Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

Frappes «ukrainiennes» sur les sites énergétiques : Trump, manque-t-il de volonté ou de moyens réels ?

Frappes «ukrainiennes» sur les sites énergétiques : Trump, manque-t-il de volonté ou de moyens réels ? Source: Gettyimages.ru
Donald Trump
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La violation du moratoire des frappes sur les sites énergétiques, quelques heures après qu’il ait été proposé par Washington et accepté par Moscou, selon Karine Bechet-Golovko, soulève la question de l’intérêt d’une négociation avec Trump, qui soit n’a pas la volonté, soit n’a pas la possibilité de faire respecter les engagements qu’il prend.

Ce 18 mars, toutes les attentions étaient tournées vers la conversation téléphonique de Trump et Poutine, beaucoup y plaçaient des espoirs, souvent démesurés, souvent irrationnels. Démesurés, car les déclarations, contradictoires et parfois menaçantes de Trump envers la Russie, ne laissaient en rien présager un véritable règlement stratégique de cette guerre, qui soit dans l’intérêt de la Russie. Irrationnels, car Trump est le Président des États-Unis, pays qui justement est à l’origine de cette guerre conduite en Ukraine contre la Russie, pour défendre son pouvoir.

L’intérêt premier pour les globalistes de ces négociations de cessez-le-feu est l’arrêt de l’avancement de l’armée russe, sans compter l’espoir d’une démoralisation de la société et de l’armée, face à cet éternel renouvellement des «gestes de bonne volonté» unilatéraux, qui se terminent toujours de la même façon et sont pourtant toujours répétés.

Après avoir tenu le public en haleine pendant près de deux heures, Trump a fait un communiqué laconique – il est content, tout s’est bien passé. Et en effet, il a de quoi. Le Kremlin a, lui, publié un texte plus long, reprenant la nécessité de régler stratégiquement la crise, de s’attaquer aux sources de la crise, de mettre fin à la fourniture d’armes et de renseignements sur le front ukrainien ... et accepta finalement la trêve de 30 jours relative aux frappes sur les sites énergétiques.

Cette disposition était centrale, c’est celle qui était attendue par les États-Unis, la Russie ayant déclaré qu’elle ne cesserait pas de se battre avant qu’un véritable accord de paix ne soit atteint, qu’elle n’accepterait aucun cessez-le-feu, puisque cela ne sert qu’à renforcer l’armée atlantico-ukrainienne. Et elle a accepté de faire un compromis, un «geste de bonne volonté». Ce geste est d’autant plus unilatéral que, formellement ce ne sont pas les États-Unis qui frappent la Russie, mais c’est devant eux que la Russie s’engage.

Dans tout processus de négociation, il est fondamental de conduire l’autre partie à faire des concessions, même petites, même symboliques. Il est indispensable d’enclencher le processus.

Le processus symbolique est enclenché et la politique se nourrit du symbolique. Trump n’a donc plus besoin de faire le clown, il peut être plus retenu. Et il commence donc à nommer des négociateurs de poids pour l’Ukraine. Décision qu’il n’avait pas prise, avant que la Russie n’accepte ce moratoire, avant que la Russie ne fasse une concession. Et Witkoff d’annoncer que les Présidents se rencontreront très certainement - et en Arabie Saoudite. Il est vrai que depuis l’intervention militaire américaine au Yémen la semaine dernière, les États-Unis sont encore plus proches de Riyad qu’avant.

Dans la foulée, deux annonces côté russe sont tombées quelques heures après la conversation entre les Présidents russe et américain.

Tout d’abord, la symbolique patriotique a été enlevée de l’ambassade américaine à Moscou. Les lettres Z, O et V ont été prestement démontées dès la fin de l’appel téléphonique. Formellement, pour être nettoyées ...

Ensuite, et non moins symboliquement, la Russie a détruit elle-même les drones qu’elles avaient lancés cette nuit vers les sites énergétiques en Ukraine, puisque le Président russe a donné l’ordre immédiat de suspendre les tirs sur les sites énergétiques : «À ce moment-là, sept drones russes étaient dans les airs, ciblant des installations énergétiques ukrainiennes dans la région de Nikolaev associées au complexe militaro-industriel. La défense aérienne russe a reçu l'ordre de neutraliser les drones ; six d'entre eux ont été abattus par un Pantsir et un par un chasseur de l'armée de l'air russe».

La précipitation n’a pas sa place en politique, surtout à ce niveau. Elle est toujours interprétée comme étant un signe de faiblesse, par l’excès de volonté de plaire qu’elle démontre.

Parallèlement, l’armée atlantico-ukrainienne a tiré cette nuit sur l’infrastructure énergétique russe, elle n’a pas annulé ses tirs, n’a pas détruit ses drones «pour faire bonne figure». Elle a pilonné le cessez-le-feu, s’est comportée comme elle se comporte toujours : elle fait la guerre à la Russie et veut la défaite stratégique de l’ennemi. La Russie n’est pas perçue comme un «partenaire» pour l’Occident globaliste, mais comme l’ennemi.

De son côté, le porte-parole du Kremlin a fait, dans un même communiqué, deux annonces assez contradictoires :

▪️ Poutine n'a pas annulé l'ordre d’interrompre les frappes sur les infrastructures énergétiques ukrainiennes malgré les provocations de Kiev.  

Et :

▪️ Le Kremlin voit qu'il n'y a pas de réciprocité de la part de Kiev quant au respect du cessez-le-feu de 30 jours sur les infrastructures énergétiques.

Donc, la Russie a décidé de respecter unilatéralement le cessez-le-feu de 30 jours, en privant l’armée russe de la possibilité de frapper les sites énergétiques situés en Ukraine et utilisés par l’armée atlantico-ukrainienne à des fins militaires.

Pourquoi ? La réponse est aussi donnée par le porte-parole du Kremlin : «Trump et Poutine se font confiance». Ils se font d’autant plus confiance, que pour une raison étonnante, la Russie n’a pas soulevé lors de leur entretien la question véritablement problématique de la présence de «forces de paix» sur le sol ukrainien, ni celle des territoires.

Et puisque tout se passe à merveille, la Maison-Blanche déclare que «les États-Unis et la Russie travaillent sur un moratoire sur les frappes contre les navires militaires et civils en mer Noire». Nous revenons ainsi au niveau de l’impasse issue des négociations d’Istanbul et l’approvisionnement en armes du front ukrainien pourra repasser par la mer Noire.

Il est vrai que Trump est ici dans une position largement privilégiée, par rapport à la Russie. Personnellement, il s’est octroyé le rôle d’arbitre, dans un conflit où le pays qu’il dirige est directement impliqué. Mais le tour de passe-passe fonctionne, car chacun fait semblant d’y croire ou y croit. Il n’a pas pris, lui, aucune obligation, sinon lorsqu’il a donné son accord pour l’organisation d’un match de hockey, avec toute la nostalgie de l’époque soviétique que contient cette proposition.

Ainsi, quand l’armée atlantico-ukrainienne «saborde» les «efforts de paix», il n’est pas responsable. Zelensky est là pour ça. Quand les Européens fournissent le front, Trump n’y est pour rien, même s’il continue les livraisons d’armes et de renseignements. Car la coalition atlantiste est présentée comme n’étant pas soudée, grâce à cette fameuse «division des élites globalistes» ou du mythe de la lutte de Trump contre ces élites globalistes, pourtant toutes présentes le jour de son entrée en fonction. De cette manière, la main droite n’est pas responsable de ce que fait la main gauche.

À l’inverse, le pouvoir est compact en Russie, la responsabilité aussi. La Russie met donc en œuvre ces accords informels, sans garanties ni contreparties. Et in fine de manière unilatérale, comme à chaque fois.

Juste une question. Puisque quelques heures à peine après cette discussion russo-américaine, formellement Kiev a violé cet accord verbal, soit Trump n’a pas la volonté de le faire respecter, soit il n’en a pas la force. Donc, dans ces deux cas, quel est l’intérêt de négocier avec lui ?

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