Les dirigeants européens ont refusé d'écouter les demandes raisonnables de David Cameron pour une réforme de l'Union européenne, et, aujourd'hui, continuent de nier leur responsabilité dans le Brexit, estime l'historien britannique John Laughland.
Selon Le Figaro du samedi 25 juin, le vote en faveur du Brexit était «un séisme en Europe». Mais le vrai séisme, visible, a lieu au Royaume-Uni la démission du premier ministre, David Cameron, les tractations pour l’élection de son successeur, le débat sur les élections législatives anticipées, et une rébellion de très grande ampleur contre le leader du parti travailliste, Jeremy Corbyn, de la part de 150 députés travaillistes et la quasi-totalité de son gouvernement fantôme. Dans l'un cas comme l'autre, c'est le principe de la responsabilité politique qui provoque ces remous: Cameron prend ses responsabilités et s'en va, les députés travaillistes demandent à Jeremy Corbyn de prendre les siennes. Ce sont les réflexes naturels d'une démocratie qui fonctionne.
Aucun dirigeant européen n'a même évoqué l'idée de quitter son poste en reconnaissance de sa responsabilité dans cette crise
En Europe, rien de tel. Personne ne bouge, sauf pour prendre un énième avion pour assister à une énième réunion entre hommes en costume. Aucun dirigeant européen n'a même évoqué l'idée de quitter son poste en reconnaissance de sa responsabilité dans cette crise. Mais c'est bien eux qui l'ont provoquée. Dans cette affaire du Brexit, les dirigeants européens ont fait preuve non seulement de leur arrogance habituelle mais surtout de stupidité. Si les dirigeants européens n'avaient pas balayé du revers de la main les demandes raisonnables de David Cameron pour une réforme de l'UE, ils auraient pu sauver leur construction européenne chérie. Au lieu de reconnaître les dysfonctionnements du système européen, ils ont préféré humilier Cameron en le renvoyant à la maison les mains vides pour se faire ridiculiser par les Britanniques. Maintenant ils reçoivent la facture de leur mesquinerie et de leur incompétence.
Le seul homme politique en Europe à réclamer une prise de responsabilité de la part d'un dirigeant européen est le ministre tchèque des affaires étrangères, qui a demandé la démission de Jean-Claude Juncker qu'il considère le principal responsable de cette bérézina. Mais si vous n'étiez pas au courant des déclarations de Lubomir Zaoralek, c'est parce que, si elles ont été très largement commentées par les médias anglais (The Telegraph, The Independent, The Express, The Financial Times …), elles ont été totalement occultées par les médias français. Elles n'ont été relatées en langue française que par votre site favori, RT France.
Les dirigeants européens s'acharnent à continuer comme si rien n'était
Il est bien évident que Jean-Claude Juncker n’a aucune intention d'abandonner son poste lucratif ou d'admettre une quelconque faute. Loin de prendre leurs responsabilités, les dirigeants européens, de marbre, s'acharnent à continuer comme si rien n'était. François Hollande a reçu à l'Elysée les dirigeants politiques français pour leur dire que rien ne changera. On se demande si ces gens ont tout simplement arrêté de penser. Les Républicains par exemple, demandent à la fois «une Europe fondée sur les nations» et aussi «une coordination beaucoup plus forte des politiques économiques, budgétaires et fiscales» c'est-à-dire la fin de l'indépendance nationale en matière économique. Ces gens n’ont visiblement jamais entendu parler du principe de non-contradiction.
Pour les architectes de ce désastre, la réponse est de demander... plus d'Europe pour les pays qui restent. L'adjectif «pervers» vient à l'esprit. Dans un communiqué commun (publié en langue anglaise!) les ministres français et allemand des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault et Franz-Walter Steinmeier, plaident pour un renforcement de l'UE dans les domaines de la sécurité et de l'économie. Concrètement, ils veulent des impôts européens, mais ils le disent dans un langage si opaque qu'il n'a rien à envier à la langue de bois des politiciens si magnifiquement caricaturée par le comédien britannique Peter Sellers en 1958 et si bien décortiquée par George Orwell dans son magnifique essai «La politique et la langue anglaise».
Les autres pays européens qui vont continuer à pâtir sous cette dictature de type soviétique tant qu'ils ne suivront pas le modèle britannique
Le contraste entre les conséquences politiques spectaculaires au Royaume-Uni, et la continuité brejnévienne des personnes et des politiques sur le continent, montre la différence entre un pays où le système politique et les sentiments démocratiques sont vivants, et une Union européenne où ils sont morts. Voilà la raison pour laquelle les cultures politiques du Royaume-Uni et de l'Union européenne sont tout simplement incompatibles. J'éprouve un immense chagrin pour les autres pays européens qui vont continuer à pâtir sous cette dictature de type soviétique tant qu'ils ne suivront pas le modèle britannique (et suisse et norvégien).
Mais, tôt ou tard, la réalité rattrapera ceux qui essaient de la fuir. En particulier, la France est très affaiblie par le Brexit. Pendant les quarante premières années des structures européennes, de 1950 à 1992, la France jouissait d'une certaine prééminence en Europe. C'est elle qui a annoncé la création de la Communauté européenne du charbon et de l'acier en 1950, et c'est elle qui, avec le général de Gaulle, a façonné la nouvelle CEE à son image à partir de 1958. Tout cela a essuyé un grand revers avec la réunification de l'Allemagne. La réponse française à cette augmentation brutale du poids de l'Allemagne en Europe était de créer l'euro. Or, nous voyons maintenant que l'euro n'a absolument pas eu l'effet escompté: il n'a en rien dilué la puissance allemande, il l'a au contraire augmentée. Depuis plus de dix ans, c'est l'Allemagne qui décide de tout en Europe. La «ligne Maginot» de l'euro s'est montrée moins efficace que la ligne Maginot.
La pression va donc augmenter pour un Frexit
Pour contrebalancer l'hégémonie allemande, la France s'est tournée vers le Royaume-Uni pour créer une Identité européenne de défense et de sécurité. L'attaque franco-britannique contre la Libye en 2011 devait montrer la capacité des puissances européennes à se projeter au-delà de leurs frontières. Or, cette politique de l'équilibre des puissances au sein de l'UE est aujourd'hui en ruines - tout comme la Libye d'ailleurs - et c'est la France qui en est la grande perdante. Voilà la raison pour laquelle les Allemands n'ont pas hésité à faire signer le communiqué commun avec Paris sur le nécessité de renforcer l'intégration économique et fiscale de la zone euro: c'est la stratégie allemande de créer un gouvernement économique de la zone euro et de consolider ainsi le contrôle allemand sur les finances du continent tout entier. Il est bien évident qu’un renforcement du gouvernement économique de la zone euro se fera selon les exigences de Berlin et de Francfort et non pas selon celles de Paris ou de Rome.
La France est, avec l'Autriche, le pays européen avec le plus grand parti contestataire, le Front national. La pression va donc augmenter à l'extérieur de l'establishment politique pour un Frexit. Mais celle-ci pourrait éventuellement aussi venir de l'intérieur des élites françaises, si elles commencent à se rendre compte de l'ampleur de leur erreur collective. En 1999, le commissaire européen français, Yves-Thibault de Silguy, avait employé un métaphore très maladroit pour dire que l'euro était irréversible: la monnaie unique serait «une autoroute sans sortie». Or une autoroute sans sortie ne peut aboutir qu'à une chose - un accident de voiture spectaculaire - et c'est ce qui est en train de se passer.
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