Nadia Murad est une Yézidie. Son village a été ravagé par les combattants de l’Etat islamique : tous les hommes ont été tués, toutes les femmes réduites à l’esclavage sexuel. Les brutalités décrites par Nadia constituent le quotidien de Daesh et sont perpétrées en toute impunité.
Le but des militants était de détruire notre nation et notre identité
RT : Qu'est-il arrivé ce jour-là, quand ils sont arrivés dans votre ville ?
Nadia Murad (N. M.) : Avant de s’emparer de notre village, ils avaient déjà pris tous les villages yézidis à proximité. Beaucoup de Yézidis ont eu la chance de s'évader ou de se cacher dans les montagnes. Mais mon village est loin de cette zone, nous ne pouvions donc nous abriter nulle part. Les militants nous ont bloqués dans le village. Ils ont tué des milliers d'hommes et enlevé des milliers de femmes. Leur but était de détruire notre nation et notre identité.
Le dernier jour du siège, ils nous ont rassemblés dans une école à la périphérie de la ville. Nous avons compris ce qui allait alors se passer. Avant d’emmener les hommes, ils ont exigé que nous nous convertissions à l'islam. Mais personne n’a accepté. Ensuite, ils ont séparé les hommes des femmes. Ils ont pris tous les objets de valeur que nous avions sur nous. Après cela, ils ont emmené les hommes et les ont exécutés. Nous avons entendu les coups de feu. Nous avons vu comment ils les ont tués, un par un, à l'extérieur de l'école.
Nous avons toutes été emmenées dans un autre district où ils nous ont divisées en groupes : les jeunes femmes, les enfants, les femmes mariées et les femmes âgées. Puis ils ont amené chaque groupe dans une région différente.
Ils séparaient même les sœurs. Il n'y a pas une seule fille qui n'ait pas été violée
RT : Savez-vous si votre famille est en vie ou pas ?
N. M. : Nous ne savons pas exactement ce qui est arrivé à tous les Yézidis capturés par Daesh. Je sais seulement ce qui est arrivé aux femmes et aux filles qui ont fini esclaves comme moi. Je sais à quoi elles font face et ce qu'elles vivent en ce moment ...
RT : Qu'est-il arrivé ensuite ? Où vous ont-ils emmenée ?
N. M. : Nous sommes restés à Mossoul pendant plusieurs jours, avant d’être distribuées parmi les combattants de Daesh. Ils venaient et enlevaient les filles. Ils séparaient même les sœurs. Il n'y a pas une seule fille qui n'ait pas été violée. Les filles ont été vendues ou loués à des militants entre la Syrie et l'Irak.
RT : Le terroriste qui vous a prise voulait vous convertir à l'islam. N’aviez-vous pas peur d’être tuée ?
N. M. : J’étais prête à mourir. J’ai moi-même demandé au terroriste de me tuer. Il y avait des centaines de filles qui avec moi, et elles voulaient toutes être tuées. Nous avions déjà vu des hommes et des femmes être tués, nos frères Yézidis, nos pères et nos mères. Chaque heure, chaque minute, j'espérais qu'ils allaient nous tuer aussi. Mais ils ne tuaient pas les filles, ils voulaient que nous soyons des esclaves sexuelles.
Ils ne nous ont pris que pour nous violer et nous vendre ou louer par la suite
RT : Ce terroriste vous a-t-il utilisée seulement en tant qu’esclave sexuelle ?
N. M. : Non, ils ne nous ont pas pris pour nous faire travailler ou les servir. Ils nous ont seulement fait servir du thé ou de l'eau quand les militants venaient à leur siège, afin qu'ils puissent jeter un œil sur nous. Ils ne nous ont pris que pour nous violer et nous vendre ou louer par la suite. Il y avait même des cas où un homme prenait une fille puis la passait à son frère le même jour. Les militants ne tenaient jamais les filles plus de deux semaines. Nous ne sommes jamais restées au même endroit plus d'un mois. Ils continuaient à nous revendre.
RT : Tous ces militants ont-ils des familles ?
N. M. : Oui, beaucoup de militants ont des familles. Celui qui m’a capturée ne m'a pas amenée à sa famille. Mais certains des militants prenait des filles au sein de leurs familles pour une journée ou deux. Mais les familles n’aidaient pas les filles, les traitaient de la même façon que les militants.
Leurs femmes savaient que les combattants nous avaient emmenées en tant qu’esclaves sexuelles, elles ne nous considéraient pas comme leur égales. Elles étaient même contentes. Elles n’y voyaient même pas d’adultère, parce que les militants faisaient tout au nom de l'Etat islamique.
Si une fille était capturée en train de s’évader, elle ne s’y risquait pas une seconde fois
RT : Vous avez essayé de vous échapper, mais vous avez été capturée. Peuvent-ils tuer une fille si elle essaye de s’enfuir ?
N. M. : Ils ne tuaient pas les filles pour tentative d’évasion. Après m’avoir rattrapée, ils m’ont amenée à leur siège, m’ont battue et de nombreux combattants de Daesh m’ont violé à tour de rôle. Ils faisait cela à toutes celles qui essayaient de s'échapper. Certaines de ces filles étaient très jeunes, beaucoup d'entre elles étaient vierges. Beaucoup de filles yézidies se sont suicidées après avoir été violées comme ça. Si [une fille] était capturée en train de s’évader, elle ne s’y risquait pas une seconde fois.
J'ai eu de la chance, j’ai réussi à m’échapper une fois de plus. Cette fois-ci je l’ai fait seule. J’ai couru vers une maison et la famille qui y vivait m'a cachée des militants. Une famille musulmane de Mossoul m'a cachée et m'a aidée à quitter la zone contrôlée par Daesh.
Il y a des marchés, de grandes salles en Syrie, où des milliers de filles sont négociées
RT : Vous avez été vendue et transférée à plusieurs reprises…
N. M. : Les tribunaux islamiques fonctionnent comme des marchés. Certains militants viennent à un tribunal pour regarder les photos des filles. Certains viennent également au siège pour choisir une fille. J’ai été à un tel endroit. Si je plaisais à quelqu'un, il me prenait.
Il y a des marchés, de grandes salles en Syrie, où des milliers de filles sont négociées. Les militants y vont pour acheter des filles. La première fois j’étais avec 60 autres [filles] : on nous gardait dans deux chambres différentes. Les militants venaient nous acheter comme si nous étions des marchandises.
RT : Où êtes-vous allée après votre fuite ? Comment êtes-vous arrivée en Europe ?
N. M. : La famille qui m'avait sauvée m'a aidée à rejoindre la frontière avec le Kurdistan, près de Kirkouk. Donc, j’y suis arrivée et, ensuite, j’ai passé un certain temps dans des camps au Kurdistan.
J'ai une mission importante et un grand travail à faire
Plus tard, les autorités allemandes ont décidé d'inviter un millier de femmes yézidies qui s’était échappées de Daesh pour [bénéficier d’un] traitement [médical]. J'étais parmi ces femmes. Alors je suis allée en Allemagne. L'Allemagne nous a traité mieux que les autres pays. Ils nous ont accueillies, nous ont fourni un traitement, nous ont aidé à obtenir un statut juridique et nous ont offert un toit.
RT : Vous avez été nominée pour le prix Nobel. Qu'est-ce que cela signifie pour vous, après tout ce que vous avez vécu ?
N. M. : J'ai une mission importante et un grand travail à faire. C’est plus important que n’importe quel prix. Mon peuple, un demi-million de Yézidis, a été chassé de ses terres. Des milliers ont été tués. Plus de 20 fosses communes ont été trouvées près de Sinjar.
Je dois arrêter le génocide en cours contre les Yézidis
Aucune institution ne nous a jamais aidées à libérer nos filles. Aucune organisation ni pays n'a jamais envoyé qui que ce soit à Sinjar pour voir nos tombes. La terre de Sinjar est couverte des cadavres de nos fils et nos filles. Nous ne pouvons pas enterrer nos morts. Peut-être le monde pourrait-il m’aider à faire cela ?
Oui, j'ai été nominée au prix Nobel. Mais ce prix devrait être attribué à l'ensemble de mon peuple, à toutes les minorités et groupes ethniques, à chaque femme et enfant souffrant de la torture et de mauvais traitements. Ce n’est qu’à ce moment-là que ce prix peut être un prix sacré, respecté par le monde entier. Mais j’ai quelque chose de plus grand que cela. Une plus grande tâche m’attend. Les miens font face à un génocide. Je dois arrêter le génocide en cours contre les Yézidis.