RT : Barack Obama a récemment comparé Vladimir Poutine à Saddam Hussein et critiqué Trump pour avoir donné une interview à RT. Cela ne va sans doute pas aider votre travail diplomatique avec vos collègues américains. Essayer de gagner des points électoraux pour son candidat au détriment de la coopération avec la Russie sur la scène internationale, est-ce une stratégie valable ?
Vitali Tchourkine (V. T.) : Non, je ne pense pas. Et franchement, je ne voudrais pas exagérer cette malheureuse déclaration du président Obama. Je suis sûr qu'il est assez instruit pour savoir que ce genre de comparaison est totalement absurde. Parfois les politiciens disent des choses qu'ils regrettent plus tard, et malheureusement, au cours des derniers mois, nous avons vécu et travaillé dans un environnement où, aux Etats-Unis, ils ont pu avoir toutes sortes de déclarations sur la Russie. Je pense que nous devons continuer à nous concentrer sur les problèmes actuels, et nous espérons être en mesure de continuer à faire ainsi en dépit des quelques répercussions que certaines déclarations peuvent avoir de temps à autre.
RT: Il y a eu des propositions de supprimer la possibilité de veto au Conseil de sécurité de l'ONU, qu’en pensez vous ?
V. T. : Ce n’est pas du tout une bonne idée. On ne fait pas que lever la main, sans synchroniser notre décision avec d’autres membres du Conseil. Le veto montre que des efforts sont faits pour chercher un compromis. Ce que j’ai pu voir, étant donné que j'observe depuis longtemps le travail du Conseil de sécurité, est la base fondamentale du système international d’aujourd’hui : les Etats-Unis et leurs alliés obtiennent presque toujours neuf voix au Conseil de sécurité. Du coup, sans le veto, ils mettraient sur la table des résolutions, des projets de résolution, en obligeant le Conseil à les passer, la Russie et la Chine n’ayant aucun moyen de les bloquer, même si ces résolutions étaient absolument inacceptables. Sans le droit de veto, le Conseil de sécurité aurait perdu sa pertinence en tant qu’institution de la communauté internationale, de l’ONU, qui possède une autorité et un prestige énorme sur la scène internationale.
Si le plan est mis en œuvre, ce sera la promesse sérieuse d'une meilleure période pour la situation humanitaire en Syrie
RT : Parlons de la Syrie, qui devrait être l'objet d'une réunion de haut niveau du Conseil de sécurité ce mois-ci. C'est la deuxième fois que Sergueï Lavrov et John Kerry parviennent à un accord de cessez-le-feu. Cependant, la trêve précédente n’a pas tenu longtemps. Qu’en sera-t-il de celle-ci ?
V. T. : La dynamique de la situation semble évoluer en ce moment. Le problème avec le cessez-le-feu initial annoncé en février était le fait qu’après cette annonce le Front al-Nosra, l'une des principales organisations terroristes qui se battent en Syrie, était en mesure d'intensifier son activité, avec des milliers de combattants, des armes, etc. passant par la frontière turque. Depuis cette époque, le Front al-Nosra a subi de sérieux revers de la part des forces armées syriennes soutenues par l'armée de l'air russe. Et l'un des éléments clés du plan convenu entre Sergueï Lavrov et John Kerry à Genève, il y a quelques jours, est que nous allons tous les deux, la Russie et les Etats-Unis, intensifier la lutte contre al-Nosra, coordonner notre activité contre al-Nosra. Donc, si ce plan est mis en œuvre, ce sera la promesse sérieuse d'une meilleure période, pour parvenir à un règlement politique et à la cessation des hostilités, pour la situation humanitaire en Syrie. Espérons donc que ce plan sera mis en œuvre. Pour cette raison, ils ont convenu d’organiser un centre commun d’application ce qui implique un niveau élevé de coopération entre la Russie et les Etats-Unis.
RT : Dans son discours devant l’Assemblée générale de l’ONU le président Vladimir Poutine a appelé à créer une coalition internationale contre l’Etat islamique. Peut-on voir, en fin de compte, des signes qui laisseraient penser qu'elle est en train de se former ?
V. T. : Je pense que oui. Je crois que si les récents accords de Genève fonctionnent, on sera très proche de ce qu'a proposé le président Poutine. On n'aura certainement pas tout de suite tous les éléments de cette proposition, car nous sommes persuadés que le gouvernement syrien doit également être considéré comme partenaire dans cette lutte commune contre le terrorisme. Après tout, même si toute l’activité aérienne est effectuée par les forces russes et les Américains et leur coalition, c'est principalement le gouvernement syrien qui lutte contre les terroristes en Syrie sur le terrain. Et nous aimerions voir plus de choses se baser sur le droit international ; que la coalition dirigée par les Etats-Unis demande l’autorisation du gouvernement syrien pour mener des opérations sur le territoire syrien.
Certains des acteurs régionaux ne semblent pas être très satisfaits de l'accord signé à Genève le 9 septembre
RT : Grâce aux efforts déployés par les diplomates russes, le gouvernement syrien s'est dit d'accord pour une trêve. Moscou dispose d'un moyen de pression sur Bachar el-Assad. Mais comment les Etats-Unis pourront-ils respecter leur part du marché avec ces nombreux groupes rebelles ? Washington est-il réellement en mesure de les contrôler ?
V. T. : Ils prétendent avoir de l'influence sur beaucoup de ces groupes. Je pense que cette influence peut être limitée, car il y a d'autres acteurs régionaux qui soutiennent divers groupes d’opposition, leur fournissent des armes et de l'argent. Certains des acteurs régionaux ne semblent pas être très satisfaits de l'accord signé à Genève le 9 septembre. La situation est donc très compliquée, mais nous espérons que les Etats-Unis pourront exercer leur influence. Selon nous, l’influence des Etats-Unis est prédominante. S'ils assurent pouvoir pousser ces groupes d'opposition à faire certaines choses, nous pouvons donc supposer que les Etats-Unis ont un levier pour le faire. Bien sûr, ils les ont formés, organisés, ont entretenu toutes sortes de contacts avec eux. Nous supposons donc qu'ils vont recourir à ce levier afin que ces groupes prennent leurs distances du Front al-Nosra et respectent la cessation des hostilités.
RT : Le sommet portant sur les réfugiés se tiendra en marge de la 71e session de l’Assemblée générale de l’ONU. Des millions de gens quittent leurs pays au Moyen-Orient, en Afrique, et l'Union européenne se bat pour faire face à cette crise. A quel genre de changements radicaux peut-on s'attendre à ce sommet ?
V. T. : Cela lancera certainement un processus. Le sommet va adopter une déclaration appelant tous les Etats-membre de l'ONU à faire certaines choses, et à assumer certaines obligations, de façon individuelle ou en coopération les autres, ce qui permettra d'intensifier notre travail pour atténuer le problème des réfugiés et des migrants. Mais le but sera également de développer et préparer deux traités internationaux, deux pactes mondiaux, l'un portant sur les réfugiés et l'autre sur les migrants. Les objectifs de ces documents sont d'assurer que les réfugiés et les migrants reçoivent plus de ressources, que les gens protègent mieux leurs droits, et que nous nous attaquions plus aux racines du problème des réfugiés et des migrants. Le travail de la communauté internationale dans ce domaine va donc s’intensifier dans les deux prochaines années.
En tant que membre responsable de la communauté internationale, nous devons jouer notre rôle politique
RT : Certains de ces flux de réfugiés ont été déclenchés par des interventions militaires de pays étrangers. Les migrants qui arrivent en Europe viennent principalement d’Afghanistan, d'Irak, de Syrie. Les pays qui optent pour l'intervention ne devraient-ils pas aider à faire face aux conséquences de leurs actes ? Un pays pourrait-il porter la responsabilité d'avoir causé la crise des réfugiés ?
V. T. : Absolument ! La responsabilité se traduirait par payer plus et comprendre et admettre que c'est à eux que revient la responsabilité de ce qui se passe actuellement. Mais le système juridique et politique actuel n'est certainement pas en mesure de les amener à être traduits en justice.
RT : Est-ce qu'on peut tenir un pays responsable pour la crise des réfugiés que nous voyons aujourd'hui ?
V. T. : En effet, nous les tenons responsables, mais le fait est qu’ils ne reconnaissent pas leur responsabilité. Ils se taisent dans la plupart des cas... Par exemple, même si presque tout le monde est d'accord, aujourd'hui, pour dire que l'intervention en Irak en 2003 était une erreur, vous n'entendrez jamais un homme politique américain dire : «Nous savons qu'il s'agit de notre responsabilité, il nous faut donc nous assurer que l'Irak trouve la sortie de cette crise.» Bien sûr, ils sont là. Il essaient d'éviter l'effondrement en Irak, en Afghanistan, ils essaient de faire quelque chose en Libye. Comme le problème est là et que les peuples d’Afghanistan, d’Irak et de Libye ont déjà payé un lourd tribut, nous ne pouvons pas tout simplement regarder depuis les coulisses en disant : «Eh bien, laissons les Etats-Unis et l’OTAN résoudre ces problèmes.» En tant que membre responsable de la communauté internationale, en tant que pays pour lequel le sort des peuples irakien, afghan et libyen est un facteur important, nous devons jouer notre rôle politique et les aider de façon financière et militaire ou autre de temps à autre. Mais vous avez parfaitement raison : tout le monde a besoin de comprendre ce qui est à l'origine de ces problèmes et les pays concernés doivent assumer une part plus lourde dans ce processus, y compris financièrement.
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