Prudent face à la déclaration tonitruante du président turc annonçant posséder des preuves de l'aide qu'auraient apporté les Etats-Unis au groupe terroriste, Thierry Mariani analyse ce revirement dans les rapports troubles entre la Turquie et Daesh.
RT France : Recep Tayyip Erdogan a annoncé en pleine conférence de presse avoir des preuves en photos et vidéos du soutien qu'auraient apporté les Etats-Unis à Daesh. Si l'on ne sait encore rien de ces preuves, comment une telle bombe diplomatique peut-elle influencer les relations entre Washington et Ankara ?
Thierry Mariani (T. M.) : Il faut avant tout attendre de les voir. Vous savez, depuis Colin Powell expliquant à l'ONU qu'il a les preuves de l'existence des armes de destruction massive en Irak, j'ai tendance à me méfier fortement des preuves. Sans les voir, il est difficile d'imaginer leurs répercussions. Mais si, et seulement si, cela s'avère formellement vrai, ce ne serait pas une véritable découverte. Les Etats-Unis ont toujours pensé que certains terroristes étaient fréquentables. Nous avons eu un ministre des Affaires étrangères qui nous disait que le Front Al-Nosra faisait du bon boulot, pour le reprendre au mot. Tout laisse penser que les services occidentaux avec l'appui des monarchies du Golfe ont, à un moment donné, équipé, voire entraîné des groupes qui aujourd'hui se retournent contre eux. Quoiqu'il en soit, il est tout de même assez savoureux de voir cette déclaration de Recep Erdogan. Son jeu, sous la pression des attentats sur son territoire, est en train de s'éclaircir vis-a-vis des terroristes et de Daesh. Mais pendant des années, il est resté très ambigu. Il a considéré pendant longtemps que Daesh pouvait être un allié contre la Syrie et contre les Kurdes. Des combattants de l'Etat islamique ont été soignés pendant des mois et des mois dans des hôpitaux turcs. Alors avant toute chose, j'attend de voir les preuves concrètes.
On voit bien sur le terrain que petit à petit l'Occident disparaît
RT France : Quelles conséquences une telle sortie peut-elle avoir sur les conflits de la région aussi bien en Syrie qu'en Irak ?
T. M. : On voit bien sur le terrain que petit à petit l'Occident disparaît. La situation se négocie de plus en plus entre Irakiens, Syriens, Turcs, Russes et Iraniens. Mais il est trop tôt encore pour imaginer ou analyser les conséquences que cela pourra avoir pour la région. Il faut voir la nature des preuves. Sont-elles irréfutables et incontestables ? Il faut rester pour le moment très prudent. Recep Erdogan ne me paraît pas un modèle de clarté ces dernières années.
C'est une région où personne ne partage les mêmes intérêts que son voisin
RT France : Peut-on y voir les prémices de la constitution d'une alliance entre Moscou, Damas, Téhéran et Ankara dans la lutte contre le terrorisme au Moyen-Orient ?
T. M. : Ce n'est pas aussi évident. Chaque Etat défend ses intérêts. Le problème majeur pour la Turquie dans son intervention en Syrie, c'est d'éviter à tout prix la constitution d'un Etat kurde. S'ajoute à cela une rivalité historique entre Bachar el-Assad et Recep Tayyip Erdogan. C'est une région où personne ne partage les mêmes intérêts que son voisin, mais par moment il peut y avoir des combats convergents. Seulement par moment.
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