Entre insurrections nordistes et sudistes, la désintégration menace le Nigeria, Etat mastodonte de 932 000 kilomètres carrés, peuplé par plus de 180 millions d’habitants divisés ethniquement et religieusement.D’autant plus qu’un deuxième front vient de s’ouvrir dans le pays. Après Boko Haram (Boko Haram, expression haoussa qui signifie «rejet de l’Occident» a un nom officiel qui est arabe : Jama’afu Ahlis Sunna Lidda’awati wal-Juhad, ce qui signifie Groupe de propagation des enseignements du Prophète par le Jihad. Ce mouvement a été fondé en 2002 à Maiduguri, (la principale ville de l’Etat de Bornou) dans le nord, c’est en effet au sud du pays, que les Vengeurs du Delta du Niger (Delta Niger Avengers DNA), viennent en effet de déclencher une guérilla. Résultat : la production de pétrole du Nigeria est tombée de 2,2 millions de barils/jour à 1,6 million. Une saignée insupportable pour une économie rentière déjà plombée par l’effondrement des cours du brut.
C'est dans ce contexte d'inversion nord-sud que Boko Haram fut instrumentalisé par des politiciens nordistes afin d'empêcher le président Goodluck de gouverner
L’élection présidentielle du 14 février 2015 a vu la défaite de Goodluck Jonathan, président sortant, sudiste chrétien face au général Muhammadu Buhari, nordiste, Peul (Fulani) et musulman. Avec ce dernier, la caste militaire nordiste est donc de retour au pouvoir et la brève parenthèse ouverte en 2010 avec le sudiste chrétien Jonathan Goodluck est donc bien fermée.
Or, le général Muhammadu Buhari est détesté par les populations du sud-est du Nigeria. Au mois de juillet 1966, il participa en effet au contre-coup d'Etat du général Murtala Mohammed qui renversa et tua le général chrétien sudiste Johnson Ironsi, prélude des pogromes devant aboutir à la sécession du Biafra. Au mois de décembre 1983, un coup d’Etat militaire le porta ensuite au pouvoir. Impliqué dans de colossales affaires de fraudes et de trafics divers, son pouvoir dictatorial devenu caricatural fut dénoncé par le prix Nobel Wole Soyinka. Au mois d'août 1985, le général Muhammadu Buhari fut renversé par le général Ibrahim Babangida issu d'un autre clan militaire nordiste.
Les élections du mois de février 1999 permirent l’accession au pouvoir du général Olesungu Obasanjo, un Yoruba, donc un sudiste, mais qui était le candidat des militaires nordistes. En 2007, le président Obasanjo eut pour successeur Umaru Musa Yar’Adua, un musulman nordiste d’ethnie Haoussa. Ce dernier mourut en 2010, soit un an avant la fin de son mandat ; son vice président, Goodluck Jonathan, un chrétien sudiste lui succéda alors comme le veut la Constitution.
Un an plus tard, Goodluck Jonathan se présenta aux élections présidentielles de 2011 et il fut élu à l’issue d’un scrutin clairement ethno régional, le sud chrétien ayant voté pour lui alors que le nord musulman s’était prononcé massivement pour le général Muhammadu Buhari.
L’échec électoral de Goodluck Jonathan, originaire de la région, est-il la cause de ce soulèvement sudiste ? La question mérite d’être posée
C'est dans ce contexte d'inversion nord-sud que Boko Haram fut instrumentalisé par des politiciens nordistes afin d'empêcher le président Goodluck de gouverner. L'attitude des autorités musulmanes nordistes changea quand elles comprirent que l’expansion de Boko Haram allait empêcher des millions d’électeurs nordistes musulmans de se rendre aux urnes lors des élections de 2015, ce qui allait donc provoquer la victoire du président Goodluck Jonathan.
Le scrutin de 2015 qui, comme nous l’avons dit, vit la victoire du général Muhammadu Buhari, fut également ethno-régional. C’est ainsi que dans dix Etats de la Fédération, dont les neuf qui composèrent le Biafra sécessionniste entre 1967 et 1970, le président sortant, Goodluck Jonathan a obtenu plus de 90% des voix. Au mois de novembre 2011, lors des obsèques du colonel Ojukwu, le chef des sécessionnistes biafrais, le président Jonathan Goodluck fit l’éloge du défunt en lui rendant un hommage plus qu’appuyé. Les Ibo (+/- 18% de la population du Nigeria), très majoritairement chrétiens et qui vivent dans le sud du Nigeria, ont en effet massivement voté pour lui, ainsi que les nombreuses petites ethnies locales.
C’est dans cette région que les Vengeurs du Delta du Niger mènent depuis plusieurs semaines des actions violentes contre les infrastructures pétrolières du Nigeria, notamment contre les puits de Chevron. Ces attaques coordonnées visent tous les sites pétroliers, qu’ils soient contrôlés par des compagnies étrangères ou par la NNPC, la compagnie nationale nigériane. Or, la région détient la quasi-totalité des productions de gaz et de pétrole. Ces attaques multiples ont eu pour résultat que Chevron et Shell ont évacué leurs techniciens et ont même arrêté leur production sur plusieurs sites.
Quoiqu’il en soit, le Nigeria doit faire face à deux guerres, l’une au nord, l’autre au sud
Apparu au mois de février 2016, le DNA n’est semble-t-il pas dans la lignée de l’ancienne rébellion du MEND (Mouvement pour l’émancipation du Delta du Niger) qui, dans les années 2000, demandait une plus juste répartition des richesses pétrolières. Après l’amnistie de 2009, 30 000 combattants profitèrent du versement d’un pécule mensuel et d’emplois garantis. A la différence du MEND, le DNA ne revendique pas un meilleur partage régional des richesses pétrolières du sud, mais l’indépendance de la région en liaison avec l’IPOB (Indigenous People of Biafra), le mouvement qui s’inscrit clairement dans la ligne de l’ancien séparatisme biafrais.
L’échec électoral de Goodluck Jonathan, originaire de la région, est-il la cause de ce soulèvement sudiste ? La question mérite d’être posée. Quoiqu’il en soit, le Nigéria doit faire face à deux guerres, l’une au nord, l’autre au sud. Cependant, agissant dans les régions pauvres de l’extrême nord, Boko Haram ne menace pas les intérêts vitaux du pays. Le DNA oui.
La question qui se pose est donc simple :
- Soit le DNA n’est qu’une refondation de l’ancien MEND dont les membres ont vu leur pécule rogné, et dans ce cas, ses militants seront achetés comme le furent auparavant ceux du MEND et le mouvement n’aura pas de conséquences majeures.
- Soit il s’agit d’un véritable mouvement indépendantiste ancré sur le refus du pouvoir militaire nordiste et musulman et dans ce cas, l’unité du Nigeria serait menacée. D’autant plus que cette ancienne région sécessionniste du Biafra possède une ouverture maritime, des terres fertiles et contrôle les puits de pétrole.