Le PS a besoin du FN pour lutter contre les abstentionnistes de gauche en leur faisant peur, estime le professeur associé à l’Institut d’études européennes de l’Université Paris 8 Jacques Nikonoff. Il livre son analyse du premier tour des régionales.
Un phénomène inédit s’est produit le lendemain du 1er tour des élections régionales, le 7 décembre. La presse communiste, avec L’Humanité, et la presse de droite, avec Le Figaro, ont publié exactement la même Une. Ces journaux titrent tous les deux «Le choc». Ils témoignent ainsi de leur stupéfaction – réelle ou simulée - devant les 27,73% obtenus par le Front national. Mais quel choc ? Est-ce une surprise si, depuis 1984, le FN poursuit régulièrement sa progression, même s’il connaît des hauts et des bas ? Certes, le FN est dans la posture et dans l’imposture, et son programme ne permettrait en aucun cas de résoudre les problèmes des Français. Mais c’est cela que devraient démontrer les partis qualifiés de «gauche» et de «droite», au lieu de diaboliser le FN sans aucun argument. On comprend pourquoi, car lorsqu’ils exercent le pouvoir, «gauche» et «droite» mènent la même politique d’inspiration néolibérale contraire aux intérêts du peuple. C’est pour cette raison fondamentale que le FN trouve un écho dans la société française. Parce que les partis de «gauche» et de «droite» n’ont aujourd’hui plus de différences sur l’essentiel et qu’ils laissent pourrir la situation sociale et économique depuis quatre décennies. Leur soumission à la mondialisation, à l’Union européenne et à l’euro en est un aspect décisif.
Comment s’étonner, dans ces conditions, que les citoyens recherchent d’autres solutions, et même s’ils ne croient pas à celles du FN, beaucoup votent pour lui afin de donner une leçon aux oligarques de «gauche» et de «droite». Ce qui est frappant, en entendant les commentaires de la caste médiatico-politique de ces dernières heures, c’est l’absence de remise en cause des politiques néolibérales menées depuis quarante ans qui ont déchiré le tissus social et industriel. En les écoutant, on a l’impression qu’une proportion significative de la population serait devenue raciste, nationaliste ou tout simplement abêtie. C’est ne rien comprendre à la société. Une importante proportion des jeunes et des classes populaires ont fait, en se prononçant pour le FN, un vote de révolte du peuple contre les élites, celui des «petits» contre les «gros». Bien sûr ils se trompent, mais c’est ce qu’ils croient.
Le tripartisme, à l’occasion de cette élection, s’est encore renforcé. Il est organisé autour des Républicains, qui ont absorbé les «centristes», du Parti socialiste qui a absorbé le Front de gauche, et du Front national. Ces trois blocs constituent un même système, chacun a besoin des deux autres. Imaginons que le résultat du 1er tour de l’élection présidentielle, en 2017, soit le même que celui du 1er tour des régionales. Si tel était le cas, puisque le PS est arrivé 3e, son candidat à la présidentielle ne figurerait pas au 2e tour. On comprend donc pourquoi le PS a besoin du FN pour diviser la droite, car c’est bien à la droite que le FN prend des voix. Comme l’électorat de gauche s’abstient de plus en plus aux élections, le seul moyen trouvé par les dirigeants socialistes est de le réveiller en lui faisant très peur. Un moyen radical est de créer les conditions pour que Madame Le Pen, ou sa nièce, gagne une région. Le retrait de Madame Aubry, la seule qui aurait pu faire barrage à Madame Le Pen, établit la preuve que le Parti socialiste voulait laisser le terrain libre à cette dernière.
Le piège du tripartisme se refermerait ainsi sur la France. Les appels à voter utile dès le premier tour se multiplieraient, se serait la fin du pluralisme politique et de la politique. Il faut donc, dès maintenant, mettre un coup d’arrêt au jeu malsain des trois compères du tripartisme.
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