Au Maroc, après la victoire des islamistes du Parti justice et droit aux législatives, le journaliste et politologue franco-marocain Mustapha Tossa expose à RT France sa vision de la société marocaine et des progrès qui doivent être accomplis.
RT France : Que signifie cette deuxième victoire consécutive du Parti justice et développement (PJD) ?
Mustapha Tossa (M. T.) : Cette victoire signifie deux choses importantes. D'une part les électeurs marocains ne semblent pas avoir tenu compte du bilan de la gouvernance du PJD. Normalement, le parti aurait dû être rattrapé par l'usure du pouvoir, subir la révolte et la colère des Marocains socialement frustrés durant sa législature. Le peuple ne semble pas avoir tenu le PJD responsable de ce bilan.
Le taux de participation relativement faible montre que les Marocains ne se sont pas suffisamment mobilisés pour exprimer leur volonté
De plus, les scandales sexuels et moraux qui ont impliqué un certain nombre de dirigeants de ce parti, dont certains ont eu des relations sexuelles hors mariage, provoquant une vague d'indignation sur les réseaux sociaux, n'ont paradoxalement pas eu beaucoup d'incidence sur le comportement des électeurs. Ces derniers semblent leur avoir en quelque sorte pardonné leur hypocrisie. Par ailleurs, le taux de participation relativement faible montre que les Marocains ne se sont pas suffisamment mobilisés pour exprimer leur volonté.
RT France : Les résultats montrent tout de même un vote serré et un écart assez maigre entre le PJD et le Parti authenticité et modernité (PAM) qui arrive deuxième. Ce dernier va-t-il poursuivre sa lutte politique ? Quelle sera la répartition des forces politiques au Maroc et quelle incidence cela pourra avoir sur le fonctionnement du Parlement marocain ?
M. T : Le parti de Abdel-Ilah Benkiran (PJD) se trouve actuellement dans une situation très difficile et beaucoup moins confortable qu'il ne l'était en 2011 pour la simple raison que désormais, pour gouverner, il va falloir nouer des alliances avec d'autres partis. Le gouvernement sortant était composé d'alliances entre le PJD, le Rassemblement national des indépendants que dirige Salaheddine Mezouar et le Parti du Progrès de Mohamed Nabil Benabdallah qui sont respectivement des libéraux et des communistes.
La victoire du PJD a un arrière-goût d'échec marqué par la difficulté qu'il aura à former des alliances pour constituer un nouveau gouvernement
Il y avait donc une alliance pour tenir la majorité. Aujourd'hui, beaucoup de questions se posent. Qui va s'allier au PJD pour former un nouveau gouvernement sachant qu'il a besoin de l'alliance de quatre partis pour avoir une majorité absolue et donc former un gouvernement ? L'attitude du PAM est également à noter : Ilyas El Omari, son chef, a officiellement déclaré qu'il ne gouvernerait pas avec Abdel-Ilah Benkiran et ne s'allierait pas à son gouvernement. On peut donc s'interroger sur les forces politiques qui pourraient constituer la force d'appoint lui apportant la majorité nécessaire. Beaucoup de gens parlent du parti de l'Istiqlal [Parti de l'indépendance] d'Abdelhamid Chabat qui pourrait rejoindre cette majorité.
D'un autre côté, certains politologues marocains n'excluent pas l'hypothèse que les deux forces [le PJD et le PAM] puissent s'allier dans une sorte de gouvernement d'Union nationale sous la pression de l'énorme enjeu qui attend le Maroc, à savoir l'organisation de la COP 22 et les dossiers du Sahara.
En même temps, d'après les grands titres qui dominent dans la presse marocaine, cette victoire du PJD a un avant-goût d'échec, au vu de la difficulté qu'il aura à former des alliances pour constituer un nouveau gouvernement.
RT France : Quels changements peut-on attendre après ces législatives ?
M. T : Tout d'abord, la formation d'un gouvernement. C'est du «casting» de ce gouvernement que dépendra la politique qui sera menée dans le pays. Va-t-on avoir un gouvernement qui sera dominé par les conservateurs et les traditionalistes ? Dans ce cas, il y aura vraisemblablement un impact sur l'aspect sociétal du Maroc. Ou bien un gouvernement composé de forces libérales qui vont pousser la société marocaine à plus d'ouverture sur le monde pour moins de religion. Les enjeux sont énormes.
Sans parler de la politique économique à mener. Jusqu'à présent, on sait que le gouvernement Benkiran a réussi à rétablir et garantir les grands équilibres, mais il reste beaucoup de poches de pauvreté, de frustration et de besoins en terme d'éducation et de santé.
Le nouveau gouvernement sera jugé sur sa capacité à apporter de vraies solutions à ces maux sociétaux qui sont présents dans la société marocaine depuis un certain temps. Car il ne faut pas oublier que le Maroc, malgré la bonne santé économique de son appareil industriel, est un pays qui continue de produire de la pauvreté et une partie de la population vit complètement à la marge de la société. Il va falloir apporter des solutions concrètes, notamment en termes d'éducation, de logement, de santé et de travail.
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