Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

À qui profitent les négociations entre la Russie et l’Ukraine ?

À qui profitent les négociations entre la Russie et l’Ukraine ?
À qui profitent les négociations entre la Russie et l’Ukraine ? [image d’illustration générée par l’intelligence artificielle]
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La disparition de l’Ukraine a commencé par le cri «Ukraina tsé Evropa», autrement dit «l’Ukraine, c’est l’Europe». Elle reviendra à la vie au son de «Ukraina tsé Rossia», «l’Ukraine, c’est la Russie». Pour Karine Bechet-Golovko, la sécurité stratégique de la Russie et du continent européen passe par le retour des territoires ukrainiens en Russie.

Les vagues de négociations, formellement entre l’Ukraine et la Russie, en réalité entre la Russie et les pays de l’Axe atlantiste, mettent en évidence l’impossible résolution de ce conflit par la voie diplomatique. La diplomatie est l’art du compromis, mais le compromis ici ne peut avoir sa place puisque l’enjeu est existentiel : le Monde global ne peut exister avec une Russie ramenant à la vie le Monde russe ; la Russie ne peut ramener à la vie le Monde russe tant que le Monde global existe.

Ces négociations, qui sont un front comme un autre, permettent de résoudre des questions précises, comme le retour des prisonniers de guerre ou le rapatriement des corps des soldats ukrainiens décédés, mais aucune question stratégique ne peut être résolue. Pour preuve, même les États-Unis ont suspendu sine die les négociations bilatérales avec la Russie visant à normaliser les relations entre les deux pays, dès que cela devait les conduire à adopter des pas précis les rapprochant de la Russie, c’est-à-dire dès qu’ils devaient réellement faire des compromis.

Le compromis est ici impossible, puisque l’Axe atlantiste est entré de plain-pied dans la configuration schmittienne « ami/ennemi », tout en appelant hypocritement à la paix, c’est-à-dire à la capitulation de l’ennemi. Comme l’écrit Carl Schmitt : « Des guerres de ce type se distinguent fatalement par leur violence et leur inhumanité, pour la raison que transcendant le politique, il est nécessaire qu’elles discréditent aussi l’ennemi dans les catégories morales et autres pour en faire un monstre inhumain qu’il ne suffit pas de repousser mais qui doit être anéanti définitivement. »

L’Ukraine doit reconnaître les résultats des référendums ayant permis le retour des terres et des peuples en Russie

De son côté, la Russie se dit prête à reprendre les négociations à Istanbul dès le 22 juin et le président russe rappelle devant les médias que l’Ukraine doit reconnaître les résultats des référendums ayant permis le retour des terres et des peuples en Russie, tout en soulignant l’impératif d’une défense de la langue russe et des droits des populations russes, c’est-à-dire la reconnaissance du Monde russe, certes sans les frontières.

Mais cela est-il possible ? La défense des droits passe par le contrôle du territoire. Un contrôle étatique, puisque c’est l’État qui détermine l’ordre juridique régulant le territoire et la vie des populations y habitant ; c’est l’État, qui garantit le respect de l’ordre juridique qu’il détermine. En tout cas, lorsque cet État est souverain.

« L’Ukraine n’étant pas un État, mais une fragile carcasse institutionnelle tenue de l’extérieur »

Ce qui est appelé Ukraine aujourd’hui n’est pas un État, dans le sens juridique du terme. C’est au mieux un protectorat. Les autorités formellement en place ne décident pas de l’ordre juridique en vigueur en Ukraine, puisque les réformes juridiques sont dictées par les organismes internationaux, dans l’intérêt d’une gouvernance globale. Et les institutions étatiques sont elles en faillite, faute de même pouvoir garantir l’application de cet ordre juridique « externalisé ». La CEDH a ainsi souligné la faillite du système judiciaire ukrainien dans ses arrêts-pilotes ou la Cour des comptes européenne qui, de son côté, ne cessait de pointer la corruption endémique de ce système et son inefficacité.

L’Ukraine n’étant pas un État, mais une fragile carcasse institutionnelle tenue de l’extérieur, elle ne peut en aucun cas être autorisée à légaliser le Monde russe, qu’elle n’a eu de cesse de combattre depuis la chute de l’URSS et le basculement du monde dans la globalisation.

En ce sens, la Russie ne pourra jamais obtenir par les négociations la sécurité qu’elle estime « mériter », à savoir le retour du Monde russe. Elle ne pourra que le reconquérir.

Mais pour l’instant, elle laisse la porte ouverte à des situations intermédiaires, rappelant qu’à chaque fois, les conditions pour les autorités ukrainiennes sont plus défavorables que les précédentes.

Si cela constitue une réalité politique pour l’Ukraine et s’il est réellement dans l’intérêt de l’Ukraine de négocier aujourd’hui et non pas demain, cela n’est pas dans l’intérêt des véritables parties au conflit, à savoir les pays de l’Axe atlantiste, qui se battent en Ukraine, et la Russie elle-même.

La Russie a intérêt à assumer ouvertement le Monde russe et à revenir sur la défaite de 1991

L’Ukraine n’est plus un État, l’Ukraine est devenue un front dès lors qu’elle est sortie de son cours historique. Et comme l’histoire l’a démontré à plusieurs reprises, dès que le territoire ukrainien est institutionnellement et politiquement coupé de la Russie, il est instrumentalisé par des puissances occidentales contre elle, afin de servir leurs intérêts. Rien n’a changé aujourd’hui.

Les curateurs n’ont en ce sens pas intérêt à de véritables négociations, puisqu’ils n’ont aucune marge de compromis. Ils ont besoin de maintenir le front actif en Ukraine, tant que la Russie n’a pas capitulé. Et les négociations sont une arme de cet arsenal.

La Russie n’a pas intérêt à ce que l’Ukraine accepte aujourd’hui ses conditions, car elle maintiendrait alors un danger à ses portes et ne pourrait reconstituer son espace vital, à savoir le Monde russe. Ne contrôlant pas le territoire sous appellation Ukraine qui resterait, elle ne pourrait réellement garantir ni les droits des populations russophones, ni la neutralité militaire, comme l’entrée de la Finlande dans l’OTAN l’a démontrée.

La Russie a intérêt aujourd’hui à assumer ouvertement le Monde russe et à revenir sur la défaite de 1991. Sans cette révolution cognitive des élites, elle ne pourra véritablement concevoir la victoire, car elle restera dans le cadre idéologique imposé par les vainqueurs d’alors. Un Monde russe dans des frontières étatiques est le seul moyen de garantir une véritable sécurité stratégique de la Russie, ainsi qu’une stabilité sur le continent européen, puisque cela entraînerait la déliquescence de l’organisation et des fondements idéologiques du Monde global. Ce qui ouvre la voie à la restauration de la souveraineté des peuples et des États.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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