Lors d'une cérémonie qui s'est déroulée simultanément à Paris et à Moscou par visioconférence le 23 juin, le président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat, Christian Cambon, et le président du comité des Affaires internationales du Conseil de la Fédération de Russie, Konstantin Kossatchev, ont remis officiellement un rapport intitulé France-Russie : pour un agenda de confiance au président du Sénat, Gérard Larcher, et à la présidente du Conseil de la Fédération de Russie, Valentina Matvienko, ainsi qu'aux ambassadeurs des deux pays.
Dans cette entreprise diplomatique unique passant en revue de nombreux volets (politique, économique, culturel, militaire ou encore technologique) des relations bilatérales entre la France et la Russie, les sénateurs des deux pays ont livré «sans langue de bois» leurs analyses et attentes dans l'objectif d'«aller plus vite et plus loin dans la relation franco-russe».
«Le temps est venu de réfléchir à un nouvel acte d'Helsinki, pour rétablir la confiance en Europe»
«Nous avons mené à bien ce projet, engagé depuis des mois, malgré la crise du Covid-19. Car à nos yeux, il est essentiel que le dialogue franco-russe puisse se poursuivre et s'approfondir, quelles que soient les difficultés. Accompagner les efforts des gouvernements, mais aussi prévoir, anticiper, c'est la vocation de la diplomatie parlementaire», a déclaré Gérard Larcher lors de sa prise de parole. Il a regretté la poursuite du régime européen de sanctions contre la Russie et a noté que la résolution de la chambre haute du Parlement qui appelle à un assouplissement des sanctions était toujours d'actualité. Il s'est également dit ouvert à la proposition de créer une dimension parlementaire du «format Normandie». Une perspective à laquelle a abondé Valentina Matvienko : «Nous proposons un certain nombre de domaines spécifiques pour notre travail commun, où nous pouvons obtenir de vrais résultats.»
De son côté, Christian Cambon a évoqué la «dimension d'espérance» contenue dans ce rapport et dit «assumer» la volonté française de maintenir «coûte que coûte» le dialogue avec Moscou, comme l'avait exprimé le président français Emmanuel Macron le 3 février depuis Varsovie : «La France n'est ni pro-russe, ni anti-russe, elle est pro-européenne. Même si elle n'est pas dans l'Union européenne, la Russie est dans l'Europe. Et nous n'avons aucun intérêt à ne pas regarder en face notre relation avec la Russie et à laisser des malentendus.»
On ne cède en rien sur les convictions, sur les condamnations, mais aucun conflit international ne se réglera sans la Russie
«Il s'agit d'une démarche originale et inédite, qui nous permet d'exposer nos visions respectives et de nous parler franchement», a ensuite expliqué le sénateur du Val-de-Marne membre du groupe Les Républicains (LR). Et de poursuivre : «Dans le rapport, nous ne faisons pas de langue de bois sur nos divergences. Nous soulignons aussi les points de convergence : nécessité de maîtrise des armements, lutte contre le terrorisme islamiste, préservation de l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, lutte contre le changement climatique, dénonciation des mesures à portée extra-territoriale, en particulier.»
«La discussion a montré qu'il existe des sujets de dialogue. Nous espérons la poursuivre afin de parvenir à des décisions concrètes, » s'est réjoui Konstantin Kossatchev.
Le président de la commission des Affaires étrangères et de la Défense du Sénat a également rejeté tous les procès en naïveté qui sont faits à la France, désireuse de maintenir la Russie à la table des négociations internationales, mais néanmoins consciente des pierres d'achoppement entre les deux pays. «On ne cède en rien sur les convictions, sur les condamnations, mais aucun conflit international ne se réglera sans la Russie. La philosophie de ce rapport, c'est de dire à la Russie : on sait et on attend des progrès», a fait valoir Christian Cambon.
Pour ce faire, les sénateurs français ont exprimé clairement les attentes de Paris vis-à-vis de Moscou : «Avancées dans le règlement du conflit à l'est de l'Ukraine et l'application des accords de Minsk, qui permettraient de sortir progressivement des sanctions, amélioration de nos relations sur le terrain en Afrique, engagement de la Russie, aux côtés de la France, dans un dialogue visant à la reconstruction d'un régime de maîtrise des armements.»
«Le temps est venu de réfléchir à un nouvel acte d'Helsinki, pour rétablir la confiance en Europe», a poursuivi Gérard Larcher.
Face aux défis internationaux à venir, Moscou favorise la coopération franco-russe
De leur côté, les sénateurs russes ont exprimé leur profond mécontentement à l'égard de l'expansion de l'Organisation du traité de l'Atlantique nord (OTAN) vers l'est, se rapprochant toujours plus de leurs frontières, qu'ils accusent d'avoir provoqué ou aggravé des conflits «en plaçant les gouvernements et les peuples devant une parodie de choix entre divers centres de force».
Les accusations, notamment émises par le Royaume-Uni, l'Estonie et l'Allemagne, de recours aux armes chimiques en Syrie sont un dossier «politisé», ont également estimé les membres du Conseil de la Fédération de Russie. Quant au conflit ukrainien, les événements de Maïdan en 2014 lors desquels le pouvoir en place a été renversé sont présentés comme «un coup d'Etat», et le rattachement par référendum de la Crimée à la Russie en 2014 est décrite comme le fruit de «la réunification volontaire [de la région] avec la Russie».
Le vice-président de la Commission des Affaires internationales du Conseil de la Fédération de Russie, Andreï Klimov, a souligné que plusieurs menaces et défis internationaux pourraient favoriser la coopération franco-russe : la question migratoire, la non-prolifération des armes nucléaires, la prolifération incontrôlée des technologies biologiques militaires et les dangers dans le domaine des technologies de l'information et de l'informatique.
Il ressort de ce rapport une énumération sans pudeur des positions politiques et diplomatiques de Paris et de Moscou. Un exercice qui a révélé le sentiment assez clair que la politique des sanctions imposées par l'Union européenne (UE) à la Russie, renouvelées de six mois le 19 juin, n'était pas la réponse adéquate. «Le Sénat appelle la Russie à de vrais progrès dans l'application des accords de Minsk, de nature à permettre la levée des sanctions qui pénalisent nos entreprises», a ainsi expliqué Christian Cambon.