En dénonçant «une propagande de guerre par la peur» menée par Volodymyr Zelensky pour «interrompre le processus de paix», Ségolène Royal est entrée dans le camp des infréquentables, selon Gérard Maltorne. L’espace d’un court instant néanmoins ?
Ségolène a dérapé. Elle a remis en cause le narratif ukrainien. La voilà désormais dans le camp des maléfiques. Quand j’étais petit, il y avait Rahan, l’homme préhistorique blond qui parlait avec émotion de ceux-qui-marchent-debout et sont tous frères. Ségolène appartient désormais au clan de ceux-qui-rampent-dans-l’égout et dont on n’est pas fier.
Ceux qui condamnent en disent long sur la condamnation
Ne revenons pas sur la pertinence de ses doutes, sur la réalité de ce qui s’est passé à Marioupol et à Boutcha, il est trop tôt pour savoir quoi que ce soit (sinon qu’il y a une guerre, même si elle n'a pas été déclarée, et des victimes). L’histoire récente, Bagdad, Timisoara, Damas ou Kosovo, nous a bien montré que l’information est d’abord une arme, magnifiquement utilisée par tous les camps de toutes les guerres, et que la vérité met longtemps à sortir du puits. Comme disait Vialatte, la seule vérité immédiate et certaine, c’est celle des mouches sur les cadavres.
Revenons plutôt sur les réactions de ceux qui condamnent Ségolène : Roselyne Bachelot, dont l’éthique n’a d’égale que la science, parle de «dérive» (ça doit être le stade ultime avant le dérapage), et elle a la voix grave, BHL nous dit qu’elle «s’égare», et il a le regard grave. Égarée dérivant, Ségolène a clairement perdu la bonne boussole, celle qui indique la direction du Bien.
Il lui aurait pourtant suffi de suivre en tout Macron ou BHL, qui indiquent en permanence non seulement la bonne direction mais encore ce qu’il faut voir, mais en outre ce qu’il ne faut pas regarder (les causes franco-françaises ou fédéralistes de notre fragilité énergétique, les droits de l’homme en Arabie Saoudite…), et de surcroît ce qu’il ne faut pas penser. Roselyne a adopté la méthode et tout lui réussit depuis, argent-amour, c’est encore mieux qu’un marabout.
Depuis, Ségolène s’est excusée. Elle a dit que les gens l’avaient mal comprise, qu’elle ne niait rien (un peu quand même, hein), bref que ses propos avaient été instrumentalisés contre elle, ce qui signifie généralement que quelqu’un a parlé et est contredit ou attaqué pour ses propos et s’en étonne car il ne l’avait pas prévu (mais les gens sont méchants). Elle n’a pas pu dire que ses propos avaient été instrumentalisés par l’extrême-droite car ce sont tous ses ex-amis de gauche et du centre qui les lui reprochent avec une vertueuse indignation. Baiser de la mort, ou presque, Zemmour la félicite pour son courage !
Dans le camp du Bien, point de propagande
Ségolène s’est excusée mais elle a de surcroît expliqué qu’elle rejetait toute propagande, et ça, Ségolène, c’est maladroit. Car il n’y a pas de propagande dans le camp du Bien, il n’y a que la vérité. Ce sont les autres qui propagandisent. Pour tout ce qui est incertain, tangent, vacillant, les militants de gauche et d’extrême-gauche ont tôt fait d’expliquer que ceux qui sont contre sont d’extrême-droite, à la surprise de la grande masse qui se voit extrémisée malgré elle.
C’est la vie, Ségolène, te voilà menacée d’extrêmedroitisation parce que tu ne dis pas ce qu’il faut, comme quelqu’un qui s’étonnerait qu’un homme puisse être enceint ou qu’on puisse aimer la viande grillée. Tes amis ont dégainé contre toi l’arme fatale que tu maitrisais naguère si bien : si tu ne cries pas avec la meute, tu n’es qu’une maudite et ta parole n’est plus audible, déplorable engeance.
Ségolène rentrera-t-elle dans le rang ?
On verra ta prochaine prise de parole, Ségolène. On saura si tu es rentrée dans les rangs de ceux qui ne s’indignent jamais qu’à bon escient, en fonction de la rente sociale que leurs indignations leur assurent, quitte à détourner les yeux des vrais scandales et des vraies misères. On saura si tu es retournée chez toi.
En attendant, les propagandes font rage, et les mouches prospèrent.
Gérard Maltorne