L'Union européenne n'a pas besoin du vaccin russe Spoutnik V contre le Covid-19 et pourra atteindre une immunité collective d'ici le 14 juillet avec les vaccins disponibles, si leurs calendriers de livraison sont respectés, a déclaré le 21 mars le commissaire européen au marché intérieur Thierry Breton. «On n'aura absolument pas besoin de Spoutnik V [...] pas d'autres vaccins non plus. Il faut maintenant que ceux qui sont là soient produits en masse et administrés en masse», a-t-il dit sur TF1.
«Spoutnik V, les Russes ont un mal fou à le fabriquer. Il faudra sans doute les aider, on verra ça au second semestre. S'il faut leur fournir une ou deux usines pour le fabriquer, pourquoi pas, mais pour l'instant priorité aux Européens», a-t-il ajouté. «Aujourd'hui, nous avons clairement entre nos mains la capacité de livrer 300 à 350 millions de doses d'ici la fin du mois de juin et donc d'ici le 14 juillet [...] nous avons la possibilité d'atteindre une immunité au niveau du continent.»
Nous continuerons à sauver des vies dans d'autres pays
Autant de critiques dénoncées par le président russe Vladimir Poutine, lors d'une réunion télévisée, le 23 mars. «[C'est] une déclaration étrange», a ainsi répliqué le chef d'Etat. «Nous n’imposons rien à personne. En Europe, nombreux sont ceux qui ne savent pas que la Russie a déposé il y a longtemps une demande d'enregistrement de son vaccin auprès de l’Agence européenne des médicaments. Cela a été fait, comme Tatiana Golikova me l’a rapporté ce matin, le 21 janvier 2021. Et ce n’est que le 4 mars que nous avons été informés du fait que notre demande commençait à être examinée», a-t-il tout d'abord souligné. «Quand nous entendons des représentants officiels faire de telles déclarations, une question s’impose : quel intérêts défendent et représentent de telles personnes ? Les intérêts de sociétés pharmaceutiques ou ceux des citoyens des pays européens ? Qu’est-ce qu’ils font, du lobbying ?», a poursuivi le président russe.
Accusant Thierry Breton de partialité politique, le fabricant de Spoutnik V a également défendu sur Twitter la fiabilité et l'efficacité de son produit par rapport à «certains autres vaccins approuvés dans l'UE». Il s'est par ailleurs interrogé sur l'opportunité de demander une autorisation dans l'UE auprès de l'Agence européenne des médicaments (EMA). «S'il s'agit d'une position officielle de l'UE, merci de nous informer qu'il n'y a aucune raison de solliciter une demande d'autorisation de l'EMA en raison de vos préjugés politiques. Nous continuerons à sauver des vies dans d'autres pays», est-il écrit sur le compte Twitter du vaccin.
En vue de son éventuel déploiement dans l'Union européenne, le Spoutnik V a commencé à être examiné début mars par l'Agence européenne des médicaments. Des experts de l'EMA sont attendus en Russie le 10 avril a en outre fait savoir le ministre russe de la Santé Mikhail Murashko.
«Ingérence politique» de l'EMA ?
Mais la présidente de l'institution Christa Wirthumer-Hoche a eu des mots étonnants en parlant de ce processus d'homologation : elle a déclaré le 7 mars sur la chaîne de télévision autrichienne ORF déconseiller «vivement» de délivrer une autorisation nationale en urgence au vaccin russe. «C'est un peu comparable à la roulette russe», a-t-elle commenté. Les développeurs du vaccin ont demandé des «excuses publiques» sur ce qu'ils considèrent comme «une possible ingérence politique dans l'examen de l'EMA».
Plusieurs pays membres de l'Union européenne n'ont toutefois pas attendu l'autorisation de Bruxelles pour permettre l'usage du produit dans le cadre de leur campagne de vaccination. Le 12 février, la Hongrie est devenu le premier pays de l'UE à homologuer le vaccin russe, tandis que la Slovaquie a reçu le 1er mars sa première livraison de Spoutnik V. La République tchèque a elle aussi fait part de son intention d'acquérir le vaccin mis au point par l'institut Gamaleïa. Les autorités russes se disent prêtes à fournir dès juin des vaccins à 50 millions d'Européens, soit 10% de la population.
Kirill Dmitriev, le patron du Fonds souverain russe (RDIF) qui a financé la mise au point du Spoutnik V, a également fait savoir le 15 mars que des accords de production du vaccin avaient été trouvés avec plusieurs entreprises européennes, «d'Italie, d'Espagne, de France et d'Allemagne». Plusieurs responsables régionaux allemands ont ainsi exhorté le 18 mars les autorités européennes à accélérer l'examen du vaccin Spoutnik V et à anticiper son déploiement dans l'ensemble de l'UE. La chancelière allemande Angela Merkel s'est dite prête à commander le produit pour son pays, s'il est autorisé dans l'Union européenne.
Alors que le vaccin russe est désormais autorisé dans 54 pays, couvrant 1,4 milliard de personnes, l'intérêt de plusieurs pays de l'UE pour ce produit augmente au moment où le vaccin développé par AstraZeneca et l'université d'Oxford connaît de grosses difficultés. La confiance des Européens dans son utilisation a chuté ces deux dernières semaines, sur fond d'inquiétudes quant à d'éventuels effets secondaires, a montré une étude d'opinion YouGov publiée ce 22 mars. Le vaccin d'AstraZeneca serait perçu comme plus dangereux que sûr en Allemagne, France, Espagne et Italie, indique cette étude réalisée entre le 12 et 18 mars.
Son utilisation avait été suspendue dans plusieurs pays par crainte qu'il provoque des caillots sanguins, potentiellement mortels. Le 18 mars, l'EMA l'a néanmoins jugé «sûr et efficace», et l'utilisation du vaccin a repris dans plusieurs pays. En revanche, la décision de l'Agence européenne concernant le Spoutnik V se fait toujours attendre.