Jacques Sapir est directeur d’Études à l’ École des Hautes Études en Sciences Sociales, dirige le Centre d'Études des Modes d'Industrialisation (CEMI-EHESS), le groupe de recherche IRSES à la FMSH

Grèce: vers le défaut?

Grèce: vers le défaut? Source: Reuters
Un homme se promène devant un drapeau grec et européen
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L’économiste Jacques Sapir s’exprime sur les conséquences d’un (très) probable défaut de la Grèce sur sa dette publique.

L’Eurogroupe serait-il en train de se faire à l’idée de la possibilité d’un défaut grec ? Des informations, en provenance de Reuters, semblent le confirmer. Une réunion d’experts qui s’est tenue à Bratislava le 11 juin aurait pour la première fois explicitement évoqué la possibilité que, faute d’un accord, la Grèce puisse faire défaut. Ces informations confirment aussi que, même si certains gouvernements ont travaillé depuis plusieurs mois sur cette hypothèse, c’est la première fois que l’Eurogroupe a abordé cette question.

Les conséquences d’un défaut

Un défaut de la part de la Grèce impliquerait non seulement la dévalorisation radicale des créances grecques détenues à titre bilatéral par différents Etats de la zone Euro ou détenues par le MES, mais aussi l’impossibilité d’user de ces titres comme collatéral dans le cadre du mécanisme d’aide d’urgence à la liquidité (ELA) mis sur pied par la Banque centrale européenne (BCE). Le défaut entraînerait la suspension immédiate de l’ELA et obligerait le gouvernement grec à user d’instruments monétaires constituant une proto-monnaie, instruments qui en quelques semaines deviendraient une monnaie alternative. Notons que, dans ce scénario le gouvernement grec est obligé de créer ces instruments et qu’il peut prétendre que c’est contraint et forcé par l’attitude de la BCE qu’il le fait. Ouvertement, le gouvernement grec pourrait continuer à prétendre qu’il entend rester au sein de la zone euro, tout en mettant sur pied le processus qui dans les faits aboutira à la recréation de la drachme. Le gouvernement grec pourrait continuer à prétendre qu’il n’a pas voulu ce défaut et cette sortie de l’euro, tout en préparant à encaisser les bénéfices de ces événements. Et ces bénéfices sont bien plus importants que ce que l’on pense et que l’on dit.

Les bénéfices d’un défaut

Les conséquences de ce défaut seraient nettement plus importantes pour les partenaires de la Grèce que pour la Grèce elle-même. Des sommes importantes sont sorties de Grèce depuis le mois de février. On estime qu’il y a aujourd’hui plus de 30 milliards d’euros qui sont sortis du pays depuis cette date et qui sont détenus par des acteurs grecs sur des comptes à l’étranger. Une fois la drachme créée, ces sommes reviendraient en Grèce, et compte tenu de la dépréciation de la drachme par rapport à l’euro, les acteurs (entreprises et ménages) qui ont fait sortir ces liquidités gagneraient en pouvoir d’achat en Grèce. On peut penser que le gouvernement grec pourrait alors établir un contrôle des changes et prélever une faible taxe (5%) sur ces retours, ce qui permettrait aux ménages et entreprises de légaliser une partie de leurs avoirs, tout en donnant au gouvernement grec des moyens financiers supplémentaires pour indemniser la partie de la population qui n’a pu faire sortir de liquidités. Ce «retour» de l’argent détenu à l’extérieur pourrait bien être l’équivalent de ce que le gouvernement grec a demandé à l’Union européenne, soit un plan d’investissement. Compte tenu de l’amélioration de la compétitivité des exportations grecques du fait de la dépréciation de la drachme, l’effet positif de ce mécanisme pourrait bien être important.

Bien entendu, la Grèce devra faire face à un choc d’inflation importé. Mais, pour une dépréciation de 30% de la drachme par rapport à l’Euro, ce choc ne devrait pas excéder 6% à 8% la première année, et certainement moins (4% à 6%) la deuxième année. Par contre, les effets positifs sur l’économie (et sur le secteur touristique en particulier) pourraient être très importants.

Le coût d’un défaut pour les partenaires de la Grèce

Les partenaires de la Grèce devront, par contre, gérer non seulement les conséquences économique d’un défaut (ce qui impliquera une nouvelle action de la BCE) mais aussi les conséquences financières et politiques qui poseront problèmes. D’un point de vue strictement financier, la réalité d’un défaut dans la zone euro lancera un mouvement spéculatif et l’on cherchera à deviner quel sera le prochain pays, qui sera le «maillon faible». D’ores et déjà, on constate que les bons du Trésor portugais, italiens et espagnols voient leurs taux monter rapidement. Mais, c’est surtout politiquement que le choc sera le plus important. Toutes les fadaises et les stupidités crasses sur «cela ne peut pas arriver» ayant été démenties se posera immédiatement le problème de l’euro. Bien entendu, les gouvernements tenteront de limiter ce choc politique. Mais, s’il y a bien une chose que nous apprend la crise financière russe d’août 1998, c’est que les conséquences politiques d’un événement dont tout le monde pensait qu’il était impossible sont dévastatrices pour l’idéologie qui a proclamée la soi-disant impossibilité de cet événement.

On assisterait alors à un retournement des représentations politiques (et économiques). C’est très exactement ce qui s’est passé en Russie en août 1998, et c’est ce qui explique la destruction des forces libérales pour la suite.

Il est certain que les responsables européens sont conscients, du moins en partie, de ce problème. Mais, on peut penser que, pris dans la logique de la négociation et de ses détails, ils ont perdu la compréhension de la nature stratégique de la situation présente. Le fait que la question d’un possible défaut grec n’ait été abordée par l’Eurogroupe que hier le démontre. On peut penser que ses responsables, à tous les niveaux, sont désormais confrontés à une situation dont les déterminants leurs échappent.

Il reste le problème du maintien de la Grèce dans l’Union européenne. On sait que les traités assimilent l’euro à l’UE, même si de nombreux pays de l’UE ne sont pas dans la zone euro. Mais, formellement, pour décider que la Grèce ne fasse plus partie de l’UE, il faudrait un vote à l’unanimité des 27 (28 - 1) pays de l’UE. Or, il est clair que certains pays, et en particulier Chypre et la Hongrie, se refuseront à voter une exclusion de la Grèce.

Les dirigeants européens feraient bien mieux de sortir de leur autisme et de commencer à réfléchir sur des mécanismes permettant une sortie ordonnée de l’euro avec le maintien des pays au sein de l’UE, voire – mais c’est sans doute trop leur demander – à réfléchir sur une dissolution de la zone euro. Un proverbe grec, celui du «songe trompeur» envoyé par Zeus (Jupiter) décrit bien la situation des dirigeants européens. Sa traduction latine est connue : 

Quos vult perdere Jupiter dementat prius

(Ceux que Jupiter veut perdre, il leur ôte d’abord la raison)

Nous en verrons bientôt une application….

 

Sourcerusseurope.hypotheses.org

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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