Le vote surprenant des Britanniques pour le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne a jeté un pavé dans la mare et Washington craint que le Brexit puisse faire capoter sa politique anti-russe.
70 ans de domination transatlantique américaine sont sur la sellette
Cette politique tacite est la base de l’ordre international établi après la Seconde Guerre mondiale et dans lequel Washington – grâce à son acolyte britannique de confiance – a pu exercer son hégémonie sur l’Europe. Près de 70 ans de domination transatlantique américaine sont sur la sellette.
La visite imprévue et précipitée du Secrétaire d’Etat américain John Kerry à Bruxelles puis à Londres lundi 27 juin est un signe qui ne trompe pas : la décision historique des électeurs britanniques de quitter l’Union européenne – après 43 ans d’adhésion au bloc – inquiète Washington.
«Kerry presse la Grande-Bretagne et l’Union européenne de régler leur divorce de manière responsable», a commenté la chaîne américaine ABC sur le détour du diplomate en Europe. La chaîne a continué en déclarant avec un soupçon de courtoisie que les inquiétudes de Kerry «concernaient les biens des marchés mondiaux et des citoyens».
La Grande-Bretagne, l'«allié le plus proche» de Washington aura moins d’influence pour défendre les intérêts américains dans l’UE
En réalité, la perplexité de Washington est spécifique et égocentrique. La perte de l’influence britannique dans l’Union européenne aura un impact sur la politique d’isolation de la Russie que mène Washington. L’objectif américain qui consiste à isoler la Russie remonte à bien plus loin que le conflit ukrainien de ces deux dernières années. On peut bien sûr retracer la politique anti-russe à la période qui a immédiatement suivi la Seconde Guerre mondiale, une politique alors partagée par l’establishment britannique, comme l’a exprimé Winston Churchill dans son fameux discours de 1946 sur «le rideau de fer», marquant le début de la Guerre froide contre l’ancien allié soviétique de l’Occident.
L’ancien ambassadeur américain en Russie, Michael McFaul, a fourni une explication complète de ces inquiétudes dans une opinion publiée dans le Washington Post ce weekend et le titre est «Comment le Brexit profite à Poutine».
La Grande-Bretagne a soutenu avec ferveur les sanctions et le militarisme de l’OTAN
Le ton trahit la panique. McFaul fait allusion à l’influence économique et politique croissante de la Russie avec la Chine et l’intégration eurasienne : «L’Europe s’affaiblit pendant que la Russie, ses alliés et ses organisations multilatérales se consolident et comptent même de nouveaux membres. Poutine n’a bien sûr pas provoqué le vote du Brexit, mais lui et sa politique étrangère vont en tirer un énorme avantage.»
L’ancien envoyé américain, qui a également servi comme conseiller en sécurité nationale au sein de l’administration d’Obama, se plaint du fait que la Grande-Bretagne en tant qu’«allié le plus proche» de Washington aura moins d’influence pour défendre les intérêts américains dans l’Union européenne».
En ce qui concerne la Russie, cela signifie que les sanctions économiques de l’Union européenne contre Moscou et le renforcement des forces militaires de l’OTAN sont remis en question. Les deux initiatives viennent de Washington, et la Grande-Bretagne a soutenu avec ferveur les sanctions et le militarisme de l’OTAN. Maintenant que Londres n’a plus de vote à Bruxelles, la politique hostile que mènent les Etats-Unis contre la Russie est affaiblie.
L’UE est un projet politique pensé par la CIA et piloté par la Grande-Bretagne
Avec le retrait de la Grande-Bretagne de l’Union européenne, Washington se retrouve face à un dilemme géopolitique. «Avec le Brexit, la ligne directe de Washington avec le continent s’effiloche» ont annoncé les gros titres du New York Times. Le journal rapporte que «maintenant que la Grande-Bretagne a décidé de divorcer de l’Union européenne, les représentants américains ont du mal à revoir leur stratégie et admettent que le défi le plus urgent va être de remplacer leur partenaire le plus fiable et le plus complaisant dans les couloirs des capitales européennes. Cela ne sera pas chose facile. Quand la Grande-Bretagne a rejoint la communauté économique européenne en 1973, cela faisait partie d’une politique menée par Washington. Avec sa «relation spéciale», comme l’a dit Churchill, la Grande-Bretagne garantirait la primauté des intérêts géopolitiques de Washington sur ceux des Européens, en particuliers ceux des Allemands et des Français car ces deux nations ont toujours été suspectées d’avoir un penchant pour le socialisme et le rapprochement avec la Russie. On peut penser que l’UE est un projet politique pensé par la CIA et piloté par la Grande-Bretagne.
La Grande-Bretagne apporterait alors une forte perspective otanienne à l’émergente UE. Depuis sa création en 1949, l’objectif non officiel de l’alliance militaire dirigée par les Etats-Unis a été, selon son premier secrétaire général le lord britannique Ismay, de «garder les Américains en Europe, les Allemands sous contrôle et les Russes à distance». La présence de la Grande-Bretagne dans l’UE, en tant que deuxième plus grande économie après l’Allemagne, garantissait que cette idéologie anti-américaine garde son influence de manière permanente, même 25 après la fin supposée de la Guerre froide.
On distingue à peine la différence entre le bloc des 28 membres de l’UE de l’alliance militaire des 28 membres de l’OTAN
Aujourd’hui, en termes de politiques pro-américaines adoptées, en particulier celle contre la Russie, on distingue à peine la différence entre le bloc des 28 membres de l’UE de l’alliance militaire des 28 membres de l’OTAN. Le renouvellement des sanctions économiques européennes contre Moscou n’a fait que porter un gros coup aux nations européennes. C’est voué à l’échec et basé sur le peu de preuves - qui plus est absurdes – d’une «agression russe». Néanmoins, cette politique reste en place en grande partie à cause de l’«OTANisation» de l’UE par Washington et la Grande-Bretagne.
C’est pourquoi la perte de la Grande-Bretagne en UE est si déconcertante pour Washington et ses partisans atlantistes à Londres. Le secrétaire britannique des Affaires étrangères Philip Hammond s’est beaucoup exprimé depuis le référendum et a prévenu que le Kremlin serait content de ce résultat. Moscou, à l’inverse de Washington, s’est abstenu de tout commentaire sur le référendum en déclarant que ce-dernier ne concernait que la Grande-Bretagne. Le président russe Vladimir Poutine a rejeté les commentaires de politiciens britanniques et américains qui ont conclu que «la réjouissance du Kremlin» face au Brexit démontrait «une culture politique pauvre».
Cette diatribe antirusse et sournoise illustre parfaitement les intentions malignes de Washington et de Londres depuis des dizaines d’années, qui sont de maintenir l’Europe et la Russie à distance l’une de l’autre.
Washington recherche son nouveau substitut à l’intérieur de l’UE pour servir ses ambitions hégémoniques
En tant que puissance hégémonique mondiale, Washington a beaucoup à perdre si l’Europe et la Russie se rapprochent l’une de l’autre sur le plan politique, économique et en termes de sécurité mutuelle. Les Etats-Unis et son allié transatlantique britannique - très proche en capital financier mondial – doivent faire tout ce qui est en leur pouvoir pour s’assurer que l’Europe et la Russie ne deviennent pas des partenaires naturels.
Avec la Grande-Bretagne redevenue la «Petite Angleterre» comme le disent les médias américains, Washington recherche son nouveau substitut à l’intérieur de l’UE pour servir ses ambitions hégémoniques. L’Allemagne figure en haut de la liste des remplaçants potentiels de la Grande-Bretagne. La France est considérée comme peu fiable et la Pologne et les pays baltiques sont des poids légers selon les critères de Washington.
Cependant, le Brexit a lancé une révolte publique anti-UE à travers toute l’Europe. Une partie de cette antipathie vient de la politique oligarchique, de l’oppression financière et du militarisme de l’OTAN que les gens associent à l’influence de Washington sur l’Europe.
Il y a désormais de bonnes chances que l’Europe soit plus libre de développer des relations normales et harmonieuses avec la Russie
Washington ne trouvera pas facilement et automatiquement de remplaçant à son substitut britannique dans l’UE. Aucun Etat européen ne pourra jamais remplacer la Grande-Bretagne, le servant le plus loyal et le plus fervent des intérêts américains.
La Russie a le droit d’être soulagée, ou même de se réjouir, du résultat du Brexit. Et pas seulement la Russie, mais aussi beaucoup d’autres pays, qui attendent depuis longtemps des relations internationales plus paisibles, libres de l’influence de Washington et des machinations de l’OTAN incitant à la guerre.
L’influence décroissante de la Grande-Bretagne sur les politiques européennes signifie que celle de Washington est aussi réduite.
Rien ne peut être tenu pour acquis, mais il y a désormais de bonnes chances que l’Europe soit plus libre de développer des relations normales et harmonieuses avec la Russie.
Il se pourrait bien que la réconciliation de l’Allemagne et de la Russie qui fut une source d’immenses espoirs dans les années 1960, 1970 et 1980 durant sa «Ostpolitik», reprenne sa trajectoire.
Evidemment que Washington panique.