RT France : Quel est le but du sommet de l’OTAN à Varsovie ?
Florent Parmentier (F. P.) : Le sommet de l’OTAN du 8 au 9 juillet va avoir, comme à chaque fois, plusieurs buts. Il y a un but interne à l’OTAN, celui de la réforme de l’alliance. Il y a un but qui concerne le Moyen-Orient : la lutte contre l’Etat islamique d’une part, le soutien à la Turquie d’autre part. Ensuite on voit que ce n’est pas tout à fait un hasard si le sommet se tient à Varsovie et s’il fait suite à l’opération Anaconda, qui a montré les capacités de défense de l’OTAN. L’OTAN a cette histoire si particulière qui est qu’entre 1949 et 1991 c’était une alliance militaire préparant un conflit qui n’a finalement jamais eu lieu. A partir de 1991 c’est une alliance militaire qui est devenu active en Europe, en Bosnie, au Kosovo et en Macédoine, en Asie en ce qui concerne l’Afghanistan avec une efficacité relative d’ailleurs, et en Afrique avec la Libye. Derrière cela, derrière l’alliance militaire, se trouve également la question de la manière dont l’ensemble des pays de l’OTAN vont faire cohésion par rapport à ce que certains pays appellent assez expressément la menace russe.
Il y aura beaucoup plus d’attaques contre la Russie qui viendront de l’Etat islamique que de l’OTAN
RT France : Le ministre polonais de la Défense évoque la menace russe, déclarant que si l’OTAN ne déployait pas de forces militaires dans les pays baltes, ces pays seraient absorbés par la Russie. Cette menace est-elle réelle ?
F. P. : Je pense qu’il y a deux niveaux de lecture pour ce type de déclaration. Il y a un niveau de discours oratoire, c’est-à-dire que c’est un moyen pour le pouvoir polonais de faire cohésion autour de la politique nationale. On a une présence plus importante de l’OTAN en Pologne et dans les pays baltes. On parle de 4000 soldats supplémentaires sur place, pour autant il faut bien faire la part des choses entre des troupes supplémentaires mais qui sont d’un nombre relativement limité par rapport à un coût, le coût d’un conflit dont finalement aucune des deux parties ne veut. C’est le paradoxe : est-ce que l’OTAN est plutôt là pour imposer un rapport de forces pour dire «attention, il ne faut pas y toucher», rapport de force qui permet à chacun d’être relativement détendu ou est-elle un facteur de crise supplémentaire dans une région qui ne connaît pas de crise ? C’est là toute l’ambigüité du positionnement de l’OTAN, c’est ce dont il sera question au sommet de Varsovie.
La campagne de Donald Trump a ciblé un certain nombre d’adversaires mais n’a absolument pas ciblé la Russie
RT France : La Russie voit d’un mauvais œil l’élargissement de l’OTAN vers l’Est. Cela conduit inévitablement au renforcement du contingent russe pour répondre à la menace de l’OTAN et vice versa. A quoi sert cette course à l’armement ?
F. P. : On peut effectivement se demander quel est le résultat espéré, sachant que, si de part et d’autre on renforce la présence militaire - en tout cas l’armement de la région - on part plutôt vers l’escalade de la tension, on n’ira pas vers plus de sécurité pour chacune des deux parties mais plutôt vers plus de danger. Là, c’est la responsabilité du secrétaire général de l’OTAN. Il doit savoir à la fois rassurer les Etats qui ont des craintes pour leur sécurité plus ou moins légitimes et discuter du danger que l’OTAN peut susciter elle-même par une présence qui n’a pas de vocation offensive vis-à-vis de la Russie mais qui peut être perçue comme une alliance hostile. Là aussi il y a deux niveaux. Il y a la perception de l’OTAN et les problèmes de sécurité réels tels qu’ils se posent en Russie. Il est vraisemblable qu’il y aura beaucoup plus d’attaques contre la Russie qui viendront de l’Etat islamique que de l’OTAN.
Le Brexit est une forme de volonté des Britanniques de s’extraire de toute forme de coalition internationale et en même temps de l’OTAN
RT France : Pensez-vous que cette phase de tension entre la Russie et l’OTAN est surmontable ?
F. P. : Je pense qu’on arrivera à un moment à un point d’équilibre. C’est peut-être juste avant de trouver un point d’équilibre qu’on arrivera à des tensions importantes, avant de se stabiliser et d’essayer de repartir sur des bases de confiance de part et d’autre. Il y a un autre facteur, qui concerne les élections présidentielles américaines. Il est vraisemblable que la favorite, Hillary Clinton, soit plutôt dans une sorte de statu quo dans les relations entre l’OTAN et la Russie. On ne sait pas encore, pour le moment, si Donald Trump se différencie de cette position parce qu’il faut se différencier d’Hillary Clinton mais pense continuer la même politique, ou s’il mènera véritablement une autre politique qui consisterait à dire que les vrais enjeux de sécurité, pour les Etats-Unis, ne concernent pas au premier chef l’Europe. Ce sera là un débat que les Américains auront. Dans un contexte américain où la Russie est souvent l’objet d’une marque d’attention particulière - et plutôt hostile d'ailleurs - des sénateurs américains, Trump est finalement plutôt à contre courant sur ce point-là. La campagne de Donald Trump a ciblé un certain nombre de pays, d’adversaires, mais n’a absolument pas ciblé ni la Russie, ni la présidence de Vladimir Poutine. C’est un point intéressant, y compris pour l’avenir de l’alliance atlantique.
Il faut attendre beaucoup plus d’une élection de Donald Trump que du Brexit pour voir un changement profond de l’OTAN
RT France : Le Brexit va-t-il ébranler l’unité de l’OTAN ?
F. P. : On peut estimer que le Brexit est une forme de volonté des Britanniques de s’extraire de toute forme de coalition internationale en tout cas d’une organisation internationale, d’un regroupement comme l’Union européenne, et en même temps de l’OTAN. Mais il faut bien voir que les propos de campagne n’étaient pas ceux-là. On pourrait tout à fait avoir une Grande-Bretagne qui se dirait moteur d’une alliance atlantique au détriment de l’UE. Partant de là, il pourrait y avoir un débat en Europe entre les personnes qui suivraient plutôt une logique européenne et des personnes qui suivraient plutôt une logique atlantique. On verra la mobilisation des deux. Le Brexit c’est précisément la capacité de ce vote à rebattre un certain nombre de cartes au sein de l’Union européenne, en Grande-Bretagne-même et je pense que ce sera une des questions qui seront posées sur les alliances stratégiques. Vraisemblablement, il faut attendre beaucoup plus d’une élection de Donald Trump pour voir un changement plus profond de l’OTAN que ce que le Brexit pourrait apporter dans cette dynamique.