L’attitude condescendante de l’Occident envers l’Afrique transparaît régulièrement, ce qui est alarmant, dénonce Moussa Ibrahim.
Dans une interview récente, Josep Borrell, haut représentant de l’Union européenne pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, a fait un certain nombre de commentaires sur l’Afrique, qui montrent clairement la pérennité de la pensée coloniale. Il a suggéré que les Africains ont besoin de supervision politique et d’éducation pour ne pas succomber à la propagande russe.
S’exprimant lors du forum public de l’OTAN, Borrell a déclaré : « En Afrique, les gens soutiennent Poutine. Ils disent que Poutine a sauvé le Donbass et que maintenant, il va venir en Afrique pour les sauver. Quel processus intellectuel se cache derrière une telle attitude ? »
Le diplomate de haut rang de l’UE se faisait ainsi l’écho d’une vision et d’une façon de penser colonialistes obsolètes. Ce point de vue condescendant est non seulement un rappel frappant de l’époque coloniale, mais aussi une extension de l’hégémonie culturelle de l’Occident aux pays du Sud. Il est essentiel de comprendre pourquoi de telles déclarations posent de graves problèmes et comment les Africains peuvent résister à cette attitude paternaliste.
Une opinion dédaigneuse et condescendante
L’idée que les Africains ont besoin d’une supervision extérieure implique qu’ils sont inférieurs par définition et manquent d’autonomie. Ceci compromet le potentiel intellectuel et la souveraineté des citoyens et des sociétés africaines, suggérant que sans intervention extérieure, les Africains ne seront pas en mesure de s’orienter dans leur paysage politique ou de reconnaître la propagande.
C’est une opinion dédaigneuse et condescendante, reflétant la conviction que les Africains sont moins capables de pensée critique et de discernement politique que les habitants des autres régions.
Historiquement, les puissances européennes ont justifié leur exploitation coloniale en prétendant apporter la civilisation et l’éducation à des peuples dits arriérés. Cette attitude paternaliste donnait l’impression que les Africains n’étaient pas capables d’autonomie et avaient besoin de la surveillance européenne.
La déclaration de Borrell fait écho à la rhétorique coloniale, ce qui implique que les Africains ont toujours besoin d’être guidés par leurs anciens colonisateurs. Des commentaires comme celui-ci ne sont pas seulement dédaigneux, ils perpétuent l’héritage de l’hégémonie culturelle occidentale où les normes, les valeurs et les systèmes de gouvernance occidentaux sont considérés comme supérieurs et universellement applicables.
Une éducation spéciale pour échapper à l'influence russe ?
Affirmant que les Africains doivent recevoir une éducation spéciale pour échapper à l’influence russe, Borrell part du principe que les vues et les modèles éducatifs occidentaux sont les seuls valables. Cela ne tient pas compte de la riche diversité des cultures, des systèmes de connaissances et des traditions politiques africaines. Cela néglige également les progrès considérables accomplis par les pays africains dans la mise en place et le maintien de leurs systèmes politiques depuis leur indépendance. L’idée que les Africains ont besoin d’une supervision extérieure porte atteinte à leur souveraineté et aux progrès qu’ils ont réalisés, ignorant la maturité politique et la complexité des sociétés africaines.
Bien plus, cette déclaration est le reflet d’une politique de double standard et hypocrite. Les pays occidentaux eux-mêmes ne sont pas à l’abri de la propagande et de la désinformation, notamment de la part de leurs propres élites militaristes. L’hypothèse selon laquelle les Africains sont extrêmement sensibles à la propagande ignore le caractère mondial de la guerre de l’information et le fait que tous les pays, y compris les pays européens, doivent faire face à ces défis. En mettant l’accent sur le fait qu’il faudrait apprendre aux Africains à éviter la propagande, on détourne l’attention des raisons profondes pour lesquelles ceux-ci pourraient trouver le message de la Russie attrayant, telles que les inégalités économiques perpétuées par l’Occident, les litiges historiques et les pratiques néocoloniales en cours. Cela suppose une solution superficielle plutôt qu’une solution aux problèmes systémiques plus profonds qui affectent le paysage politique des pays africains.
Les Africains peuvent résister à cette pensée coloniale et la combattre en adoptant une approche multidimensionnelle intégrant des stratégies politiques, éducatives, culturelles et économiques. La promotion de la souveraineté et de l’unité politiques revêt une grande importance. Le renforcement des organisations régionales telles que l’Union africaine (UA) et les communautés économiques régionales (CER) peut assurer une unité politique et le pouvoir de négociation collectif sur la scène internationale. En préconisant des solutions africaines aux défis africains, on renforce la capacité des pays du continent à faire face à leurs problèmes sans ingérence extérieure, ainsi que leur expérience. En favorisant une gouvernance démocratique et des structures de gouvernance transparentes et responsables, reflétant la volonté du peuple, on garantit que les dirigeants africains représenteront et défendront les intérêts de leur pays.
Le développement de l’éducation et de la pensée critique est une autre composante essentielle. L’élaboration et la mise en œuvre de programmes éducatifs mettant en valeur l’histoire, la culture et la contribution de l’Afrique à la civilisation mondiale contribuent à créer un sentiment de fierté et d’identité. Le développement de systèmes éducatifs privilégiant la pensée critique, la littératie médiatique et l’éducation civique permet aux individus de reconnaître la propagande et la désinformation. L’augmentation des investissements dans les universités et dans les instituts de recherche favorise l’innovation et le leadership intellectuel en Afrique.
Cultiver la fierté et la conscience culturelles est essentiel pour restaurer l’identité africaine. La glorification et la promotion des langues, des arts et des traditions africaines par les médias, la littérature et les festivals communautaires renforcent l’identité culturelle et la fierté. Le soutien aux médias africains indépendants, qui fournissent des reportages équilibrés et précis, s’oppose aux tendances extérieures qui minimisent l’importance de l’Afrique.
L’autonomisation économique est une autre stratégie essentielle. La promotion de politiques économiques favorisant l’autosuffisance, telles que le soutien à l’industrie locale, les investissements dans l’agriculture et la réduction de la dépendance de l’aide étrangère, encourage l’indépendance économique. Le renforcement du commerce intra-africain grâce à des initiatives telles que la zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAf) crée une économie durable et interdépendante sur le continent. Le soutien aux startups et aux entrepreneurs à travers l’accès au financement, à la formation et aux ressources stimule la croissance économique et crée des emplois.
Nouvelles alliances stratégiques avec des pays du Sud
La création d’alliances stratégiques avec des pays du Sud, tels que la Chine, l’Inde et l’Amérique latine, ainsi que la Russie peut également aider à contrer la domination occidentale. La diversification des partenariats offre diverses possibilités économiques, telles que le commerce, l’investissement et le développement des infrastructures. En établissant des relations avec de nombreuses puissances mondiales, les pays africains peuvent éviter une dépendance excessive d’un seul partenaire, ce qui rendra l’économie plus équilibrée et plus durable. La diversification des partenariats diplomatiques et économiques aide les pays africains à atténuer l’influence d’une puissance étrangère tout en préservant leur autonomie politique et leur souveraineté.
L’échange d’expérience sur la lutte contre le colonialisme et l’impérialisme avec les pays d’Asie et d’Amérique latine peut contribuer à la compréhension et à la solidarité mutuelles face aux problèmes mondiaux actuels. L’interaction avec les différentes cultures enrichit les sociétés africaines en les familiarisant avec des points de vue et des pratiques différents, en favorisant les échanges culturels et l’entente mutuelle. Des pays tels que la Chine, la Russie et l’Inde offrent des modèles de développement alternatifs qui diffèrent des paradigmes occidentaux, proposant aux pays africains un éventail plus large de stratégies de croissance économique et de développement. La coopération avec les pays qui développent rapidement leurs secteurs technologique et industriel peut fournir aux pays africains des informations précieuses et des opportunités pour accélérer leur propre développement.
Le renforcement de la coopération entre les pays du Sud se concentre sur la collaboration entre pays en développement pour atteindre des objectifs communs tels que la réduction de la pauvreté, le développement durable et le renforcement des capacités. Cette coopération pourrait renforcer l’influence de l’Afrique sur la gouvernance mondiale. La collaboration avec les différents partenaires mondiaux renforce la solidarité mondiale en créant un système international plus inclusif et plus équitable qui respecte les droits et les aspirations de toutes les nations.
Au cœur de la lutte générale de l’Afrique pour sa libération politique et économique se trouve la lutte pour la libération spirituelle et culturelle des vestiges du colonialisme culturel imposé par l’Occident. Cela implique la restauration du patrimoine culturel africain, le développement de la pensée critique et la promotion d’un fort sens de l’identité. La libération spirituelle jette les bases de l’indépendance politique et économique, permettant aux Africains de résister à l’influence néocoloniale et de créer des voies de développement reflétant leurs propres valeurs et aspirations.
Pour résumer, l’aspiration de l’Afrique à une véritable libération exige une approche globale qui intègre les dimensions mentales, culturelles, politiques et économiques. En valorisant leur patrimoine et en établissant des partenariats mondiaux diversifiés, les pays africains peuvent affirmer leur souveraineté, parvenir à un développement durable et changer la perception du monde en faveur d’une reconnaissance plus équitable de la contribution et des perspectives de l’Afrique. Les commentaires de Borrell servent de rappel brutal qu’il reste encore beaucoup à faire pour surmonter les stéréotypes coloniaux ancrés et créer un monde dans lequel les nations africaines seraient respectées en tant que maîtres égaux et indépendants de leur destin.
