Au lendemain de la victoire de François Fillon et à deux mois de la primaire de gauche, le député PS et porte-parole de Benoît Hamon Alexis Bachelay pointe les défis à relever pour son camp et tire les leçons du scrutin de la droite et du centre.
RT France : Que représente selon vous la large victoire de François Fillon lors de la primaire de la droite et du centre?
Alexis Bachelay (A. B.) : La victoire de François Fillon est pour moi une forme de rupture avec l'histoire de la droite française depuis les lendemains de la Seconde Guerre mondiale. Malgré les alternances successives, on a toujours eu une droite en France qui revendiquait l'héritage du Conseil national de la résistance et de ses combats comme l'interventionnisme de l'Etat en matière économique, la sécurité sociale et un certain nombre d'avancées sociétales. Or, François Fillon est prêt à remettre en cause une partie de ces acquis. Aussi bien d'un point de vue économique que sur les questions sociétales où il est dans une logique de retour en arrière sur les valeurs de la famille, du droit des femmes... Alors qu'il y a une tendance depuis 40 ans dans la société française à aller dans des conceptions plus modernes et plus libérées des rapports hommes-femmes ou familiaux. De ce point de vue là, c'est une droite de rupture avec son histoire et aussi, d'une certaine manière, avec le gaullisme et son esprit de synthèse sur les questions économiques tout en préservant le système social.
Pour être en mesure de résister à ce rouleau compresseur qui s'est mis en route avec la primaire de la droite, il faudrait avoir beaucoup moins de candidats et beaucoup plus d'unité
RT France : Vous parlez de «droite de rupture», certains sondages montrent que la candidature de François Fillon pourrait fragiliser le Front national... Pourrait-il finalement être un candidat qui permettrait à la gauche de s'imposer à la présidentielle malgré le quinquennat de François Hollande?
A. B. : Si on s'en tenait aux aspects purement programmatiques, cela pourrait être vrai. Les ruptures que veut introduire François Fillon sont à mon avis très majoritairement rejetées à gauche et probablement par une partie du centre. On voit les réactions de François Bayrou ou d'Emmanuel Macron. Il y a un arc républicain qui est très inquiet de certaines remises en cause. Mais cela ne change rien au problème actuel de la gauche. Pour être en mesure de résister à ce rouleau compresseur qui s'est mis en route avec la primaire de la droite, il faudrait avoir beaucoup moins de candidats et beaucoup plus d'unité.
Or ce qui risque d'arriver, et tout le monde le sait, c'est que la multiplication de candidatures en dehors de la primaire est mortifère pour la gauche. Car la gauche pourrait avoir un score très honorable et passer le deuxième tour si elle se rassemble, mais si elle est désunie en trois ou quatre candidats, elle risque un scénario du type 21 avril 2002. Et avec un tel scénario, François Fillon aura un boulevard. La question que l'on doit se poser aujourd'hui c'est : est-ce que la gauche se résigne à être éliminée et à disparaître de l'échiquier politique national, comme ça a déjà pu nous arriver par le passé? Je ne me résigne pas mais on a l'impression d'une machine à perdre qui inexorablement produit ses effets.
RT France : Pensez-vous que le Parti socialiste pourra sortir uni de cette primaire ou risque-t-elle de provoquer l'explosion du parti tel qu'on le connaît aujourd'hui?
A. B. : C'est ce que je souhaite ! J'aimerais que cette primaire soit un moment de relance et d'un redémarrage d'une nouvelle dynamique à gauche. En tant que député socialiste, j'appelle au rassemblement de la gauche, et en tant que porte-parole de Benoît Hamon, je pense que sa candidature est celle qui permettra de redonner de l'énergie et de l'espoir après quatre années où la gauche s'est désunie, divisée et étiolée. Elle s'étiolera encore plus avec les déclarations récentes du Premier ministre, qui sont incongrues et déplacées. Aujourd'hui, chacun doit prendre ses responsabilités. Je pense que François Hollande a vocation à être candidat à la primaire, pas Manuel Valls. C'est lui qui a fait tous les choix fondamentaux du quinquennat, c'est donc à lui de rendre des comptes et de débattre avec les autres candidats de la primaire.
Il ne faut surtout pas tenir compte des sondages et des commentateurs qui parfois cherchent à décourager ceux qui ne sont pas favoris
RT France : Vous qui êtes en pleine campagne aux côtés de Benoît Hamon, quels enseignements tirez-vous de la primaire de la droite?
A. B. : On apprend de toutes les campagnes électorales qu'elles soient locales ou nationales, en France ou aux Etats-Unis. Il y a des leçons à retenir de cette primaire de la droite et du centre. la plus importante pour moi c'est que pour gagner une élection primaire, il faut incarner les valeurs de son camp et ne pas avoir peur de défendre ce qu'on croit juste et qui motive nos électeurs et soutien. On a vu que la candidature de François Fillon était une droite décomplexée, il faut donc une gauche de combat qui assume ses valeurs sans compromis.
L'autre leçon, c'est d'avoir un programme solide et de s'y tenir. Il ne faut surtout pas tenir compte des sondages et des commentateurs qui parfois cherchent à décourager ceux qui au démarrage des campagnes ne sont pas favoris. On voit bien maintenant que les sondages ne valent pas grand chose alors que les prestations des différents candidats notamment lors des débats télévisés sont déterminantes pour l'opinion. Ce sont des leçons utiles pour la campagne de Benoît Hamon, qui ne fait certes pas partie des favoris annoncés dans les sondages mais incarne des valeurs de gauche en matière d'égalité et justice sociale. Ce qui est plutôt une bonne nouvelle compte tenue des derniers grands scrutins français et étrangers.
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