Russie : classée «agent de l'étranger», une branche de Memorial dissoute à son tour
Accusé entre autres d'avoir enfreint la loi sur les «agents de l'étranger», ce qu'il conteste, le Centre de défense des droits de l'homme de Mémorial a été dissous, comme la maison-mère de cette ONG. La CEDH demande la suspension de la décision.
Le tribunal de la ville de Moscou a prononcé ce 29 décembre la dissolution du Centre de défense des droits humains de Mémorial. Cette branche de l'ONG, qui entend perpétuer la mémoire des violations des droits de l'homme dans le passé et défendre ces droits aujourd'hui, est notamment accusée d'avoir enfreint les obligations liées à son statut d'«agent de l'étranger». Il lui est par ailleurs reproché d'avoir fait l'apologie du «terrorisme» et de l'«extrémisme». La structure principale de Mémorial, qui conteste toutes ces accusations, avait également été dissoute la veille. A l'international, plusieurs gouvernements occidentaux ainsi que des associations de défense des droits de l'homme protestent contre la décision.
L'ONG accusée de violer la loi sur les «agents de l'étranger»
La cour a ainsi accédé à la demande de dissolution prononcée par le procureur de Moscou. Selon la justice russe, Mémorial perçoit depuis 2016 des fonds d'organisations étrangères et est donc classé à ce titre comme «agent de l'étranger».
En Russie, les entités ou individus considérés comme tels par la justice doivent, selon une loi de 2012, s'enregistrer auprès des autorités, effectuer des démarches administratives régulières et signaler clairement ce statut dans leurs publications, sous peine d'amendes ou d'interdictions. Une mesure visant, selon les parlementaires qui l'ont votée, à garantir pour les citoyens russes la transparence sur ces organisations. De son côté, l'ONG assure s'être acquittée des amendes qui lui ont été infligées.
Le Centre de défense des droits humains de Memorial est en outre accusé d'avoir fait l'apologie d'«activités extrémistes et terroristes» — ce qu'elle dément fermement — en publiant une liste de détenus présentés comme des prisonniers politiques, parmi lesquels se trouvaient des membres d'organisations interdites en Russie.
Memorial dénonce des poursuites «politiques»
L'avocate de Memorial Maria Eïsmont, citée par l'agence de presse Tass, a fait savoir qu'elle ferait appel de la décision. «Si l'on nous dissout, cela confirmera que les poursuites à des fins politiques sont devenues une réalité systémique de nos vies», avait plaidé devant le tribunal Alexandre Tcherkassov, directeur du Centre de défense des droits humains de Memorial.
Plusieurs dizaines de personnes s'étaient par ailleurs rassemblées devant le tribunal pour exprimer leur soutien à cette organisation créé en 1989 par des dissidents soviétiques, dont le prix Nobel de la Paix Andreï Sakharov.
A l'international, des chancelleries occidentales, promptes à commenter les décisions de la justice russe, mais également des organisations de défense des droits de l'Homme ont protesté.
Ce 29 décembre, le Bureau des droits de l'homme des Nations unies a regretté des décisions qui «affaiblissent encore davantage la communauté en déclin des droits de l'Homme» en Russie. L'ONG Amnesty International a qualifié de «bidon» les accusations visant Mémorial.
La Cour européenne des droits de l'Homme (CEDH) a demandé au gouvernement russe de «suspendre» cette dissolution le temps d'étudier une procédure d'urgence envoyée par l'ONG à la Cour. La veille, Marija Pejčinović Burić, la secrétaire générale du Conseil de l'Europe, dont la CEDH est le bras judiciaire, avait évoqué une nouvelle «dévastatrice pour la société civile».
Le secrétaire d'Etat américain Antony Blinken avait pour sa part dénoncé une «persécution», tandis que Paris déplorait une «terrible perte pour le peuple russe».
Le directeur exécutif de l'ONG Human Rights Watch Kenneth Roth a pour sa part accusé le «gouvernement russe [de ne] plus tolérer de recensement objectif et honnête de son comportement».
Financements étrangers d'ONG : un enjeu d'importance pour les autorités russes
Les autorités russes prennent très au sérieux la menace que représentent selon elles les financements étrangers dont bénéficient certaines ONG opérant sur le territoire national.
Outre la loi de 2012, un autre texte adopté en 2015 prévoit que «l'activité d'une organisation non gouvernementale étrangère ou internationale représentant une menace pour les fondements constitutionnels de la Fédération de Russie, la capacité de défense du pays ou la sécurité du gouvernement puisse être reconnue indésirable».
En avril dernier, alors que 12 nouvelles organisations avaient été déclarées «indésirables» dans le pays, le procureur général Igor Krasnov avait dénoncé les tentatives venues de l'étranger «d'influer sur la situation sociale et politique du pays».