L’hypermédiatisation des attentats parisiens du début de l’année a permis aux autorités françaises de faire accepter à une population déstabilisée par ces actes de terreur, une limitation de ses droits et libertés fondamentales.
La sinistre journée du 7 janvier 2015 a été bien promptement qualifiée de «11 septembre français» par l’élite politico-médiatique. La population, en proie à l’hystérie la plus totale, ne pouvait qu’acquiescer : l’attaque du journal satirique Charlie Hebdo et d’un supermarché casher n’avait rien à envier à l’apocalypse de Manhattan. Mais ce que les Français ne voyaient pas, c’est que cet attentat serait surtout un 11 septembre français dans sa récupération par le gouvernement. Il aurait été bon de leur rappeler, au moment où tous devenaient «Charlie», la fameuse phrase attribuée à Benjamin Franklin : «Ceux qui sont prêts à abandonner une liberté fondamentale pour obtenir temporairement un peu de sécurité, ne méritent ni la liberté ni la sécurité».
La réaction politique immédiate a été d’estimer qu’il fallait un Patriot Act français. Le gouvernement s’apprête donc à faire passer sa Loi sur le renseignement qui va instaurer une surveillance généralisée de la population française. Mais il serait erroné de croire que la France ne fait que commencer à s’inspirer des Etats-Unis. Pendant les années 2000, la surveillance numérique a fait, lentement, son chemin. Et en décembre 2013, le parlement adoptait une Loi de Programmation militaire autorisant l’armée, la police et les ministères de la défense, de l’économie et du budget, à surveiller la vie numérique des citoyens. Et ce, sans autorisation judiciaire, ce qui revenait à créer une brêche dans la sacro-sainte séparation des pouvoirs. Ironiquement, la même année, les révélations d’Edward Snowden avaient suscité une vague d’indignation. Les politiques européens, face à l’espionnage dont ils étaient la cible, montèrent – brièvement – au créneau pour dénoncer l’attitude de l’allié américain. C’était pour la forme. Ils ne dirent rien de l’espionnage dont la population des Etats-Unis est victime. Et pour cause. Le ver était déjà dans le fruit européen. Profitant d’une nouvelle tragédie et de son hypermédiatisation, le gouvernement Valls ne vient que renforcer, étendre et rendre permanente la surveillance qui existait déjà en France. Si tout cela est déplaisant, il n’y a fondamentalement rien de vraiment surprenant.
Aucun service de #renseignement n'a accès au centre de stockage des opérateurs. Il n'y a aucune surveillance de masse des Français #DirectAN
— Manuel Valls (@manuelvalls) 13 Avril 2015
Plus instructive encore est la manière d’opérer du gouvernement. Ses ministres passent leur temps à chanter les louanges de la démocratie «à la française», alors qu’ils tentent de faire passer leurs lois en force (comme la récente loi Macron) ou, en usant du prétexte de l’urgence, expédiant les débats afin de ne pas susciter trop de remous (comme la loi sur le renseignement). Peu importe que toutes les commissions possibles et imaginables, y compris le Conseil de l’Europe, s’alarment de l’atteinte aux droits de l’homme et à la libertré d’expression que cette loi représente. Peu importe que les professionnels de l’Internet et les scientifiques expliquent qu’elle sera inefficace pour repérer des terroristes. Peu importe que tous les gardes-fous mentionnés par le gouvernement soient décrédibilisés par ces mêmes instances. Le gouvernement passera outre, et, surtout, sans consulter la population. Après le Traité de Lisbonne qu’on a imposé aux populations européennes qui n’en voulaient pas et alors que les élites européennes et américaines négocient dans le dos de tous les citoyens les modalités du traité de libre-échange transatlantique, comment s’en étonner ? Comme le disait Dostoïevski, l’homme est un être qui s’habitue à tout. Il peut donc bien s’habituer à une démocratie où il n’exerce aucun pouvoir et à des élites qui racontent tout et son contraire.
Car dans la manière de faire passer la loi sur le renseignement, les politiques français font preuve d’une certaine malhonnêteté intellectuelle et d’un maniement étonnant de l’oxymoron. Il faut entendre Manuel Valls dire sur France Inter que les « terroristes » «veulent s’attaquer à nos libertés, veulent que nous prenions un certain nombre de décisions qui seraient attentatoires aux libertés, hé bien non, la réponse est à la fois plus de sécurité et plus de liberté. » Puis, Valls, qui ne connait manifestement pas Benjamin Franklin, s’emporte, lâchant de manière stupéfiante : « C’est quoi, ce débat sur les libertés ?! » Ce qui, du moins, a le mérite d’être clair : il n’y a pas à débattre. Le Ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve, quant à lui, a pu dire aux députés qui débattaient à l’Assemblée Nationale que personne ne s’indigne du fait que des sociétés comme Facebook aient accès à nos données personnelles. C’est oublier, ou plutôt volontairement mettre de côté, que l’utilisateur de Facebook l’accepte en souscrivant et qu’il a la possibilité d’y mettre les données qu’il veut. Personne ne sera évidemment en mesure de décliner l’offre gouvernementale. Mais c’est que le gouvernement français n’a apparemment peur ni de l’approximation, ni de la contradiction : d’un côté cette loi de surveillance généralisée est présentée comme nécessaire, de l’autre il est expliqué que 3000 personnes sont connues comme étant des menaces pour la sécurité nationale. En ce cas, pourquoi instaurer une telle loi ?
Qd on voit avec quelle facilité #Valls fait voter son #PJLSurveillance, on comprend mieux comment un dictateur accède au pouvoir légalement.
— SurveillancePourTous (@hdebonnevolonte) 27 Avril 2015
C’est dans les mots de Bernard Cazeneuve qu’on peut en discerner la raison profonde : le ministre de l’intérieur expliquant qu’il vise aussi le « mouvement identitaire », on comprend que c’est tout le spectre politique que le gouvernement cherche à scanner, toute dissonance politique radicale étant potentiellement appelée à être classée à terme comme « terrorisme », tout individu, de par ses lectures, ses fréquentations, ses visites de sites Internet, ses blagues politiquement incorrectes à un ami ou un collègue, devient un terroriste en puissance. On peut, dès lors, fabriquer des cas de terrorisme à partir de tout et n’importe quoi. La quasi absence de réaction de la population est facilement explicable : le 7 janvier demeure un traumatisme profond pour la psyché française, traumatisme dûment entretenu par un gouvernement qui brandit la menace terroriste de manière quotidienne.
Mais le gouvernement français devrait se méfier. Car si on considère que le « terrorisme », selon une définition traditionnelle, est l’emploi de la terreur à des fins politiques, que dira-t-on d’un gouvernement qui instille la peur dans les esprits pour faire passer en urgence une loi considérée par beaucoup comme un attentat aux libertés ?
Matthieu Buge
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