Avec le début des délibérations au sein de l’UE au sujet de l’obtention par la Chine du statut d’économie de marché, l’économiste, président du think tank Les éconoclastes Philippe Béchade analyse les enjeux principaux de cette décision.
RT France : Est-ce que la Chine va obtenir le statut d’économie de marché ?
Philippe Béchade : Ce serait étonnant si ces négociations n’aboutissent pas. La Chine vient d’être adoubée par le FMI, le yuan devient une monnaie de réserve internationale. On ne peut pas imaginer un seul instant que la Chine aurait imposé le yuan comme monnaie de réserve si on n’avait pas considéré que la Chine était une économie de marché sinon la devise serait considérée comme complètement administrée, l’économie ne répondant pas aux mécanismes de fixation du cours par les marchés. Les Etats-Unis avaient accordé le statut de nation la plus favorisée à la Chine en 2002. On ne voit pas comment l’Europe pourra dire aujourd’hui : «il y a pas mal d’accidents, nos multinationales étaient maltraitées, il y a des formes de protectionnisme déguisées, on n’est pas contents, on boude». Ce serait une décision considérée comme un scandale à Pékin et qui créerait des tensions. Il vaudrait donc mieux essayer d’aplanir les conflits, mieux encadrer les règles commerciales et prévenir la Chine qu’il faut qu’elle arrête avec les campagnes de dénigrement des entreprises et produits européens quand cela les arrange.
La Chine va très probablement être reconnue comme économie de marché, même si on sait par ailleurs que tous les mauvais coups sont permis.
Il y a trop à perdre – la Chine est un des principaux créanciers des USA. C’est toujours le créancier qui tient le débiteur.
RT France : Quel impact est-ce que cela aura sur l’économie européenne ?
Philippe Béchade : La Chine bénéficiera d’une capacité étendue à diffuser ses produits en Europe même si elle est soupçonnée de faire du dumping. Elle commencera par exporter et puis ensuite on risque de se retrouver à lui reprocher d’avoir tout fait pour anéantir ses concurrents européens. Elle fait ça depuis douze ou treize ans et pour l’instant cela continue. On ne voit pas comment les Européens pourraient procéder différemment de ce que font les Américains. Ces derniers menacent épisodiquement la Chine mais derrière ce n’est pas suivi d’effet. Il y a trop à perdre – la Chine est un des principaux créanciers des USA. C’est toujours le créancier qui tient le débiteur.
RT France : Cette décision, ne risque-t-elle pas d’aggraver le chômage en Europe ?
Philippe Béchade : Il ne faut pas accuser la Chine d’être la responsable du chômage en Europe parce qu’aujourd’hui on voit bien qu’elle aussi est confrontée à des problèmes de compétitivité. De nombreux autres pays sont jugés très attractifs par des multinationales – Inde, Philippines ou Indonésie. L’Europe n’est pas très tentée de se renforcer en Chine d’autant que les coûts salariaux ont beaucoup progressé : on a vu des grèves à Foxconn et on en verra d’autres. La Chine ne sera pas privilégiée par les multinationales qui quittent l’Europe.
Je crois que brandir la suppression des droits de douane c’est un épouvantail.
RT France : L’ex-Premier ministre François Fillon a déclaré qu’«un éventuel feu vert des experts européens aboutirait à une suppression de nos droits de douanes. Des centaines de milliers d'emplois européens sont en jeu. Il faudrait être fou pour abattre nos défenses face au géant chinois qui continue à subventionner son industrie et à bénéficier du dumping social». Etes-vous d’accord ?
Philippe Béchade : La suppression des droits de douane, je n’y crois guère. Je ne vois pas pourquoi on les supprimerait pour la Chine et maintiendrait pour d’autres pays comme l’Indonésie ou les Philippines. Cela peut être jugé discriminatoire. La Chine contourne déjà les droits de douane de toute façon en rentrant par des pays tiers avec lesquels on a déjà des accords douaniers avantageux. Je crois que brandir la suppression des droits de douane c’est un épouvantail. La suppression des droits de douane si elle a lieu va être réciproque – également pour les produits européens en Chine. C’est vrai qu’on agite le chiffon rouge. Il y a quand même beaucoup d’entreprises européennes qui espèrent vendre un peu plus en Chine, sachant que la Chine peut mettre des bâtons dans les roues. Quoi qu’il en soit, après tout le monde dira «super, on a tous gagné».
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