Pour Xavier Moreau, le « front républicain » a encore permis à la caste dirigeante française de maintenir sa mainmise sur le pouvoir, mais avec une efficacité moindre qu'il y a deux décennies. Or, la crise de la dette pourrait bien, d'ici 2027, provoquer le bouleversement qui n'a pas encore eu lieu.
Le cycle électoral de l’été 2024 restera dans les mémoires comme celui d’une accélération historique. Le régime d’Emmanuel Macron était malmené depuis les législatives de 2022.
Le début de l’opération militaire spéciale avait évité au président français d’avoir à rendre des comptes sur le bilan de son premier quinquennat. Ce dernier fut marqué par la répression sauvage des « gilets jaunes » en 2018, puis par la destruction des libertés publiques au moment du COVID-19 et enfin par un accroissement inédit de la dette publique.
Le consensus des principaux leaders d’opposition sur ces sujets évita à Emmanuel Macron d’être contesté par Jean-Luc Mélenchon ou Marine Le Pen, mais le mécontentement de la population française restait bien réel. Il s’incarna dans le refus d’accorder au président réélu en 2022 la même majorité confortable qu’en 2017 et s’achève donc par la « Bérézina » de l’été 2024. Les élections européennes et le premier tour des législatives furent un référendum contre le président de la République, qui en détourna l’humiliant résultat par la dissolution du parlement, puis par la mise en place contre le Rassemblement national, du bon vieux « front républicain ».
Le «barrage républicain» a fonctionné... mais moins efficacement qu'autrefois
Ce « front républicain » est le symbole de tous les paradoxes du fonctionnement de la Ve République depuis les années 1980. Il fut habilement mis en place par François Mitterrand pour isoler le Front national de Jean-Marie Le Pen – qu’il avait lui-même contribué à faire monter dans l’opinion publique – en interdisant aux partis de centre-droit de s’allier avec lui.
Le paradoxe de l’élection du dimanche 7 juillet 2024 est que Marine Le Pen a subi la même punition que son père en avril 2002, bien que son programme politico-économique soit peu ou prou une copie de celui de François Mitterrand en 1981. Le « front républicain » n’a donc rien à voir avec la lutte contre des idées politiques supposées extrémistes. Il est le moyen pour la caste dirigeante extrême-gauche/centre-gauche de ne pas avoir à partager le gâteau républicain duquel Marine Le Pen et son entourage estiment légitimement avoir droit à un morceau.
Le système a une nouvelle fois fonctionné, mais beaucoup moins bien qu’avant. En 2002, Jacques Chirac, président sortant très impopulaire, l’emporta avec plus de 82% face à Jean-Marie Le Pen. Bien que ce dernier n’ait jamais eu ni l’envie ni la moindre chance de l’emporter, il subit à cette occasion une campagne politique de haine orwellienne aussi violente qu’efficace. Vingt-deux ans plus tard, la victoire de la coalition extrême-gauche/centre-gauche fait davantage penser à une victoire à la Pyrrhus.
Le RN est toujours le premier parti de France avec plus de 10 millions d’électeurs. Face à lui, une coalition hétéroclite à laquelle il sera extrêmement difficile de trouver le moindre dénominateur commun pour diriger la France. Le grand perdant est resté Emmanuel Macron, qui espérait faire assumer au fanfaronnant et inexpérimenté Jordan Bardella son catastrophique bilan économique, éliminant ainsi le Rassemblement national du jeu politique pour les dix prochaines années. Son échec est total car il conserve l’entière responsabilité de la situation sans pouvoir désormais se cacher derrière un Premier ministre incompétent qui lui aurait été imposé.
Marine Le Pen doit revoir sa copie
Pour Marine Le Pen, cette défaite relative vaut avertissement. Si l’élection présidentielle avait lieu demain, elle perdrait à coup sûr face au même « front républicain ». Malgré la gauchisation quasi-totale de son programme, elle n’a pas trouvé l’espace politique qui lui permettrait d’être élue. En mauvais joueur d’échec, elle a compté sur les erreurs de ses adversaires et c’est elle qui les a accumulées. Sa politique migratoire est l’unique domaine qui la différencie d’Emmanuel Macron. En dehors de celle-ci, son alignement est total sur les questions sociales, économiques et diplomatiques. Le Rassemblement national n’incarne pas la rupture, mais la continuation d’une politique qui échoue depuis 50 ans.
Le président français ne pourra pas dissoudre le parlement une nouvelle fois avant un an ; c’est le temps dont dispose Marine Le Pen pour revoir sa copie. Une nouvelle opportunité devrait se présenter pour la présidente du Rassemblement national d’ici 2027 avec le poids de la dette française. Une explosion des taux d’intérêt et même un défaut de paiement mettraient fin au modèle économique socialiste français et à l’État providence. Cela provoquerait une véritable crise de régime. On ne voit jusqu’ici au RN, pourtant principal parti d’opposition français, ni les solutions qui devront alors être proposées, ni les personnalités qui devront les appliquer.