La justice européenne a tranché, la vie de Vincent Lambert ne doit plus être maintenue artificiellement. Alors qu'un nouveau texte sur cette question de fin de vie doit être bientôt examiné au Sénat, cette affaire illustre les failles de la loi.
12 voix contre 5. Les juges de la Cour européenne des Droits de l'Homme (CEDH) ont pris une décision nette et tranchée. L’alimentation et l’hydratation qui maintenait de façon médicalisée la vie de Vincent Lambert, tétraplégique en état végétatif depuis sept ans, doit cesser.
Cet arrêt signe le point d'orgue d'une longue bataille judiciaire qui avait vu se diviser la famille du malade, son épouse souhaitant qu'il puisse «partir» dignement tandis que ses parents s'opposaient à ce qu'ils ont qualifié de forme d'«euthanasie déguisée». De jugement en appel et recours devant le Conseil d'Etat, l'affaire avait agité la question de la fin de vie et de la volonté des patients.
La CEDH s'est prononcée sous sa formation la plus solennelle, celle de Grande chambre. C'est dire si ce qui est devenu «l'affaire Vincent Lambert» est emblématique. C'est toute la jurisprudence sur la question de fin de vie pour les 46 Etats membres du Conseil de l'Europe qui est définie puisque c'est la première fois que la Cour se prononce sur ce sujet.
Jean-Luc Romero est président de l'Association pour le Droit de Mourir dans le Dignité (ADMD) et milite pour que chacun «puisse choisir les conditions de sa propre fin de vie». Il répond à RT France.
RT France : Comment est-on arrivé, avec cette affaire, à un tel imbroglio judiciaire?
Jean-Luc Romero : La justice a du se mêler d'une question qui aurait dû ne concerner que la famille. Il y a là une dimension humaine et une tragédie familiale terrible. Vincent Lambert, d'après ses proches, avait toujours dit que s'il se trouvait un jour dans cette situation, il ne souhaitait pas continuer à vivre. Il ne partageait pas les positions de sa mère qui est membre de la fraternité Saint-Pie X, un mouvement catholique intégriste. Il est heureux que les tribunaux successifs aient reconnu ce désir qu'il avait manifesté selon ses proches de ne pas être maintenu artificiellement en vie. On était vraiment dans son cas dans un acharnement thérapeutique et la CEDH l'a aussi reconnu par cet arrêt.
RT France : Est-ce la fin de toute procédure?
Jean-Luc Romero : Il s'agit de savoir si l'équipe médicale va appliquer cet arrêt de la CEDH car dans le cadre de la loi Leonetti qui règle les conditions de fin de vie, c'est au final l'équipe médicale qui décide. Or pour le cas de Vincent Lambert, l'équipe médicale a changé entre temps. Ses parents peuvent utiliser cette brêche pour faire un nouveau recours.
Affaire Vincent Lambert : les trois conséquences de la décision de la CEDH http://t.co/APlpUE5Wvb via @francetvinfo
— MANINDO (@MANINDO74) 5 Juin 2015
RT France : Que dit cette affaire du système légal français qui régle la fin de vie
Jean-Luc Romero : Cette affaire signe une forme d'échec. Les politiques ont fait des lois sur la fin de vie et ne sont pourtant pas capables d'organiser des campagnes de communication sur le sujet. Il y là une vraie défaillance des politiques. La loi prévoit la possibilité de «directives anticipées», dans lesquelles chacun fait connaître par écrit ce qu'il souhaite dans le cas d'une maladie ou d'un accident qui le priverait de la pleine expression de sa volonté. Or les Français ignorent pour la plupart que cette disposition existe. S'il y avait eu un document écrit de la part de Vincent Lambert, on ne serait pas arrivé à cette situation. Nous demandons depuis 10 ans qu'on informe mieux sur ces questions, en vain.
RT France : Mais comment être certain que Vincent Lambert aurait rédigé ce document?
Jean-Luc Romero : Vincent Lambert n'aurait peut-être pas fait un tel document, mais justement l'absence de ces directives aurait indiqué a contrario sa position et aurait empêché que sa famille se déchire maintenant. Autant écrire sa volonté noir sur blanc. Sinon on peut être l'otage d'un conflit familial.
RT France : Quelles sont les failles du système français?
Jean-Luc Romero : Plusieurs failles existent. Il faudrait définir un droit d'accès universel, pour tous, aux soins palliatifs. Or seuls 20% des malades qui en ont besoin en bénéficient et 70% des lits en unités de soins palliatifs sont concentrés dans 5 régions seulement.
Cela signe aussi l'échec des directions anticipées. Depuis 10 ans, on a cette possibilité de prévenir ses proches par le biais de ces directives. Pourtant comment se fait-il qu'à peine quelques dizaines de milliers des Français font la démarche, ce qui ne représente que 2,5% des mourants. Pas des Français, des mourants. Chez nos voisins, 14% des Allemands ont clairement indiqué par écrit leur position sur le sujet. Il faut savoir recueillir cette volonté et l'appliquer. Il faut une loi qui permette que les directives anticipées soient opposables aussi à l'équipe médicale, ce qui n'est pas le cas actuellement.
RT France : Qu'en est-il de la question de l'acharnement thérapeutique ou obstination thérapeutique, selon les termes utilisés par la loi?
Jean-Luc Romero : 50% des chimiothérapies sont faites dans les 15 derniers jours de la vie. Ce ne sont pas là des soins palliatifs mais une forme d'acharnement thérapeutique. On oblige des personnes qui n'en peuvent plus à se soigner alors que parfois elles arrêtent d'elles mêmes de se soigner et de se nourrir. Enfin il y a environ 1500 cas comme Vincent Lambert en France qui sont dans un état similaire. Certains veulent vivre et l'ont indiqué, mais d'autres ont dit qu'ils ne voulaient pas être maintenu en vie.
RT France : Au-delà, n'est-ce pas la question de l'enthanasie qui apparaît en filigrane?
Jean-Luc Romero : La France, par la loi de 2005, voulait justement lutter contre les dérives enthanasiques. Sauf qu'on a dans ce pays 4500 euthanasies par an. Seules 1100 en avaient fait la demande, ce qui signifie que 3400 personnes reçoivent chaque année un produit létal sans une volonté expresse. On est dans l'illégalité la plus totale. On ose parler de dérives enthanasiques en Belgique ou au Pays-Bas alors que tout y est très encadré. Si la situation était si claire, pourquoi autant d'affaires sur ce problème? Un homme de 68 ans qui a aidé sa femme malade à mourir doit comparaître cet automne devant la Cour d'Assises, on entend parler de gens qui se suicident car ils n'en peuvent plus de leur souffrance. Il faudrait qu'on entende enfin tout cela et qu'on vote une loi qui permette l'accès à tous aux soins palliatifs et qui encadre aussi l'euthanasie et le suicide assisté.
http://t.co/Hn4wtlnZRi Tant que un enfant n'est pas né ...On ne peut le considérer comme un être. #JeSuisLibreChoix#LibertéAuxFemmes
— MountTemple76 (@MountTemple76) 26 Janvier 2015
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