Transparency International : «Personne ne comprendrait qu'on sanctionne Antoine Deltour»

Le procès d'Antoine Deltour vient de commencer, Daniel Lebègue, président de l’ONG Transparency International plaide pour des nouvelles directives visant à protéger les lanceurs d'alertes.

RT France : Le procès du lanceur d'alerte Antoine Deltour s'est ouvert au Luxembourg. Accusé d'avoir organisé la fuite de 30 000 pages dévoilant les pratiques fiscales de grandes entreprises, il risque jusqu’à dix ans de prison. Comment expliquer un tel procès ?

Daniel Lebègue (D.L.) : La justice luxembourgeoise a engagé des poursuites sur une plainte du cabinet d’audit pour des faits qui, au regard de la loi luxembourgeoise, peuvent être constitutifs d’un délit de vol et de violation du secret professionnel.

Il serait incompréhensible qu’Antoine Deltour fasse l’objet d’une condamnation.

Il me parait clair, que dans le contexte actuel où, partout en Europe, s’exprime une volonté de renforcer la transparence et l’échange d’information entre pays, il faut mieux protéger les lanceurs d’alertes de bonne foi qui contribuent à cette transparence et à cet échange. Dans ce contexte, on a du mal à comprendre le procès - il serait incompréhensible qu’Antoine Deltour fasse l’objet d’une condamnation.

Je ne comprendrais pas qu’une décision, qu'une sanction de ce type, soit prononcée. L’intéressé a agi de bonne foi, et de manière complètement désintéressé, bénévole, il ne recherche aucun avantage ni aucune gloire. Son action est utile et reconnue comme telle au regard de l’intérêt général et de l’intérêt public européen. La Commission européenne, à la suite des révélations LuxLeaks, a proposé et fait adopter, une nouvelle directive, qui impose à tous les Etats de communiquer, de rendre transparents les accords fiscaux de ce type. Personne ne comprendrait qu’aujourd’hui on sanctionne Antoine Deltour.

RT France : Existe-t-il un système de protection des lanceurs d’alertes satisfaisant en France et en Europe ?

D.L : Non il n’est pas suffisant mais tant à Paris qu’à Bruxelles, le sujet est à l’ordre du jour. Dans le cadre du projet de loi Sapin 2, sur la transparence de la vie économique, il y a un chapitre prévu sur la protection des lanceurs d’alertes et le ministre s’est engagé à compléter, enrichir, son projet pour tenir compte à la fois des recommandations du Conseil d’Etat mais aussi du procès Deltour. On devrait avoir demain en France, et on l’espère, un cadre juridique qui assure une meilleure protection aux lanceurs d’alertes.

Le sujet est aussi à l’ordre du jour du Parlement européen. Le Parlement a adopté récemment une directive visant à renforcer le secret des affaires pour mieux assurer le secret industriel - ce que nous ne contestons pas, mais il faut aussi veiller à laisser aux journalistes leur liberté d’investigation et la protection des sources, sans oublier les lanceurs d’alertes. Ces derniers sont des citoyens, des salariés qui signalent un manquement à la loi, des menaces ou des préjudices graves pour la santé publique et l’environnement et il faut renforcer les droits et protections de ceux là.

RT France : Vous parlez de la directive européenne pour protéger le secret des affaires et, en parallèle, vous voulez renforcer les droits des lanceurs d'alertes, n'y a-t-il pas une contradiction ?

D.L : Je ne vois pas de contraction. Je pense qu’il ya une forme de secret de l’industrie, de fabrication, de recherche, qui mérite d’être mieux protégé. Nos entreprises, grandes ou pas, font souvent l’objet d’espionnage, de tentatives d’intrusions.

Mais dans le même temps, nous sommes des démocraties et nous devons conforter le droit à l’information, à l’investigation pour les journalistes et pour les lanceurs d’alertes, qui agissent dans l’intérêt général. On doit pouvoir protéger les deux types de secret, il n’y pas d’opposition entre l’un et l’autre.

Le Parlement a adopté le premier volet, celui de la protection du secret de l’industrie on attend de lui maintenant qu’il adopte le second volet, celui de la protection des droits de tous ceux qui contribuent à la bonne information des citoyens dans une société démocratique.

Lire aussi : LuxLeaks : s’il y a autant de fraudes, n’y a-t-il pas un problème de pression fiscale en France ?

RT France : Quelles sont les limites des lanceurs d'alertes ? Comment instaurer un cadre juridique ? 

D.L : Plusieurs grands pays ont répondu à cette question, au travers de la définition de «l’alerte éthique»,  qui doit être protégée, respectée.

L’alerte ça n’est pas le règlement de compte

Où sont les limites ? C’est assez simple à définir. L’alerte ça n’est pas le règlement de compte, toute alerte qui répondrait à des motivations personnelles ne mérite nullement d’être protégée. La protection est requise pour les citoyens et salariés qui agissent de bonne foi et dans le sens de l’intérêt général.

Il y a de grands pays qui ont une bonne législation en la matière, comme le Canada. Il suffit de s’en inspirer en Europe.