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Ouïghours du Xinjiang : un dossier brûlant au carrefour des agendas politiques

A Washington comme à Paris, politiques et grands médias ne cessent de s'indigner du traitement réservé à la minorité musulmane par Pékin. Mais ces arguments humanitaires n'occultent-ils pas un agenda plus stratégique ?

Dans le dossier du traitement de la minorité musulmane des Ouïghours par le pouvoir central chinois, la question de la fiabilité des informations se révèle particulièrement épineuse. D'une part, certaines sources soutenant les accusations portées envers la Chine font l'objet de critiques ; d'autre part, Pékin se montre réticent à communiquer en détails sur cette question qu'elle estime relever de sa politique intérieure.

Pourtant, la défense des Ouïghours n'en est pas moins brandie comme un argument par les diplomaties de différents pays, et en premier lieu par Washington. Souci véritable de défense des droits de l'homme, ou opportunité d'attaquer la Chine sur un dossier sensible ?

Washington à la rescousse des Ouïghours

Voilà plusieurs années que les Etats-Unis et la Chine se livrent une guerre commerciale particulièrement intense. Dans ce contexte, Washington ne lésine pas sur les remontrances adressées à Pékin. Outre les questions purement économiques, comme les empoignades au sujet de Huaweï ou encore de TikTok, Washington a également épinglé à de nombreuses reprises Pékin pour sa gestion de la pandémie de Covid-19.

Mais ce n'est pas tout ; certains dossiers relatifs au respect des droits de l'homme, comme la question hongkongaise ou le dossier des Ouïghours, sont également brandis par les Etats-Unis pour justifier mises en garde et sanctions contre la diplomatie chinoise.

Cette dernière question est d'ailleurs particulièrement sensible puisque le Congrès mondial des Ouïghours, organisation internationale se donnant pour vocation de défendre les droits de cette minorité à l'intérieur comme à l'extérieur du Xinjiang, bénéficie de financements américains.

La très controversée organisation National Endowment for Democracy (NED), accusée par certains observateurs d'agir comme le bras armé de la CIA, explique ainsi sur son site avoir versé plus d'un million de dollars à l'organisation depuis 2016 pour «sensibiliser et soutenir les droits humains des Ouïghours», notamment en «soulignant les violations des droits de l'Homme dans le [...] Xinjiang».

Les Etats-Unis se soucieraient-ils sincèrement du sort de cette minorité musulmane chinoise ? Sur les réseaux sociaux, le secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo se montre en tout cas particulièrement véhément sur le sujet, justifiant régulièrement le bien-fondé des sanctions américaines visant la Chine et appelant «le monde» à emboîter le pas de Washington. «Nous appelons le monde à se joindre à nous pour condamner les violations odieuses des droits de l'homme de ses propres citoyens de la part du Parti communiste chinois», lançait-il dans un tweet publié le 31 juillet 2020, annonçant des sanctions contre le Corps de production et de construction du Xinjiang, organisme économique public chinois actif dans cette région particulièrement riche en ressources.

Quelques jours plus tôt, le 9 juillet, le même Mike Pompeo écrivait sur Twitter : «Aujourd'hui, j'ai désigné trois hauts responsables du Parti communiste chinois dans le Xinjiang pour des violations flagrantes des droits de l'homme, les rendant ainsi, eux et les membres de leur famille immédiate, interdits d'entrée aux Etats-Unis.»

La réponse de Pékin ne s'était pas fait attendre puisque, dès le 10 juillet, Zhao Lijian, porte-parole du ministère chinois des Affaires étrangères, dénonçait «une grave ingérence dans les affaires intérieures de la Chine» portant «gravement atteinte aux relations sino-américaines». Le diplomate en profitait pour contre-attaquer en annonçant des «mesures de réciprocité vis-à-vis des organisations et individus américains qui se sont mal comportés sur les questions relatives au Xinjiang».

En France, des appels aux sanctions

Entre les diplomaties chinoise et française, le ton n'est guère meilleur.

Le 20 juillet, la question de la politique de Pékin envers les minorités du Xinjiang s'est invitée avec fracas sur le devant de la scène médiatico-politique française, avec la parution, dans Libération, d'un dossier intitulé Ouïghours : génocide en cours, dans lequel témoignait notamment une victime de stérilisation forcée.

Le lendemain, intervenant devant l'Assemblée nationale, le ministre des Affaires étrangères Jean-Yves Le Drian qualifiait d'«inacceptable» l'internement de membres de la minorité ouïghoure. Le chef de la diplomatie française évoquait «des camps d'internement pour les Ouïghours, des détentions massives, des disparitions, du travail forcé, des stérilisations forcées, la destruction du patrimoine culturel ouïghour et en particulier des lieux de culte, la surveillance de la population et plus globalement tout le système répressif mis en place dans cette région».

Réponse du tac-au-tac de la part de Pékin, par la voix de Wang Wenbin, un porte-parole de la diplomatie chinoise : «Nous sommes fermement opposés à l'utilisation des questions religieuses à des fins politiques et d'ingérence dans les affaires intérieures de la Chine.» Wang Wenbin dénonçait en outre les «mensonges» selon lesquels les centres de formation professionnelle du Xinjiang seraient «des camps de concentration» où plus d'un million d'Ouïghours seraient emprisonnés, mettant en avant la nécessité pour Pékin de lutter contre «le terrorisme et le séparatisme».

Si Paris n'a pas été jusqu'à transformer, à l'instar de Washington, ses réprimandes en sanctions, des appels en ce sens ont été émis par diverses personnalités politiques françaises.

Réagissant à la publication par Libération du témoignage d'une victime de stérilisation forcée, le député européen social-démocrate Raphaël Glucksmann commentait le 21 juillet : «Enfin, en France et en Europe, le mur de silence qui entoure la déportation des Ouïghours se fissure.»

Le fondateur du parti Place publique poursuivait en appelant à l'action : «Ce mouvement doit s’amplifier pour obliger nos dirigeants à parler et surtout à agir. L’UE et la France doivent annoncer des sanctions contre les dirigeants chinois impliqués dans ce crime contre l’humanité.»

En dehors de Raphaël Glucksmann, particulièrement actif dans cette campagne, le député Aurélien Taché (EDS, ex-LREM) a, de son côté, soumis au chef de l'Etat la demande de 30 parlementaires de «traduire la Chine devant la Cour pénale internationale pour crimes contre l'humanité au regard des persécutions qu'elle a fait subir à la communauté ouïghoure dans le Xinjiang».

Devant l'ONU, 46 pays soutiennent la politique de Pékin

Pourtant, au-delà des accusations de violation des droits de l'homme formulées par certains pays, une dimension stratégique et politique se dessine. En témoigne le bras de fer de déclarations pro et anti-Pékin qui s'est récemment invité à l'Organisation des Nations unies (ONU), sur le sujet.

Nous réaffirmons [...] notre opposition ferme à la pratique de politisation des questions de droits humains et au deux poids, deux mesures

En écho à une déclaration commune dans laquelle 27 Etats (dont la France, le Royaume-Uni ou encore l'Allemagne) s'inquiétaient du traitement des minorités dans le Xinjiang, 46 pays répondaient le 1er juillet par une contre-déclaration, dans laquelle ils approuvaient l'action du pouvoir central chinois au Xinjiang. Parmi les signataires (en dehors de la Chine elle-même), on retrouvait entre autres la Russie, le Venezuela, Cuba... mais aussi de nombreux pays à majorité musulmane comme l'Arabie saoudite, l'Iran, l'Egypte, l'Irak, la Palestine ou encore la Syrie.

Si la vue des auteurs de cette contre-déclaration faisait s'étrangler Raphaël Glucksmann, qui dénonçait une «liste de la honte», les signataires soulignaient de leur côté leur «opposition ferme à la pratique de politisation des questions de droits humains et au deux poids, deux mesures».

Considérant le «terrorisme et l'extrémisme» comme des «ennemis communs à tous les êtres humains», les 46 signataires saluaient le fait que Pékin ait ramené «la sécurité et la stabilité» dans le Xinjiang tout en «sauvegardant» les «droits humains des personnes de tous les groupes ethniques» de cette région. «Nous exhortons à s'abstenir d'allégations infondées contre la Chine, basées sur la désinformation», poursuivaient les 46 pays en question.

En outre, en juillet 2020 également, le président turc Recep Tayyip Erdogan a prôné après une visite en Chine une solution à la situation des Ouïghours au Xinjiang «tenant compte des sensibilités» des deux parties. Une volte-face diplomatique d'Ankara : au début de l'année 2019, le ministère turc des Affaires étrangères avait qualifié de «honte pour l'humanité» le traitement réservé aux Ouïghours.

Sous le vernis humanitaire, la confrontation stratégique ?

Comment comprendre le soutien international affiché par certains Etats à la politique de Pékin au Xinjiang, à la lumière du récit médiatique dominant, largement centré, en France notamment, sur la question des droits de l'homme ?

Pour le sociologue allemand Adrian Zenz, en pointe dans la dénonciation de la répression des Ouïghours mais dont les travaux soulèvent des critiques, la réponse est claire. «La plupart des [46] pays ont signé par pragmatisme, même s’ils ne sont pas forcément d’accord avec ce qu’il se passe dans le Xinjiang, car la relation avec la Chine est plus importante que les questions de droits de l’Homme», estime-t-il, cité par Libération

Mais ces accusations demeurent aussi difficilement vérifiables que les intentions louables proclamées par Washington ou Paris en matière de défense des droits des minorités chinoises... qui cadrent curieusement avec leur agenda politique.