Par Karine Bechet-Golovko Tous les articles de cet auteur
Karine Bechet-Golovko, docteur en droit public, professeur invité à la faculté de droit de l'Université d'Etat de Moscou (Lomonossov), animatrice du site d'analyse politique Russie Politics.

La porte d’entrée de l’OTAN se refermerait-elle devant le front ukrainien ?

La porte d’entrée de l’OTAN se refermerait-elle devant le front ukrainien ? Source: Sputnik
La porte d’entrée de l’OTAN se refermerait-elle devant le front ukrainien ? (Photo d’illustration)
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La troisième année de guerre entre l’Axe atlantiste et la Russie bat son plein, et les membres de l’OTAN sont toujours indécis sur l’avenir du conflit : intégrer l’Ukraine et entrer directement en guerre contre la Russie ou jouer sur le statu quo et espérer une intervention providentielle qui les sauverait ? Analyse de Karine Bechet-Golovko.

En 2017, les nouvelles élites post-Maïdan réforment la Constitution et indiquent dans le corps du texte rien moins que l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN comme un but stratégique de la politique nationale. Nous sommes encore à l’époque de l’espoir et de l’illusion en Occident : espoir que la Russie digère le Maïdan et illusion qu’elle ne réagira pas, quand ses intérêts vitaux seront volontairement bafoués.

Wikipedia, véritable Temple du Savoir néolibéral, réécrit et écrit l’histoire en continu. Nous apprenons ainsi, au sujet des relations entre l’Ukraine et l’OTAN, que «Les relations entre l'Ukraine et l'OTAN sont officiellement établies en 1992, lorsque l'Ukraine rejoint le Conseil de coopération nord-atlantique après avoir retrouvé son indépendance». De quelle indépendance s’agit-il ? D’elle-même ? Mais Wikipedia ne s’encombre pas des cartes et de l’histoire, il les redessine et la réécrit en fonction des besoins du monde global atlantiste. Or de ce point de vue, l’Ukraine (ils ont du mal à en préciser les frontières selon les époques) aurait donc été «occupée» et certainement par la Russie depuis plus d’un millénaire, puisqu’elle en faisait toujours partie juridiquement et politiquement à deux exceptions près : tout d’abord quelques années lors de la guerre civile après la chute de l’Empire, puis lors de l’occupation nazie pendant la Seconde Guerre mondiale...  À moins que Wikipedia, dans une poussée freudienne incontrôlée, ne compare l’Ukraine actuelle avec celle occupée par les nazis et établisse ainsi une continuité idéologique et politique...

Mythes et illusions sont bien au fondement du pouvoir et des mécanismes de gouvernance. Il est tellement plus commode de réécrire l’histoire que de devoir en tenir compte. Ainsi est-il possible de justifier à court terme que l’OTAN se développe vers l’Ukraine – puisque c’est un État, qui aurait «retrouvé» son indépendance, perdue on ne sait quand, on ne sait où. Tout l’engrenage de la croyance se met alors en route et la voie est légitimée.

Mais si cette stratégie joue à court terme, peut-elle être aussi efficace à long terme ? Il est largement possible d’en douter, justement en ce qui concerne l’Ukraine. La distance entre l’illusion et la réalité ne doit pas être trop grande, pour que le voile ne se déchire pas et qu’avec le temps la réalité puisse être discrètement retravaillée pour finir par correspondre à l’illusion. Sinon, la vérité nue s’impose.

Sur le mythe du combat pour l’indépendance de l’Ukraine – les pays de l’OTAN sont allés de plus en plus loin dans la lutte qu’ils mènent contre la Russie, incarnant pour eux le danger du retour de l’intérêt national. Puisque la Russie ne peut exister que souveraine, sinon elle sera découpée. Ce dont les élites russes ont parfaitement conscience et qui les oblige en quelque sorte à constamment revenir dans le cours historique naturel du pays.

Mais de leur côté, les élites atlantistes vivent dans un autre «récit historique», réécrit pour les besoins de la cause immédiate et de plus en plus décalé de la réalité historique, qu’ils ne sont plus capables d’intégrer et qui s’est rappelée à eux en février 2022, quand la Russie n’a pas répondu à leur illusion d'absence de réaction.

L’illusion bien ancrée est assez forte pour refuser de saisir la réalité, pour gommer ce qui n’entre pas dans le cadre pré-établi de ce qui doit être. Les élites atlantistes semblent démontrer une forme de démence de masse. Ce concept peut être appliqué ici de manière directe, tel que Freud l’a posé dans «Le malaise dans la civilisation», à savoir quand l’individu corrige «par une création de son désir un aspect déplaisant du monde et [incorpore] au réel cette vision démente».

Il suffit pour s’en convaincre de se rappeler certains des différents éléments de l’illusion produite par ces élites atlantistes pour justifier la militarisation du conflit contre la Russie : barbarisation de l’ennemi en tentant de nullifier la culture russe, afin de justifier la remise en cause de la Russie comme pays et civilisation ; déshumanisation de l’ennemi en créant la figure du monstre sanguinaire devant couvrir les crimes commis par l’armée atlantico-ukrainienne ; dénigrement initial des capacités militaires de la Russie et attente d’une victoire militaire rapide, puis surévaluation de l’effet de l’envoi d’armes, de tanks, d'avions etc. sur le front ukrainien, devant à chaque fois être l’élément de rupture faisant tomber la Russie.

Et comme l’écrit Freud, «cette démence n’est naturellement jamais perçue par qui la partage encore lui-même.» Les élites atlantistes ont fini par croire en l’illusion qu’elles produisent.

Et l’on attend l’arrivée des Mirages 2000 français sur le front ukrainien – qui doivent tout changer.

Et l’on attend l’autorisation formelle d’utiliser les missiles atlantistes de longue portée contre la Russie, qui de toute manière sont déjà utilisés – et qui doivent tout changer.

L’escalade continue et désormais on attend l’entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, c’est-à-dire l’entrée du front ukrainien dans tous les gouvernements des pays membres de l’OTAN, dans toutes les villes et capitales des pays membres de l’OTAN, dans toutes les familles des pays membres de l’OTAN.

Puisque nos élites croient en leur propagande de guerre et qu’elles sont lancées sans retenue dans un processus irrationnel de fuite en avant, c’est l'étape logique suivante. Mais c’est aussi le dernier pas avant l’officialisation de la Troisième Guerre mondiale. Le choc est suffisant pour faire sortir de leur transe certaines élites nationales, celles qui certes n’ont jamais été parfaitement alignées.

Ainsi, le Premier ministre slovaque, Robert Fico, qui a survécu à la tentative d’assassinat organisée contre lui, a déclaré vouloir ne jamais laisser l’Ukraine entrer dans l’OTAN :

«Je demanderai aux législateurs sous mon contrôle en tant que président du parti Smer de ne jamais accepter que l'Ukraine rejoigne l'OTAN», a-t-il déclaré. Robert Fico estime qu’une telle démarche «serait une bonne base pour une troisième guerre mondiale». 

En coulisse tous les pays de l’OTAN ne sont pas prêts à sauter le pas et à plonger dans une guerre directe contre la Russie. Les États-Unis sont comme toujours réticents, laissant le devant de la scène à l’Europe. La France et la Grande-Bretagne sont plutôt favorables, l’Allemagne hésite et fera comme les autres ce que le Chef lui dira quand il le faudra.

Mais pour l’instant la décision n’est pas prise. Pour autant, la ligne est maintenue. La visite du nouveau Secrétaire de l’OTAN à Kiev le confirme, il réaffirme l’aide et le soutien au front ukrainien. Les Atlantistes n’ont pas l’intention de mettre un terme à leur guerre. En revanche, ils attendent de voir plus clair dans la politique américaine, car la gouvernance ne sera pas organisée de la même manière selon les résultats de l’élection présidentielle américaine. De fait, la réunion de Ramstein est dans l’incertitude et n’est plus d’une extrême urgence : l’aide courante est assurée et maintenue, le «plan de paix» présenté au nom de Zelensky - pour sauver les apparences - n’est pas d’actualité et la décision stratégique de la suite du conflit n’est pas prise.

In fine les pays de l’Axe atlantiste sont confrontés à un dilemme. Soit ils jouent l’enlisement, continuent à alimenter suffisamment le front pour maintenir la pression sur la Russie, mais sans donner l’élan nécessaire à l’accélération du conflit indispensable à sa résolution – et dans ce cas nous sommes dans une nouvelle Guerre de Cent ans, avec ses accélérations et ses ralentissements et le rapport, qui se met en place, est un rapport de faiblesse, dont il sera quasiment impossible de faire sortir un «nouveau monde», même à moyen terme. Le pourrissement devra d’abord atteindre les racines. Soit les pays atlantistes continuent leur implication grandissante dans une confrontation armée directe contre la Russie et en intégrant l’Ukraine dans l’OTAN ils intègrent le front ukrainien, ce qui nous conduit à un risque de confrontation de haute intensité, mais alors sur du court terme. Le vainqueur sera en mesure de déterminer les règles du «nouveau monde», puisqu’il aura remporté le rapport de forces. Mais nos sociétés sont-elles prêtes à cela, même si nos élites le décident, on peut en douter.

Reste une inconnue : la Russie va-t-elle reprendre réellement la main et l’initiative dans ce conflit, pour elle aussi existentiel ? Le moment est en effet opportun : incertitude politique aux États-Unis, hésitations en Europe, fatigue des peuples. Cela est possible, si elle peut y opposer une vision stratégique solide, une forte volonté politique, qui s’appuie, elle, sur un assentiment populaire.

Les opinions, assertions et points de vue exprimés dans cette section sont le fait de leur auteur et ne peuvent en aucun cas être imputés à RT.

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