Alors que la Grèce se débat dans une grave crise économique et doit faire face à des échéances quant au paiement de sa dette, l'agence de notation Standard & Poor's vient d'abaisser sa note à «CCC», au lieu de «CCC+».
En mai, c'était déjà l'agence de notation Fitch qui avait abaissé la note de la Grèce à «CCC». Athènes, à court d'argent, doit pourtant rembourser près de 1,6 milliard d'euros au FMI le 30 juin. Au delà du cas grec, c'est tout le pouvoir precripteur sur les marchés financiers des agences de notation qui se pose à nouveau. Dominique Plihon, professeur d'économie financière à l'Université Paris XIII et membre des Economistes atterrés, un collectif d'économistes à contre-courant de la doctrine néo-libérale, souligne le pouvoir excessif et néfaste de ces agences. Les trois principales agences de notation, la française Fitch et les deux américaines Moody's et Standard & Poor's, aussi surnommées «les trois soeurs», semblent en effet suspendre les marchés financiers à leurs notes d'évaluation.
RT France: Qu'est-ce qu'une agence de notation?
Dominique Plihon: Une agence de notation est une entreprise qui a pour objectif principal d'évaluer la dette des entreprises mais aussi des Etats ou des collectivités publiques, telles des régions ou des villes. Ces agences évaluent ces émetteurs de dettes, qu'ils soient privés ou publics, qui empruntent sur les marchés financiers. Elles travaillent sur des critères qui leur sont propres, c'est à dire la solvabilité, la façon dont les entreprises sont dirigées, comment se porte leur secteur économique. Pour les Etats, elles vont regarder plus spécifiquement la qualité de sa signature, sa situation politique, sa capacité à lever des impôts. La note obtenue permet alors d'obtenir des taux d'intérêt plus avantageux pour emprunter sur le marché international.
RT France: Ont-elles joué un rôle dans la crise grecque?
Dominique Plihon: Elles font partie du sytème politico-financier qui cherche à asphyxier la Grèce en voulant défendre en priorité les intérêts des créanciers européens et américains. Elles sont très largement à leur service. Or dans cette crise grecque tout est fait pour défendre d'abord, les intérêts de la FMI, de la BCE, la Commission européenne, mais ne défendent pas du tout ceux du peuple grec.
RT France: Comment se rémunèrent-elles?
Dominique Plihon: La plupart du temps ces agences sont payées par les émetteurs, un Etat ou une entreprise qui souhaitent se voir noter. Ce sont alors des notations sollicitées. Mais il arrive aussi qu'il y ait des notations non sollicitées, qui seront alors demandées par les emprunteurs qui peuvent avoir des inquiétudes sur la solidité de la signature d'un emprunteur. Les notations sollicitées posent problèmes car ce sont les clients qui sont à la fois ceux qui payent et ceux qui sont notés par les agences de notation.
RT France: Quelles sont les conséquences de ces conflits d'intérêts?
Dominique Plihon: Les agences se sont lourdement trompées en notant avec avec des triple AAA, la note la plus haute donc, des pays qui allaient être en difficultés par la suite ou des entreprises qui ont fait ensuite faillite. Elles n'ont pas su anticiper les problèmes rencontrés. Cela a commencé dans les années 90 avec les pays émergents de l'Asie du Sud Est ou même d'Amérique latine, pays qui par la suite auront de graves crises financières. Soit ces agences n'avaient pas fait correctement leur travail soit elles avaient des modèles complètement inadaptés pour prendre en compte l'évolution de ces entreprises ou de ces Etats. Elles ont révélés qu'elles n'étaient pas fiables. Elles ont, au final, un pouvoir exorbitant car les banques qui prêtent aux entreprises ou aux Etats peuvent utiliser les notes des agences pour construire leur propre prévision de risque. On a donc donné à ces agences énormément de pouvoir, alors qu'elles sont loin d'être vérifiables.
RT France: Ont-elles d'autres fonctions?
Dominique Plihon: Ces agences sont des structures hybrides, à la fois cabinet de conseil et fonds d'investissement. Leur seconde fonction est donc celle de conseil financier. Le problème est que parfois elles vont conseiller des Etats ou des entreprises qu'elles vont ensuite évaluer. Il y a là évidemment un conflit d'intérêt et d'objectivité. Elles ne peuvent pas risquer de perdre un client en lui attribuant une mauvaise note. Tout cela s'est vu lors de la crise des subprimes quand Moody's ou Standard & Poor's ont mis un triple AAA a des produits financiers résultant de titrisation de produits américains notamment immobiliers alors que ceux-ci étaient très risqués et reposaient sur des créances peu solvables. Ainsi Goldman Sachs, pourtant client de Standard & Poor's, avait payé cette agence pour qu'elle note ses produits de façon positive, ce qu'elle avait fait pour ne par perdre ce client. C'est là un système vicié, très critiquable.
RT France: Certains Etats les ont accusées de servir d'outils aux Etats-Unis, pour limiter l'accès au crédit sur les marchés internationaux. Y a-t-il là un détournement politique de leur fonction?
Dominique Plihon: Les deux grandes agences de notation, Moody's et Standard & Poor's sont américaines et on peut aisément imaginer qu'il y a un lien étroit entre la politique américaine et ces agences, voire une collusion entre elles et les intérêts de l'Etat américain pour faire pression sur un Etat. C'est tout à fait possible.
RT France: Pourquoi ce système n'est-il pas réformé?
Dominique Plihon: Les gouvernements américains ou européens n'ont pas la volonté de réformer ce système de notation car ces agences ont un pouvoir de lobbyisme énorme et qu'elles bloquent toute réforme les concernant. Cela montre bien la privatisation de l'évaluation des dettes où des acteurs privés peuvent noter un Etat comme on note une entreprise. C'est inacceptable. Il y a eu en Europe une vague tentative de mettre en place des systèmes de notation publique mais cela n'a jamais abouti. Ce qui prouve encore une fois de plus le poids des ces agences qui bloquent toute réforme.
RT France: Que faudrait-il faire pour le réformer?
Dominique Plihon: Il faudrait décider de trois grandes réformes. D'abord créer des agences publiques. Ensuite interdire aux agences déjà existantes d'évaluer à la fois une entreprise et de la conseiller. Enfin il faudrait réformer le système de rémunération des agences et faire en sorte que celui qui est évalué ne soit plus le payeur. Les Etats, les entreprises pourraient payer une sorte de cotisation, nationale ou européenne, à un fonds indépendant qui rémunérerait ces agences. Ces réformes ont été proposées plusieurs fois, mais devant la puissance de ces agences rien n'a été fait. Il n'y a pas de sanction aujourd'hui contre elles. Il faudrait qu'un Etat ou une entreprise aient courage d'aller devant la Cour Européenne de Justice ou des tribunaux internationaux pour les attaquer.
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