France

«La politique extérieure française nous ridiculise» : les politiques et le conflit Hollande-Poutine

Une «erreur», une «absurdité», un «affront à la Russie» ou encore un calcul politique ? Des députés français commentent à RT France la possibilité d'un refus de François Hollande de rencontrer son homologue russe à Paris.

Lors d'une interview à la chaîne française TMC diffusée le 10 octobre, François Hollande s'est dit hésitant quant à recevoir ou non Vladimir Poutine le 19 octobre à l'occasion du voyage du chef d'Etat russe à Paris, en évoquant «les crimes de guerre» commis à Alep, en Syrie. RT France a proposé aux hommes et femmes politiques français de commenter cette démarche en répondant aux questions suivantes :

1. La France a toujours été un pont entre l’Occident et l’Est, même à l’époque de la guerre froide. Peut-on dire que la menace d’annuler la rencontre avec Vladimir Poutine soit une démarche constructive de François Hollande ?

2. Peut-on considérer cette déclaration dans le contexte de la prochaine élection présidentielle ? Les actions de François Hollande, possible candidat à un deuxième mandat présidentiel, correspondent-elles vraiment aux intérêts de la France ?

3. Que se passe-t-il dans la politique étrangère de la France ? La semaine dernière a été annulée une visite en Pologne, cette semaine on parle de la possible annulation de la visite du président Poutine à Paris. Un peu trop de scandales sur l’arène internationale dans un délai si court, n’est-ce pas ?

Thierry Mariani, député des Républicains :

La politique étrangère française est un «copier/coller» de la politique étrangère belliciste américaine

1. Je me demande s’il y a une politique étrangère de la France. Aujourd’hui j’ai de plus en plus l’impression qu’on est une annexe du Département d’Etat américain, et la politique étrangère française est un «copier/coller» de la politique étrangère belliciste américaine. Je pense qu’on tourne le dos à toutes nos traditions, on n’a plus aucune spécificité contrairement au passé où on était effectivement dans la tradition gaullienne d'un pont entre les deux blocs. Cela fait 24 ans que je suis député. Je n’ai jamais senti autant de tensions entre les deux grandes puissances, et je pense que la politique américaine qu’on approuve et accompagne nous mène peut-être à une véritable catastrophe.

2. Je pense que dans cette attitude de François Hollande il y a aussi un calcul électoral : Hollande disant non à Poutine veut se donner de l’importance, mais je pense que Vladimir Poutine arrivera à dormir s’il ne voit pas François Hollande. Et ce n’est pas en refusant cette rencontre qu’il se met au niveau des grands ; au contraire – il se met au niveau de laquais de la politique américaine.

3. L’histoire avec la visite en Pologne annulée c’est l’illustration de l’impasse dans laquelle se trouve la politique française. On a refusé de vendre les Mistrals [à la Russie] en grande partie pour faire plaisir aux Polonais, on nous a expliqué que la solidarité européenne nécessitait ce choix. Le remerciement une fois de plus, c’est que les Polonais choisissent la solidarité américaine. La France a toujours hésité entre la Pologne et la Russie. Je crois que François Hollande vient de réaliser un exploit : c’est pour la première fois qu’il est très mal avec les deux. Au moins il a réussi quelque chose pendant son mandat !

Nicolas Dhuicq, député des Républicains :

Il y a une inculture et une absence de vision stratégique chez le chef de l’Etat français et de son gouvernement

1. Cette démarche [de François Hollande] est un affront fait à la Russie, à ce grand pays de l’Europe. Je fais partie de ceux qui plaident pour une alliance stratégique forte entre la France et la Russie, et cette position est totalement contre-productive.

2. Non, je pense que les déterminants sont beaucoup plus profonds : il y a une inculture et une absence de vision stratégique chez le chef de l’Etat français et de son gouvernement qui me semble totalement inculte et inféodé à une position atlantiste.

Ce n’est ni dans l’intérêt de la France, ni de la Russie, ni de l’Europe, ni du continent eurasiatique. L’agriculture française, qui souffre, paie un lourd tribut aux sanctions absurdes. La Russie a un problème démographique sur son Extrême-Orient par rapport à la Chine, et nous avons intérêt ensemble à développer la Sibérie. Tout cela est absolument absurde, inutile, inefficace et stupide. Je pense que c’est lié à la non-compréhension et à l’absence de culture historique par rapport à ce qui se passe en Syrie où les gouvernants oublient que si le régime de Bachar el-Assad tombait, ce serait un bain de sang avec les massacres des derniers chrétiens, des alaouites, des chiites, des israélites et des bruses en Syrie.

Quel que soit le président, le département d’Etat applique sa doctrine de Zbigniew Brzeziński

3. Les raisons sont différentes. Pour ce qui est de la Pologne, qui est censée faire partie de l’UE, elle préfère annuler des commandes d’équipements européens pour acheter des équipements américains. C’est le problème de l’actuel gouvernement polonais qui entraîne la Pologne sur une pente très pro-américaine, atlantiste, ultra-conservatrice qui à terme est contre-productive. Je pense que la Pologne est un pays qui, comme la Biélorussie, aurait intérêt à jouer la carte diplomatique centrale comme pont entre l’UE et la Russie par rapport, par exemple, au problème ukrainien. Je trouve que l’attitude polonaise est suicidaire. Là, c’est donc une mesure de rétorsion logique du chef de l’Etat : les Polonais ont annulé une commande d’hélicoptères, ils ne sont pas du tout dans la même vision par rapport à la Russie. Quel que soit le président, le Département d’Etat applique sa doctrine de Zbigniew Brzeziński. Malheureusement les dirigeants que nous avons actuellement en Europe n’ont plus de culture historique, et de vision stratégique, contrairement à leurs prédécesseurs, ils sont totalement inféodés à la politique étrangère américaine, alors que la France, par son indépendance et par sa position géographique, a intérêt à avoir un partenariat fort avec la Russie et parler d’une voix différente.

Damien Lempereur, membre du parti Debout la France

La politique de la France est trop souvent influencée par celle des Etats-Unis

1. Ce n’est bien sûr pas une démarche constructive, et à mon avis c’est une erreur, voire une faute de la part du président de la République. Il n’y a absolument aucune raison de ne pas recevoir le président russe, alors qu’on a donné la Légion d’honneur il y a quelques semaines au prince héritier de l’Arabie saoudite, cela n’a aucun sens.

2. A vrai dire, on a du mal à suivre, parce que François Hollande a quand même eu des atermoiements vis-à-vis de la Russie, alternant le froid et le chaud, je pense notamment à la surprise en revenant du Kazakhstan, le déplacement du ministre des Affaires étrangères et la conférence de presse avec Sergueï Lavrov qui n’avait pas que des aspects négatifs. A mon avis, la politique de la France est trop souvent influencée par celle des Etats-Unis. Au lieu de garder notre indépendance et suivre notre propre diplomatie, on est encore une fois en train de s’aligner, parce les Etats-Unis durcissent encore le ton, et de revenir en arrière, ce qui est dommageable.

3. Je pense que le président Hollande va recevoir Vladimir Poutine, je n’imagine pas qu’il puisse annuler la rencontre prévue. Je ne sais pas s’il faut voir une cohérence avec l’annulation du déplacement en Pologne, mais malheureusement dans l’histoire récente on a trop souvent été alignés sur des intérêts qui n’étaient pas les nôtres, avec des conséquences dramatiques, par exemple en Syrie.

Djodje Kuzmanovic, Secrétaire National du Parti de Gauche – International et Défense 

La mise en situation conflictuelle avec la Russie ne sert en rien les intérêts de la France

1. Evidemment, ce n’est pas une menace constructive, puisqu’elle nous met à nouveau en porte-à-faux avec la Russie. C’est la continuation après ce qui s’est passé en Ukraine d’une mise en situation quasiment de conflit. Il faut se demander si François Hollande, comme à l’époque lorsqu’il avait bloqué l’avion d’Evo Morales, n’agit pas sous l’ordre des Etats-Unis. 

2. Oui, éventuellement. S’il y avait quelqu’un à refuser de rencontrer, cela aurait pu être le roi de l’Arabie Saoudite, que François Hollande a décoré de la Légion d’honneur, alors que l’on sait très bien que l’Arabie Saoudite par diverses manières finance les terroristes qui frappent la France, ce qui n’est pas le cas de la Russie, et que l’Arabie Saoudite conduit une guerre extrêmement violente au Yémen. Il y a eu encore un bombardement ce week-end qui a fait plus de 150 morts, on est à des milliers de morts parmi les civils.

Et cela ne dérange pas François Hollande par rapport à la question des droits de l’Homme ou des bombardements en temps de guerre. Pour répondre à votre question : électoralement, c’est assez peu compréhensible. Parce que les sanctions entre L’Union européenne et la Russie, nuisent beaucoup, en particulier aux agriculteurs français.

Encore une fois, c'est peu compréhensible que le soutien avant direct et maintenant indirect apporté à des organisations terroristes, comme Al-Nosra qui tient Alep. La mise en situation conflictuelle avec la Russie, cela ne sert en rien les intérêts de la France. On voit les intérêts atlantistes derrière, comme la mise en conflit de l’Occident contre la Russie. Cela ne sert en rien les intérêts de la France.

3. La politique internationale française telle qu’elle est menée, nous ridiculise. Le voyage a été annulé en Pologne, parce que la Pologne n’a pas acheté finalement les 50 hélicoptères Caracal, comme cela avait été promis. [La France a bloqué] la vente des Mistral à la Russie. C’est ce qu’on appelle une politique de gribouille : c'est la mise en difficulté avec la Russie, le risque de faire capoter, à l’époque, il y a plus d’un an, un accord nucléaire iranien – c’est la France qui a failli faire capoter quelque chose qui est extrêmement important pour le monde – et actuellement [c’est ce qu’on voit] en Syrie.

Alexis Bachelay, député socialiste :

Le président de la République, en montrant le mécontentement de la France, a tout le peuple français derrière lui. Cela dépasse les clivages politiques.


1. Une démarche constructive ? Au premier abord je dirais non, pas forcément. Mais c’est peut-être le seul moyen pour le président de la République de faire comprendre à Vladimir Poutine que ce qui se passe en ce moment en Syrie, et en particulier à Alep, est intolérable. Que le peuple français ne l’accepte pas, que la communauté internationale le condamne et que, malgré l’approbation unanime, y compris aux Nations unies, la délégation russe a le loisir de bloquer une résolution avec un plan du cessez-le-feu. Que, comme pour l’Ukraine, la question de la réponse des gouvernements à l’attitude de la Russie est posée et qu'elle se pose aussi en termes de fermeté.
2. Non, je ne le crois pas. On est encore loin des élections en France et les questions internationales ne sont pas des questions qui font l’objet de beaucoup de débats électoraux. Ce sont des questions qui font l’objet de débats dans l’opinion publique. Mais, pour le coup, je pense que le peuple français condamne ce qui se passe actuellement en Syrie et donc condamne l’attitude de la Russie. Le président de la République, en montrant le mécontentement de la France, a tout le peuple français derrière lui. Cela dépasse les clivages politiques.

Valérie Boyer, députée des Républicains :

Aujourd’hui il est urgent de reprendre le dialogue avec la Russie

1. Je ne comprends même pas l’objet de cette rumeur, parce qu’il est évident que le président Hollande doit accueillir le président russe. Qu’est-ce qu’on doit faire, la guerre avec la Russie ? Pour recevoir le prince d’Arabie saoudite, François Hollande n’a pas hésité une seconde, il lui a même donné la Légion d’honneur. Je ne comprends pas comment on peut ne pas recevoir le président russe, alors qu’on ne se pose pas la question des crimes de guerre, de ce qui se passe au Yémen, par exemple, des crimes contre l’humanité et même des crimes de génocide qui se sont passés depuis quatre ans en Syrie. Ce qui se passe maintenant à Alep est d’une extrême dureté et violence. Ce qui ce passe à Alep c’est aussi le résultat de l’impuissance de la France, des Etats-Unis depuis quatre ans, de notre incapacité de comprendre comment la crise syrienne évolue et ce refus que je trouve dangereux et inefficace de dialoguer avec la Russie. Aujourd’hui il est urgent de reprendre le dialogue avec la Russie. J’avoue que je comprends très mal les Etats-Unis qui, après avoir soufflé sur les braises dans cette partie du monde, se taisent sur ce qui se passe au Yémen et réagissent sur ce qui se passe en Syrie, sans chercher de solution. C’est à la France qui a toujours agi dans ce domaine de discuter avec Vladimir Poutine, avec tous les autres. En France on est parti du postulat qu’il fallait que Bachar el-Assad s’en aille. Maintenant tout le monde convient que Bachar el-Assad ne partira pas. François Fillon est ferme sur cette question, il estime que la seule solution c’est d’appuyer toutes les forces qui sont en mesure de battre l’Etat islamique, c’est-à-dire le régime syrien, les Iraniens, les Russes, même si nous avons des raisons d’être en désaccord avec leur politique. Quand on veut battre une organisation terroriste, un régime qui s’apparente à celui des nazis, au pire régime que l’humanité ait porté, il faut s’allier avec tous ceux qui sont contre ce régime.

2. Je ne comprends pas comment François Hollande pourrait gagner des points en ne rencontrant pas le président russe, alors qu’il est allé embrasser Fidel Castro, décorer l’Arabie saoudite... C’est de la politique à la gribouille faite avec la Russie après l’humiliation des Mistral, aujourd’hui la France est totalement en dehors des négociations.

3. La Pologne et la Russie, c’est différent. Pour la Russie, c’est une constante de la diplomatie française depuis que François Hollande est au pouvoir, de s’aligner sur les positions américaines, sans chercher à comprendre quel est l’intérêt de la France et de l’Europe. Il n’y a aucune autonomie pour la France dans ce domaine. Cette résurgence de la guerre froide entre l’Europe et la Russie, je la trouve stupide. La Russie est notre amie, notre alliée. Je suis choquée de l’attitude de la France vis-à-vis de la Russie. Ce n’est pas l’intérêt de la France d’entretenir des relations diplomatiques si tendues avec la Russie et ce n’est pas l’intérêt de l’Europe non plus.