La décision de François Hollande de grâcier Jacqueline Sauvage est une atteinte à la séparation des pouvoirs, estime Florence Rault, l'avocate qui a décrypté pour RT France les dessous de cette affaire après sa tribune dans le Figaro.
RT France : Pourquoi pensez-vous que l’utilisation de la grâce présidentielle par François Hollande révèle un dysfonctionnement du fonctionnement de la Justice ? A votre avis, qu’est-ce qui a poussé François Hollande à recourir à cette mesure ?
Florence Rault : Deux procédures judiciaires régulières ont abouti à deux décisions identiques qui ont constaté la culpabilité de Jacqueline Sauvage pour le meurtre de son mari, sans qu'elle puisse sérieusement invoquer la légitime défense, qui n’a d'ailleurs pas été retenue. Venir, quelques jours après le prononcé de la décision d'appel, dire le contraire de ce qu'avait décidé la juridiction, constitue un camouflet pour l'institution judiciaire. Les 15 citoyens jurés et les 6 magistrats professionnels qui l'ont jugée par deux fois en leur âme et conscience sont désavoués. La défense de Jacqueline Sauvage n’a même pas jugé utile de se pourvoir devant la Cour de cassation qui était le recours prévu par la procédure pénale.
Malheureusement, le chef de l'État a une fois de plus reculé sous la pression des médias
C'est également une atteinte au principe de la séparation des pouvoirs. De plus, pendant sa campagne électorale, François Hollande s'était pourtant engagé à ne pas utiliser le droit de grâce dont dispose le président de la République. Malheureusement, le président a une fois de plus reculé sous la pression des médias. Comme il l'avait fait lors de la fameuse affaire Léonarda, en s'opposant à l'expulsion d'immigrés clandestins, expulsion pourtant décidée par la justice française.
RT France : Vous avez écrit dans votre tribune que cette affaire est totalement différente aux yeux d'un juriste praticien que ce qu'on peut en apprendre sur Wikipedia ou à travers les médias. Quels sont les détails qui vous ont le plus interpellé ?
Florence Rault : Un emballement médiatique tout à fait disproportionné et complètement unilatéral a généré un récit de l'affaire totalement contraire à la réalité. On a voulu faire croire à l'opinion publique que Jacqueline Sauvage avait été régulièrement violentée et violée par son mari pendant leurs 47 ans de vie commune. On nous a aussi expliqué que ses filles auraient été violées par un père incestueux. Et que ces faits auraient poussé l'accusée à se défendre en abattant son mari de trois balles dans le dos… Aucun élément concret du dossier, en dehors des déclarations de Jacqueline Sauvage elle-même et de ses filles ne vient appuyer cette thèse. La seule violence constatée par un témoin a été celle d’une gifle donnée à son mari par Jacqueline Sauvage au moment où elle a appris qu'il avait une maîtresse.
Ce qui est dérangeant, c’est qu’on a créé un personnage qui ne ressemble pas du tout au personnage du dossier
Autre détail gênant, on a prétendu que Jacqueline Sauvage avait tué son mari le lendemain du suicide de son fils mais sans nous dire qu'elle ignorait ce fait lorsqu'elle l’a abattu. De plus, les expertises psychiatriques et psychologiques font ressortir un profil de personnalité sans rapport avec celui qu'on nous a présenté.
C'est ce qu'ont compris les deux jurys d’assises successifs en refusant de considérer qu'il y avait légitime défense et que la culpabilité de Jacqueline Sauvage était entière.
Ce qui est dérangeant, c’est que les médias ont créé un personnage qui ne ressemble pas du tout à celui du dossier qui a été jugé par les représentants de la société civile puisque les jurés ont été tirés au sort sur les listes électorales.
Il est clair que toute cette affaire dans sa dimension médiatique a été lancée au départ par des lobbies féministes minoritaires
RT France : Vous avez également parlé dans votre article «des mouvements féministes radicaux qui ont impulsé une campagne à partir de la condamnation de Jacqueline Sauvage». Ces mouvements sont-ils si puissants ? Cette tendance à «affirmer l’impossibilité de l’existence d’une violence des femmes», à quoi peut-elle aboutir ?
F. R. : Il est clair que toute cette affaire dans sa dimension médiatique, relayée par les élites politiques, a été lancée au départ par des lobbies féministes minoritaires. La défense de Jacqueline Sauvage, devant la justice, avait été prise en charge par deux avocates militantes issues de ces milieux dont la stratégie de défense, reposant uniquement sur une légitime défense impossible à établir, a été désastreuse. Il est clair que si une défense non militante avait davantage mis l'accent sur les circonstances atténuantes, la peine prononcée aurait sans doute été moins lourde. On peut même se demander si ce choix suicidaire n'était pas délibéré, afin de pouvoir lancer cette campagne assez délirante à laquelle on vient d'assister. La puissance de ces mouvements, pourtant très minoritaires, est due aux relais dont ils bénéficient dans les médias et au sommet de l'appareil d'État. La faiblesse dont a fait preuve à cette occasion François Hollande est assez inquiétante.
Derrière ces mouvements, qui spéculent sur l’émotion et la compassion, tout en profitant de la complaisance des milieux politiques, agissent des gens qui souhaitent modifier la législation, hors des règles de la démocratie, pour délivrer aux femmes un véritable permis de tuer. C’est une régression terrible qui légitime la justice privée et rétablit d’une certaine manière la peine de mort.
La faiblesse dont a fait preuve à cette occasion François Hollande est assez inquiétante.
Ces dérives ne rencontrent pas la fermeté qu'exigerait le respect des libertés publiques. Elles mettent en péril la démocratie et de nombreux principes de droit et de justice.
C'est la raison pour laquelle la question de «la violence des femmes» niée par les lobbies féministes est une question très importante.
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