Martin Schulz va-t-il garder la présidence de l’europarlement ? Le suspense est insoutenable. Dans les usines du Vieux continent, dans les queues de Pôle emploi, au comptoir des bistros, la lancinante question va torturer jusqu’à décembre les «citoyens européens» : le social-démocrate allemand va-t-il s’accrocher à son poste à Strasbourg, ou bien va-t-il laisser la place à un collègue issu du Parti populaire européen (PPE, droite) ?
Car tel est le marché – en vigueur depuis de nombreuses législatures – entre les deux grandes forces qui dominent l’Assemblée de l’Union européenne : après un demi-mandat parlementaire (soit deux ans et demi), les deux irréconciliables adversaires que sont les conservateurs et les sociaux-démocrates alternent leurs responsabilités.
Un changement aussi radical de couleur politique à la tête de l’europarlement devrait bouleverser brusquement les grandes orientations de l’UE. Curieusement, nul n’a jamais remarqué qu’il en fût effectivement ainsi. C’est qu’en réalité, on n’a pas encore trouvé d’analyste politique assez subtil pour différencier les idées des uns et des autres. Il est vrai qu’ils disposent d’un socle historique commun suffisamment solide, qui pourrait être ainsi résumé : la grande aventure européenne est plus que jamais nécessaire, et doit se poursuivre quoi que les peuples en pensent.
Lors des récentes élections régionales en Allemagne, le parti de la chancelière a certes subi un désaveu cinglant ; mais la déculottée du SPD fut plus brutale encore
Cette année donc, les sociaux-démocrates ont fait connaître leur intention de piétiner le pacte qui les lie aux conservateurs afin de laisser Martin Schulz en place. Avec un argument : la droite détient déjà la présidence du Conseil européen avec le Polonais Donald Tusk, et celle de la Commission avec Jean-Claude Juncker.
Détail plaisant : ce dernier, pourtant figure historique du PPE, a fait savoir qu’il verrait d’un bon œil Martin Schulz rempiler. Et n’a pas manqué de vexer sa propre famille politique (dont les candidats sont nombreux à guigner le perchoir : le Français Alain Lamassoure, l’Italien Antonio Tajani, l’Irlandaise Mairead McGuinness…).
Messieurs Schulz et Juncker s’étaient affrontés en tant que «Spitzenkandidat» lors des élections européennes de mai 2014. Le second s’est finalement imposé. La bataille fut si sauvage… que les deux compères, de notoriété publique, s’entendent comme larrons en foire.
A ce degré presque zéro de l’affrontement politique, on ne s’étonnera donc guère que les deux mouvances soient de plus en plus boudées par les électeurs dans la plupart des pays de l’Union. Les socialistes ou sociaux-démocrates pâtissent cependant plus encore que leurs rivaux de la colère populaire, au point de se trouver dans une situation critique.
Une masse d’électeurs, notamment ouvriers, sont plus que jamais favorables à la sortie de l’UE
Lors des récentes élections régionales en Allemagne, le parti de la chancelière a certes subi un désaveu cinglant ; mais la déculottée du SPD fut plus brutale encore. En France, le président «socialiste» atteint des niveaux d’impopularité historiques, au point qu’il serait certainement éliminé dès le premier tour si un scrutin présidentiel se déroulait aujourd’hui. Ce fut du reste le cas en avril en Autriche, où le candidat proche des sociaux-démocrates n’a pas passé la barre du second tour.
En Italie, le jeune Matteo Renzi (Parti démocrate) semblait, récemment encore, la figure exemplaire d’un réformateur brillant ; en décembre, il pourrait bien perdre son référendum et devoir tenir son (imprudente) promesse de démission. Au Royaume-Uni, un dirigeant dit «à l’extrême-gauche» du Parti travailliste a été élu puis confirmé par les militants ; mais cette formation est désormais prise en tenaille entre les caciques pro-UE (qui avaient réussi à lui faire prendre position contre le Brexit) et une masse d’électeurs notamment ouvriers plus que jamais favorables à la sortie de l’UE.
En Espagne, le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) dégringole de scrutin en scrutin. Il prie désormais pour éviter de nouvelles élections en fin d’année : celles-ci le placeraient probablement en une posture bien pire encore.
En Croatie (septembre) puis en Lituanie (octobre), les sociaux-démocrates ont connu des déconvenues. Pour ne rien dire de l’Irlande où, en février dernier, les travaillistes sont sortis en loques du scrutin après leur participation gouvernementale.
Mais l’exemple le plus emblématique est probablement celui de la Grèce. En 2009, le Pasok, conduit par George Papandréou (qui a désormais quitté ce parti mais reste toujours président de l’Internationale socialiste) obtenait près de 44% des suffrages ; en janvier 2015, ce parti passait en dessous des 5% des suffrages.
Le zèle de la social-démocratie européenne vaut également en matière internationale
La nature ayant horreur du vide, le mouvement Syriza – absurdement baptisé «gauche radicale» – avait alors préempté une large part de ses électeurs… et de ses idées. Mais là où les partis socialistes ou sociaux-démocrates avaient historiquement évolué en quelques décennies avant de prendre en charge les intérêts et les orientations de l’oligarchie dominante, le parti d’Alexandre Tsipras n’a eu besoin que de quelques mois.
Il met désormais en œuvre une politique étroitement encadrée par l’UE bien plus brutale encore que le gouvernement de droite précédent (jusqu’à fin 2014). Austérité radicale sur les salaires, pensions et allocations, coupes budgétaires à peine imaginables, réforme des retraites, des impôts, et privatisations : nulle part ailleurs plus qu’à Athènes, le «sale boulot» n’a été pris en charge avec autant d’entrain que par la «gauche».
Enfin, le zèle de la social-démocratie européenne vaut également en matière internationale. Dans l’actuel dossier syrien par exemple, l’actuel maître de l’Elysée semble vouloir aujourd’hui remporter la palme de la russophobie en Europe, où la concurrence sur ce terrain est pourtant rude.
Alors, Schulz, Lamassoure, Tajani ? On n’en dort plus…
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