliards de dollars de plus pour le budget de la défense américaine, déjà et de loin le premier de la planète, cela aurait dû résonner dans l’esprit des alarmistes patentés comme un signal d’alarme. Mais non, rien. Donald Trump, cible préférée de tous les médias depuis près d’un an, se prépare à booster les dépenses militaires de son pays sur un rythme similaire à celui de George W. Bush aux pires années des campagnes d’Irak et d’Afghanistan. Pourtant nul ne proteste, nul ne s’inquiète.
The Economist se contente de commenter l’information en relativisant cette augmentation du budget de la défense américaine, rappelant qu’elle n’est même pas à la hauteur des besoins exprimés par le Pentagone
Le Monde livre un excellent article du point de vue des chiffres et de l’exposé des faits. Le quotidien rappelle qu’aux yeux de certains élus républicains cette hausse n’est pas suffisante. Mais aucune circonspection, pas la moindre réserve, de la part de son journaliste. Dans la même veine, outre-Manche, The Economist se contente de commenter l’information en relativisant cette augmentation, rappelant qu’elle n’est même pas à la hauteur des besoins exprimés par le Pentagone...
Un constat froid, clinique. C’est tout ce dont semblent capables l’écrasante majorité des médias occidentaux et notamment français. Seuls La Croix et Libération, fidèles à leur ligne éditoriale, catholique de gauche pour l’un, gauchiste bienpensante pour l’autre, relèvent l’incongruité d’une telle hausse des dépenses militaires américaines. Pourtant «leur augmentation confortera la course aux armements relancée depuis une dizaine d’années par les grandes puissances, en particulier la Chine, l’Inde et la Russie, et la militarisation des océans, de l’Atlantique à la mer de Chine méridionale. Wall Street anticipe déjà le regain d’activité des géants de l’industrie d’armement américaine avec un niveau record pour le cours des actions de Lockheed Martin, Boeing, General Dynamics et Northrop Grumman», rappelle à juste titre La Croix. Mais c’est sans importance.
La hausse du budget de la défense américaine c’est la faute des autres, a déjà prévenu un spécialistes français du Huffington Post dans les colonnes d’un autre journal
Qu’on se le dise une bonne fois pour toutes : les Etats-Unis sont le leader du camp du bien «l’Occident» - contraint de se prémunir vis-à-vis des agressions de l’axe du mal (Russes, Chinois, nord-Coréens, Iraniens, Vénézuéliens et populistes-conservateurs de tous poils…) La hausse du budget de la défense américaine à un niveau trois fois supérieur à celui de la Chine, huit fois supérieur à celui de la Russie, si elle est signalée par les médias, est donc logique. Pas de quoi effrayer le Huffington Post. Tout cela c’est la faute des autres a déjà prévenu un spécialiste français du site américain dans les colonnes d’un autre journal. «Dans le domaine des armements nucléaires, là encore il me semble que Trump veut établir un rapport de force et ne pas laisser la Russie gagner une éventuelle course aux armements. Nous sommes dans une situation qui commence à ressembler à celle de la guerre froide voulue et souhaitée par la Russie, non désirée par les Etats-Unis», estime Bruno Tertrais.
Une fois encore l’évidence d’un deux poids, deux mesures, saute aux yeux.
Vladimir Poutine modernise son arsenal nucléaire suivant des modalités annoncées de longue date et connues de tous les spécialistes : Libération reprend les propos de l’OTAN et fustige «une dangereuse démonstration de force». La Russie réduit ses dépenses de défense, au point d’investir moins dans ses armées que la France, elle-même engagée dans une très coûteuse mise à niveau de son outil de dissuasion ? Qu’importe : la politique russe est illégitime et agressive, la nôtre légitime car défensive.
Chaque puissance nucléaire a le souci de se maintenir en permanence au seuil de crédibilité requis pour maintenir l’effet de dissuasion.
Il y aurait pourtant, d’un point de vue français, bien des choses à redire sur la hausse du budget de la défense américaine, tant celui-ci est éloigné de nos critères d’appréciation en la matière.
La modernisation annoncée de la triade stratégique américaine, nouveaux SNLE, nouveaux bombardiers, ICBM modernisés est, d’un point de vue technologique, compréhensible. Chaque puissance nucléaire a le souci de se maintenir en permanence au seuil de crédibilité requis pour maintenir l’effet de dissuasion.
Mais l’effort américain est loin de correspondre à la vision française de «juste suffisance». Si les Etats-Unis n’envisagent pas pour l’heure d’accroître le nombre de leurs armes nucléaires, ils conservent - comme la Russie - un arsenal suffisant pour détruire plusieurs fois la Terre. L’idéal serait donc de le moderniser, sans doute, mais de le réduire, aussi.
Non content de réaffirmer sa volonté de maintenir le leadership américain en matière d’armement nucléaire, Donald Trump serait prêt à remettre en question le traité New Start conclu avec la Russie
Or, Donald Trump ne semble pas y aspirer. Non content de réaffirmer sa volonté de maintenir le leadership américain en matière d’armement nucléaire, il serait prêt à remettre en question le traité New Start conclu avec la Russie. Cet accord de désarmement, signé en 2010 et entré en vigueur en 2011, limite pour une durée de dix ans le nombre de têtes nucléaires opérationnelles à 1 550. En cas de retrait des Etats-Unis, ce serait la seconde fois, après le retrait américain du traité ABM en 2002, que la Maison Blanche signifierait au Kremlin qu’elle ne tient aucun compte des engagements pris par les deux pays et qu’elle peut se permettre de considérer la Russie comme une puissance négligeable que l’on peut mettre au pied du mur. Avec les conséquences en matière de respect du droit international que l’on a pu mesurer depuis…