Interview de Vladimir Poutine au journaliste américain de CBS en intégralité

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A la veille de la 70ème Assemblée Générale de l'ONU, Vladimir Poutine a accordé une interview au journaliste américain Charlie Rose pour les chaînes CBS et PBS, où il a répondu à toutes questions qui font l’actualité.

Ch. Rose : Je voudrais vous remercier pour votre invitation ici, dans votre résidence, en cette belle journée. Ici, vous l’appelez «l’été de la femme». Nous allons enregistrer notre interview. Elle sera diffusée dimanche et, le lendemain, vous prendrez la parole à l’ONU où votre intervention est très attendue. Vous allez prendre la parole à l’ONU pour la première fois depuis de nombreuses années. Qu’allez-vous dire à l’ONU, aux Etats-Unis et au monde entier ?

V. Poutine : Comme notre interview sera diffusée juste avant mon discours, je pense qu’il serait inopportun d’exposer aujourd’hui tout ce que je prévois de  dire.

Mais dans les grandes lignes, bien sûr, je rappellerai l’histoire de l’Organisation des Nations Unies. Je peux déjà vous dire que la décision de créer l’ONU a été prise justement dans notre pays, en Union Soviétique lors de la conférence de Yalta. L’Union Soviétique et la Russie en tant que successeur de l’Union Soviétique, est donc un pays fondateur de l’Organisation des Nations Unies et membre permanent du Conseil de sécurité.

Bien sûr, il sera nécessaire d’évoquer le présent, de parler des développements de la situation internationale et de rappeler que l’ONU reste l’unique organisation internationale universelle appelée à maintenir la paix partout dans le monde. Et dans ce domaine, il n’y a aujourd’hui aucune alternative.

Il est également certain que l’ONU doit s’adapter à un monde en mutation ; nous en discutons en permanence. Comment l’Organisation doit-elle changer, à quel rythme et qu’est-ce qui doit être amélioré.

Bien sûr, il faudra dire et pas seulement dire, mais surtout utiliser cette tribune internationale pour présenter la vision russe des relations internationales d’aujourd’hui, ainsi que du futur de cette organisation et de celui de la communauté internationale.

Ch. Rose : On s’attend à ce que vous parliez de la menace que constitue Daesh et de la présence russe en Syrie, car ces deux choses sont liées. Quel est le but de votre présence en Syrie et son rapport avec la lutte contre Daesh ?

V. Poutine : Je pense, je suis même certain, que presque tous ceux qui prendront la parole à l’ONU vont parler de la nécessité de lutter contre le terrorisme. Pour ma part, je ne pourrai pas m’abstenir d’évoquer ce sujet. C’est naturel, car il s’agit d’une menace très sérieuse pour nous tous et c’est un défi pour le monde entier. Actuellement le terrorisme menace un grand nombre d’États et beaucoup de gens en souffrent ; des centaines de milliers, des millions de personnes. Et nous avons tous un objectif : mettre fin à ce mal commun.

En ce qui concerne la présence russe en Syrie, comme vous dites, elle se présente aujourd’hui sous forme de livraisons d’armes au gouvernement syrien, de formations effectuées auprès de son personnel et d’aide humanitaire au peuple syrien.

Nous nous basons sur ce qui dit la Charte des Nations Unies, c’est-à-dire les principes fondamentaux du droit international contemporain, selon lesquels une aide, quelle que soit la forme qu’elle prend, y compris une aide militaire, peut et doit être effectuée uniquement au profit de gouvernements légitimes des pays, avec leur accord, ou à leur demande, ou bien sur décision du Conseil de sécurité de l’ONU.

En ce moment, il s’agit d’une demande d’aide militaire et technique, formulée par le gouvernement syrien. Et nous fournissons cette aide dans le cadre de contrats internationaux tout-à-fait légaux.

Ch. Rose : Le secrétaire d’État américain, John Kerry, a dit qu’il saluait votre soutien concernant la lutte contre Daesh. Mais d’autres considèrent qu’il s’agit d’avions de guerre et de systèmes de missiles anti-aériens qui sont utilisés contre l’armée régulière et non contre des extrémistes.

V. Poutine : Il n’y a qu’une seule armée régulière et légitime là-bas, celle du président syrien Bachar el-Assad. D’après l’interprétation de certains de nos partenaires internationaux, c’est une opposition qui lutte contre lui. Mais en vérité, réellement, l’armée d’Assad se bat contre des organisations terroristes. Vous devez être mieux au courant que moi des auditions qui ont eu lieu au Sénat américain, si je ne me trompe pas, pendant lesquelles des militaires du Pentagone ont présenté le bilan de leur activité devant les sénateurs, liée à la préparation des unités armées de l’opposition.

Le but était tout d’abord de préparer 5 000 ou 6 000 combattants, puis 12 000. En fin de compte, on n’a formé que 60 personnes et quatre ou cinq seulement sont armées et combattent, alors que les autres ont tout simplement rejoint Daesh avec des armes américaines. Ça c’est la première chose.

Deuxièmement, à mon avis, le fait de fournir une aide militaire à des structures non-légitimes ne répond ni aux principes du droit international contemporain ni à la Charte de l’ONU. Nous soutenons uniquement les structures gouvernementales légales.

Par conséquent, nous proposons une coopération aux pays de la région, nous essayons de mettre en place une structure de coordination. J’en ai personnellement informé le président de la Turquie, le roi de Jordanie et l’Arabie Saoudite. Nous en avons également informé les Etats-Unis et monsieur Kerry, dont vous avez cité le nom, a eu une conversation circonstanciée avec monsieur Lavrov, notre ministre des Affaires étrangères. Les militaires russes et américains sont également en contact et discutent de ce sujet. Nous serons ravis de trouver une plate-forme commune pour des actions coordonnées contre les terroristes.

Ch. Rose : Vous êtes prêts à rejoindre les Etats-Unis dans leur lutte contre Daesh et c’est pour cela que vous êtes présents en Syrie ? D’autres pensent que votre but est en partie de maintenir au pouvoir l’administration d’Assad, car il est en train de perdre du terrain et que la guerre prend un tournant défavorable pour son gouvernement. Est-ce que le maintien de Bachar el-Assad au pouvoir est le but de la présence russe en Syrie ?

V. Poutine : C’est juste, c’est bien le cas. J’ai déjà dit deux fois pendant notre conversation, et je peux le répéter à nouveau, que nous accordons un soutien au pouvoir légitime de la Syrie. De plus, je suis profondément convaincu qu’en agissant dans un autre sens, celui de la destruction du pouvoir légitime, nous pouvons provoquer une situation similaire à celle qu’on observe actuellement dans d’autres pays de la région, ou dans d’autres régions du monde, en Libye par exemple, où toutes les institutions étatiques se sont désintégrées.

Malheureusement, on observe la même situation en Irak. Il n’y a pas d’autre solution au problème syrien que celle du renforcement des structures étatiques légales existantes en les aidant à combattre le terrorisme, ce qui doit, bien sûr, être accompagné d’un encouragement au dialogue positif avec la partie non-radicalisée de l’opposition et à l’application de réformes politiques.

Ch. Rose : Comme vous le savez, certains membres de la coalition veulent d’abord qu’Assad renonce au pouvoir. Et c’est seulement après qu’ils seront prêts à soutenir le Gouvernement.

V. Poutine : Je leur conseillerais ou recommanderais d’adresser cette suggestion au peuple syrien et non au président Assad lui-même. Seul le peuple syrien est en droit de décider dans son pays, qui et comment, selon quels principes, doit diriger le pays. Je considère que des conseils de ce genre venus d’ailleurs, sont absolument déplacés, nuisibles et contraires au droit international.

Ch. Rose : On en a déjà parlé auparavant. À votre avis… Le président Assad, que vous soutenez… Est-ce que vous soutenez ce qu’il fait en Syrie et ce qui se passe avec ces Syriens, ces millions de réfugiés, ces centaines de milliers de personnes qui sont mortes et dont une grande partie a été tuée par ses gens ?

V. Poutine : Et à votre avis, ils ont raison, ceux qui soutiennent l’opposition armée et surtout les organisations terroristes dans le seul but de renverser Assad sans se préoccuper du sort de ce pays après la destruction totale de toutes les institutions étatiques dans ce pays ?

Nous avons déjà connu ça. J’ai déjà parlé de la Libye. C’était il n’y a pas longtemps. Les Etats-Unis ont activement contribué à l’anéantissement de toutes ces institutions étatiques. Qu’elles soient bonnes ou mauvaises, c’est une autre question. Mais elles ont été détruites. A la suite de cela les Etats-Unis ont subi de lourdes pertes, y compris la mort de leur ambassadeur. Vous voyez à quoi ça mène ? C’est pour ça que nous aidons les structures légales de l’État, mais je veux le souligner une fois de plus, tout en espérant que les transitions politiques nécessaires pour le peuple auront lieu en Syrie.

Vous dites sans cesse, avec une persévérance qui pourrait être mieux utilisée, que l’armée syrienne se bat contre son propre peuple. Mais regardez qui contrôle 60% du territoire syrien ! Où est cette opposition modérée ? 60% du territoire syrien est contrôlé soit par Daesh, soit par d’autres organisations terroristes, telles que le Front al-Nosra ou d’autres encore, reconnues comme organisations terroristes par les Etats-Unis entre autres États, ainsi que par l’ONU. Ce sont elles, ces organisations et personne d’autre qui contrôlent près de 60% du territoire syrien.

Ch. Rose : Ce qui vous inquiète, c’est ce qui va se passer après le départ d’Assad. Vous parlez d’anarchie, vous voyez une menace de la part de Daesh. Croyez-vous qu’il s’agit d’une organisation terroriste particulière, unique ?

V. Poutine : Elle est devenue unique, car elle se propage à l’échelle mondiale. Et son objectif est de créer un califat allant du Portugal au Pakistan. Ils revendiquent déjà leur «droits» sur les lieux saints de l’islam – à la Mecque et à Médine. Leur activité se propage loin au-delà des frontières des territoires qu’ils contrôlent aujourd’hui.

Quant aux réfugiés, ils ne viennent pas seulement de Syrie. Qui s’enfuit de Libye ? Qui s’enfuit des pays d’Afrique Centrale où les islamistes font la loi aujourd’hui ? Qui s’enfuit d’Afghanistan, d’Irak ? Alors, il n’y a pas que de Syrie qu’on s’enfuit ?

Pourquoi avez-vous décidé que les réfugiés quittent la Syrie seulement à cause des actions entreprises par Assad dans le but de défendre son État ? Qu’est-ce qui vous fait croire que les réfugiés n’échappent pas aux atrocités commises par les terroristes, notamment par Daesh, qui décapite des gens, qui les brûle vifs, qui les noie, qui détruit des monuments du patrimoine mondial ? Ce sont les gens de Daesh et surtout eux qui provoquent cet exil.

Et bien sûr les actions militaires, c’est certain. Mais il n’y en aurait pas, de ces actions, si les groupes terroristes n’étaient pas aidés avec de l’argent et des armes venant de l’étranger. J’ai l’impression que quelqu’un veut se servir de certaines unités, ou bien de Daesh dans son intégralité, pour renverser Assad et réfléchir seulement après au moyen de se débarrasser de Daesh. C’est un plan compliqué et, à mon avis, pratiquement irréalisable.

Ch. Rose : Craignez-vous que les terroristes arrivent en Russie ? Craignez-vous que si on ne les arrête pas maintenant, ils puissent arriver en Russie via l’Europe et même aux Etats-Unis, et pour cette raison vous devez vous interposer, car personne d’autre n’entreprend d’actions nécessaires pour contrer Daesh ?

V. Poutine : Des actions sérieuses pour lutter contre cette menace, il y en a très peu qui les entreprennent. Peu nombreux sont ceux qui prennent des mesures efficaces. On a pu juger de l’efficacité des actions de nos partenaires américains lors du rapport du Pentagone devant le Sénat américain. Efficacité défaillante, il faut le dire franchement. Vous savez, je ne vais pas ironiser, essayer de piquer quelqu’un au vif, pointer du doigt… Nous proposons de collaborer, d’unir nos efforts.

Craignons-nous quelque chose ? Nous n’avons rien à craindre. Nous sommes dans notre pays et gardons le contrôle de la situation. Mais nous avons parcouru un chemin très difficile dans la lutte contre le terrorisme, contre le terrorisme international, dans la région du Nord Caucase. Ça c’est la première chose.

Deuxièmement, nous avons des informations certaines, selon lesquelles sur le territoire de la Syrie il y a actuellement pas moins de 2 000 combattants – et probablement même plus de 2 000 –venus de Russie et d’autres anciennes républiques d’Union Soviétique. Evidemment, la menace de leur retour dans notre pays existe. C’est pourquoi il vaut mieux aider Assad à en finir avec eux que d’attendre qu’ils viennent ici.

Ch. Rose : Oui, mais vous dites que vous vous êtes interposés dans tout ça, car vous croyiez que ce travail n’était pas suffisamment bien accompli. Vous avez entendu ce qui se passait au Sénat américain, vous avez appris les résultats et avez décidé que la Russie devait agir ?

V. Poutine : Nous agissons déjà et nous avons toujours agi dans ce sens. Nous avons collaboré avec beaucoup de pays et nous continuons à le faire, y compris avec les Etats-Unis. Par les canaux de coopération des services secrets, nous envoyons régulièrement des renseignements nécessaires aux services spéciaux américains afin de contribuer à la sécurité des citoyens, y compris des Américains, aux Etats-Unis et au-delà de leurs frontières. Mais je pense qu’aujourd’hui ce niveau de coordination est insuffisant. Il faut coopérer de manière plus étroite.

Ch. Rose : En quoi consiste la stratégie que vous proposez, mis à part le simple soutien à Bachar el-Assad ?

V. Poutine : J’en ai déjà parlé. Nous devons aider l’armée d’Assad. Et à part son armée, personne ne se bat contre Daesh sur ce territoire. Je veux que vos téléspectateurs et vous-même en preniez enfin conscience : personne ne combat Daesh et les autres organisations terroristes en Syrie, à part l’armée d’Assad.

Des frappes aériennes peu significatives, y compris celles menées par l’aviation américaine, ne sont pas une solution au problème ; à son essence. Après ces frappes, un travail au sol doit être effectué et tout doit être coordonné. Il faut déterminer le type de frappes nécessaires, où les porter, puis qui va avancer dans le territoire après ces frappes. En Syrie la seule force existante c’est l’armée d’Assad.

Ch. Rose : Etes-vous prêts à envoyer des troupes russes en Syrie si dans le cadre de la lutte contre Daesh cela se révèle nécessaire ?

V. Poutine : La Russie ne participera à aucune opération militaire sur le territoire de la Syrie ou sur celui d’autres États. En tout cas, nous ne l’envisageons pas aujourd’hui. Mais nous songeons aux possibilités d’intensification de notre travail avec le président Assad et avec nos partenaires d’autres pays.

Ch. Rose : Qu’est-ce que cela veut dire ?

V. Poutine : Ça veut dire que nos militaires ne participeront pas aux actions militaires, ne feront pas la guerre.

Ch. Rose : Parlez-vous de frappes aériennes ?

V. Poutine : Je parle de la guerre. Des actions militaires sur le terrain, de l’infanterie, des unités motorisées.

Ch. Rose : Que faut-il faire encore ? Comme vous savez, beaucoup de gens pensent que ce que fait Assad fait le jeu de Daesh et que ce traitement horrible que le régime réserve au peuple syrien, avec tous ces bombardements et autres actions malfaisantes n’est rien d’autre qu’une aide à l’Etat islamique. Par conséquent, si Bachar el-Assad part, il y aura une période transitoire, qui aidera à lutter contre Daesh.

V. Poutine : En employant le langage des services secrets, je peux dire qu’une telle connotation n’est rien d’autre qu’une initiative active des ennemis d’Assad. C’est de la propagande anti-syrienne. Assad et Daesh n’ont rien en commun, ils se combattent. Et je le redis à nouveau : Assad et son armée sont la seule force qui lutte vraiment contre Daesh.

Ch. Rose : Mais auparavant ont paru des informations selon lesquelles vous envisagiez ou plus précisément, vous aviez déjà commencé, à réduire le niveau de votre soutien au régime d’Assad, et que finalement vous souhaitiez une transition politique consensuelle.

V. Poutine : Nous considérons que les questions d’ordre politique dans chaque pays doivent être abordées par les peuples de ces pays, avant tout. Mais nous sommes prêts à accorder un soutien au pouvoir officiel de la Syrie, tout comme à la partie saine de l’opposition, pour qu’ils puissent trouver un accord sur l’avenir politique de leur pays.

C’est justement pour ça que nous avons organisé une série de rencontres pour les représentants de l’opposition et du gouvernement Assad. Nous avons participé à la conférence de Genève à ce propos. Nous sommes prêts à continuer à collaborer dans ce sens en poussant le deux parties, le pouvoir officiel et l’opposition, à trouver un accord, mais de façon pacifique.

Ch. Rose : Voilà ce qui a été publié aujourd’hui dans le journal The Washington Post : «En l’absence de leadership américain, s’est interposé le président russe Vladimir Poutine, qui envoie des troupes et de l’équipement militaire en Syrie, en essayant de pousser le monde entier à accepter sa solution de la crise syrienne – c’est-à-dire de créer une nouvelle coalition qui inclurait le gouvernement syrien pour combattre l’Etat Islamique». C’est intéressant, ils disent que vous remplissez le vide laissé par le manque de leadership des Etats-Unis. C’est The Washington Post qui l’écrit.

V. Poutine : Nous ne comblons pas un vide laissé par le leadership américain, nous essayons d’éviter qu’un vide total du pouvoir se produise en Syrie, car quand les structures étatiques sont anéanties dans un pays ou un autre, un vide se crée qui est rapidement comblé par des terroristes. C’est ce qui s’est passé en Libye, en Irak et dans d’autres pays. La même chose s’est produite en Somalie et en Afghanistan. Nous ne parlons pas du tout de lutte contre le leadership américain.

Ch. Rose : Bon, la question de ce vide demeure. On a l’impression que vous avez des inquiétudes par rapport à une situation particulière : vous parlez d’un gouvernement fort et centralisé, qui est naturel pour les Russes, et vous vous inquiétez beaucoup du fait qu’il n’y ait pas de pouvoir fort en Syrie, comme dans d’autres pays, et qu’il y ait une sorte d’anarchie.

V. Poutine : Je ne dis pas qu’il n’y a pas de gouvernement fort là-bas. Je dis que dans le cas d’absence de tout gouvernement, il y aura l’anarchie et le vide, qui se transformeront vite en terrorisme.

En Irak, par exemple, il y avait un personnage bien connu : Saddam Hussein, qui était soit gentil soit méchant. Car à un moment, vous l’avez peut-être un peu oublié, non ? Les Etats-Unis ont coopéré avec Saddam d’une manière très active, quand il faisais la guerre contre l’Iran. Ils lui ont fourni des armes, l’ont soutenu au niveau diplomatique, militaire, politique, etc… Puis pour quelque raison ils se sont fâchés avec lui et ont décidé de le liquider. Mais en liquidant Saddam, ils ont détruit les structures de l’État irakien. Des milliers de personnes de l’ancien parti Baas, des milliers de militaires irakiens qui faisaient partie des élites sunnites se sont retrouvées à la rue. Personne n’a pensé à ces gens et depuis, ils ont rejoint l’armée de Daesh.

Voilà à quoi nous sommes opposés. Nous ne sommes pas contre le leadership d’un État quelque part dans le monde, mais nous nous opposons aux actions irréfléchies, qui mènent à ce genre de situations négatives et difficilement réparables.

Ch. Rose : Comme vous le savez, il n’y a pas longtemps un représentant iranien, le général Souleïmani, s’est rendu à Moscou. Quel sera son rôle et celui des forces kurdes en Syrie ? Que faut-il faire à cet égard ?

V. Poutine : Je l’ai déjà dit. Je pense que tous les pays de la région doivent combiner leurs efforts pour lutter contre la menace commune, celle du terrorisme en général et de Daesh en particulier. Cela concerne l’Iran, cela concerne l’Arabie Saoudite et, même si les relations entre ces deux pays ne sont pas excellentes, la menace que représente Daesh les concerne tous les deux. Cela concerne également la Jordanie et la Turquie en dépit du fait qu’ils aient certaines préoccupations liées à la question kurde. A mon avis, tout le monde a intérêt à ce que la situation soit réglée. Notre objectif est donc d’unir les efforts pour lutter contre l’ennemi commun.

Ch. Rose : C’est très vaste comme expression. De plus, cela peut signifier que la Russie va faire de nouveaux efforts pour récupérer le leadership au Proche-Orient et que cela représente votre nouvelle stratégie. Est-ce vrai ?

V. Poutine : Non, on a déjà parlé des faits qui nous poussent à accorder un soutien de plus en plus important au gouvernement Assad et à réfléchir aux perspectives de la région.

Je vous ai déjà répondu. Vous avez posé la question et je vous ai répondu. Plus de 2 000 combattants de l’ex-URSS se trouvent sur le sol syrien. La menace de les voir revenir en Russie existe. Alors, au lieu d’attendre leur retour, il vaut mieux aider Assad à les combattre sur le territoire de la Syrie. Voilà la motivation principale de notre soutien au président syrien.

En gros on ne veut pas, bien évidemment, que la situation dans la région se «somalise», que de nouvelles Somalies apparaissent, car tout cela se trouve à proximité de nos frontières. Nous voulons avoir des rapports normaux avec ces pays. Traditionnellement, et je le souligne, nous avons toujours été en très bons termes avec le Proche Orient. Nous espérons que cela continue à l’avenir.

Ch. Rose : Vous êtes fier de la Russie et cela signifie que vous voulez qu’elle joue un rôle plus important à l’échelle mondiale. Et cela en est un bon exemple.

V. Poutine : Ce n’est pas un but en soi. Je suis fier de la Russie et je suis sûr que la plupart des citoyens de notre pays éprouvent ce sentiment d’amour et de respect pour leur patrie. Il y a de quoi être fier : la culture russe, l’histoire russe. Nous avons toutes les raisons de croire en un bel avenir pour notre pays. Mais nous ne sommes pas obsédés par l’idée d’imposer un leadership russe sur la scène internationale. Nous ne faisons que défendre nos intérêts vitaux.

Ch. Rose : Mais la Russie fait partie des principales puissances, car vous avez des armes nucléaires. Vous êtes une force à prendre en considération.

V. Poutine : J’espère bien, sinon à quoi bon disposer de ces armes ? Nous partons du principe que les armes nucléaires et les armes en général sont des moyens de défendre notre souveraineté et nos intérêts légitimes et non le moyen de justifier un comportement agressif ou de réaliser des ambitions impérialistes qui n’existent pas.

Ch. Rose : Allez-vous demander un rendez-vous avec le président Obama une fois à New-York ?

V. Poutine : Ce genre de réunion est planifié à l'avance. Je sais qu’au cours d’événements comme celui-ci, chaque seconde de l’agenda du président Obama est comptée et je ne parle même pas des minutes. Il y a un très grand nombre de délégations venant du monde entier.

Ch. Rose : Vous pensez qu’il ne trouvera pas une minute pour le président de la Russie ?

V. Poutine : C’est son choix. Nous sommes toujours ouverts à tout type de contact. Que ce soit au niveau le plus élevé, au niveau des ministres, des départements ou au niveau des services spéciaux, si nécessaire. Mais si le président Obama trouve ces quelques minutes, j’en serai heureux, bien sûr, et je le rencontrerai. Si pour quelque raison que ce soit, il ne peut pas le faire, ce n’est pas grave. Nous aurons l’opportunité de discuter lors d’un sommet du G20 ou en d’autres occasions.

Ch. Rose : Vous êtes prêt à rencontrer le président. Vous allez lui dire : «J’ai un plan pour la Syrie ; travaillons ensemble et regardons ce que nous pouvons faire. Non seulement travaillons ensemble sur la Syrie mais regardons aussi ce que nous pouvons faire dans d’autres domaines.»

V. Poutine : Vous savez, le fait est que même si les questions très sérieuses de ce genre se règlent, en définitive, au niveau le plus élevé, entre les présidents, elles se préparent lors de consultations préliminaires entre les ministères des Affaires étrangères, les départements militaires et les services spéciaux. C’est un travail de longue haleine. Et ce n’est qu’au moment où ce travail est sur le point d’être achevé, qu’il devient pertinent de se rencontrer pour s’accorder finalement.

Si nos collègues ne sont pas arrivés à cette étape finale, nous pouvons nous rencontrer avec le Président Obama, nous serrer la main, discuter de choses courantes. Nous sommes, et moi-même de mon côté, je suis personnellement toujours prêt à avoir ces contacts.

Ch. Rose : Mais nous parlons du plus haut niveau. Si vous prenez la parole, je suppose que vous aimeriez que le président Obama y prête une oreille attentive. Je pense que si vous l’appelez… Et vous l’avez déjà fait après notre discussion à ce même sujet à Saint-Pétersbourg. Vous aviez alors téléphoné au président et vous lui avez dit : «Rencontrons-nous ! C’est nécessaire et discutons des questions importantes, parce qu’ensemble, nous aboutirons à de meilleurs résultats qu’en travaillant chacun de notre côté».

V. Poutine : Oui, c’est ce que j’avais fait. J’ai appelé le président Obama et le président Obama m’a appelé à propos de différentes questions. Cela fait partie de la pratique habituelle de notre coopération. Il n’y a là rien d’inhabituel, ni d’extraordinaire.

Je le répète encore une fois, toutes nos rencontres personnelles sont préparées, de manière générale, par nos collaborateurs. Je vous le répète une troisième fois, nous sommes prêts, mais cela ne dépend pas de nous. Si la partie américaine souhaite ces rencontres, alors, nous nous rencontrerons.

Ch. Rose : Vous n’avez absolument pas besoin de vous préparer, puisque vous vous occupez tous les jours de ces questions. Quelle préparation vous faut-il pour rencontrer Obama ? Et lui, il n’en a pas besoin non plus. Je pense que ce que vous évoquez, ce sont des courtoisies diplomatiques.

V. Poutine : Depuis combien de temps exercez-vous le métier de journaliste ?

Ch. Rose : Plus longtemps que je ne voudrais m’en souvenir, à vrai dire.

V. Poutine : Ce serait difficile pour moi de vous dire si vous êtes prêt ou si vous ne l’êtes pas. (Il rit).

Pourquoi croyez-vous que c’est à vous de me dire si je suis prêt ou si je ne le suis pas, alors que cela fait déjà plusieurs mandats que je suis président ? Mais ce n’est pas le plus important. Le plus important, c’est que la Russie, le président de la Russie, le Gouvernement et tous mes collègues, sommes prêts à ces contacts au plus haut niveau, au niveau du Gouvernement, au niveau des ministères et au niveau des départements d’Etat. Nous sommes prêts à aller aussi loin que nos partenaires américains seront prêts à aller.

A ce propos, la plate-forme de l’ONU a justement été créée pour cela. Elle a été créée pour permettre la recherche de compromis, pour permettre de discuter les uns avec les autres. C’est pourquoi, bien évidemment, ça sera tant mieux si nous profitons de cette plate-forme.

Ch. Rose : Permettez-moi de vous demander ce que vous pensez du président Obama ? Comment le jugez-vous ?

V. Poutine : Je ne me considère pas en droit de juger le président des Etats-Unis. C’est l’affaire du peuple américain. Nous avons avec le président Obama de bonnes relations personnelles, des relations suffisamment sincères et constructives. C’est tout à fait suffisant pour exercer nos fonctions.

Ch. Rose : Pensez-vous que son activité dans les relations internationales reflète une faiblesse ?

V. Poutine : Pourquoi ? Je ne le pense pas du tout. Vous savez, voici la chose. Dans tout pays, y compris aux Etats-Unis, et peut-être même aux Etats-Unis plus qu’ailleurs, les facteurs de politique extérieure sont utilisés dans les débats de politique intérieure. La campagne électorale aura bientôt lieu aux Etats-Unis.

Tout le temps, c’est soit la carte russe qui est jouée, soit une autre. Les adversaires politiques avancent toutes sortes d’accusations contre le chef d’État et il y a beaucoup d’autres lignes d’attaque, y compris des accusations d’incompétence, de faiblesse etc. Ce n’est pas ce que je pense. Et je n’ai aucune intention de m’impliquer dans les querelles internes de la politique américaine.

Ch. Rose : Permettez-moi de vous poser la question suivante : pensez-vous qu’il vous écoute ?

V. Poutine : Je pense que nous nous écoutons les uns les autres, quand cela ne contredit pas nos propres idées de ce que nous devrions ou ne devrions pas faire. Mais, de toute manière, un dialogue existe, et nous nous entendons.

Ch. Rose : Vous vous entendez. Vous dite que la Russie n’est pas une superpuissance. Pensez-vous qu’il considère la Russie d’égal à égal ? Pensez-vous qu’il vous considère d’égal à égal ? Et est-ce que c’est bien le comportement que vous attendez de sa part ?

V. Poutine : (Il rit).Posez-lui donc la question ! Après tout c’est votre président. Comment puis-je savoir ce qu’il pense ?

Je le répète, nous avons des relations équilibrées de personne à personne. Nous entretenons des relations humaines très équilibrées et respectueuses, au moins l’un envers l’autre, et des contacts professionnels à un niveau de fonctionnement tout à fait satisfaisants. En revanche, comment puis-je savoir ce que pensent le président des Etats-Unis, le président de la République française, la chancelière allemande, le Premier ministre du Japon, le président du Conseil d'État de la Chine ou le président chinois ? Nous ne jugeons pas en fonction de ce qu’il nous semble, mais en fonction de ce que les gens font. 

Ch. Rose : Bien sûr. Je suis tout à fait d’accord avec vous. Vous aimez représenter la Russie. Vous aimez votre travail et je sais que vous avez travaillé dans le renseignement extérieur. Je comprends que c’est votre métier de «lire» les gens.

V. Poutine : C’était mon travail. Mais aujourd’hui j’ai un autre travail et cela, depuis déjà bien longtemps.

Ch. Rose : Quelqu’un en Russie m’a dit : «Il n’y a pas d’ex-agent du KGB. Quand vous devenez agent du KGB, c’est pour toujours».

V. Poutine : Vous savez, aucune étape de notre vie ne se passe sans laisser de trace. Peu importe notre occupation, peu importe ce que nous faisons ; ces connaissances, cette expérience resteront en nous pour toujours et nous les amenons avec nous par la suite ; nous les utilisons d’une certaine manière. Dans ce sens, alors oui. C’est vrai.

Ch. Rose : Un jour, un agent de la CIA m’a dit que vous aviez été formé de façon importante. Vous pouvez charmer les gens et vous réussissez bien dans ce domaine. Vous exercez une sorte de séduction sur eux. 

V. Poutine : Si on vous a dit ça à la CIA, alors c’est probablement vrai. Ces gens sont de bons professionnels. (Il rit).

Ch. Rose : Et bien vous, vous le savez. Ça j’en suis certain.

Réfléchissons ensemble à haute voix, car c’est important. Comment les Etats-Unis et la Russie peuvent-ils collaborer pour rendre le monde meilleur ? Pensez tout haut.

V. Poutine : Nous y réfléchissons constamment. L’un des volets de notre coopération, qui est très important pour un grand nombre de personnes dans le monde, c’est notre effort commun dans la lutte contre le terrorisme et contre d’autres menaces : contre le trafic de drogue, contre la prolifération des armes de destruction massive, contre la famine mais aussi pour la défense de l’environnement, pour la préservation de la biodiversité et pour que la situation dans le monde soit plus prévisible et plus stable.

Ch. Rose : Plus stable, mais où ?

V. Poutine : Dans toutes les régions de la planète. Vous-même avez dit que la Russie et les Etats-Unis sont les plus grandes puissances nucléaires et cela nous donne une responsabilité particulière. Par ailleurs, on arrive à l’assumer et à travailler ensemble sur certains sujets, en particulier sur le programme nucléaire iranien. Nous avons coopéré et avons pu parvenir à un résultat positif.

Ch. Rose : Et comment avez-vous réussi ? Le Président Obama vous a remercié à plusieurs reprises pour votre aide qui a permis de parvenir à l’accord final. Qu’avez-vous fait, vous et vos diplomates, votre ministre des Affaires Etrangères Lavrov pour y parvenir ?

V. Poutine : Certains pourront s’en étonner, mais les Etats-Unis et la Russie ont parfois des intérêts communs, malgré tout. Et dans ce cas, dans le cas de non-prolifération des armes de destruction massive, nos intérêts sont certainement les mêmes. Comme je l’ai dit, nous avons une responsabilité particulière. C’est pourquoi nous avons collaboré avec les Etats-Unis de façon conséquente et intense afin de régler ce problème.

La Russie a été guidée non seulement par ces raisons, mais aussi par le fait que l’Iran est l’un de nos voisins, qu’il est notre partenaire traditionnel et nous étions très attachés à la normalisation de la situation autour de ce pays.

Nous partons du principe que la normalisation de la situation va contribuer au renforcement de la sécurité au Proche-Orient. Et en ce sens, nos évaluations de l’accord sur le nucléaire iranien correspondent presque parfaitement à celles de nos partenaires américains.

Ch. Rose : Le prochain président des Etats-Unis sera probablement un républicain. Comme vous le savez, tous les membres du Parti républicain sont opposés à l’accord avec l’Iran. Que leur direz-vous ?

V. Poutine : Je viens de le dire. S’il faut le répéter, je peux répéter.

Je considère que l’accord trouvé répond aux intérêts de la sécurité internationale. Il améliore la situation dans la région et il pose d’importantes limites à la prolifération des armes nucléaires, puisque la situation est soumise au contrôle de l’AIEA. L’accord normalise la situation au Proche-Orient en général, car il permet de construire des relations politiques, d’affaires, de commerce et de partenariat normales avec tous les pays de la région.

Ch. Rose : Je pense que votre cote de popularité en Russie est enviée par n’importe quel homme politique dans le monde. Qu'est-ce qui vous rend si populaire?

V. Poutine : Il y a quelque chose qui nous unit, les citoyens de Russie et moi. Ce «quelque chose» en commun, c’est l’amour de la patrie.

Ch. Rose : Lors de la célébration du 70ème anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, lorsque tout le monde commémorait les victimes du conflit, nous avons tous été touchés par l’image suivante : vous aviez les larmes aux yeux et vous teniez la photo de votre père entre vos mains.

V. Poutine : Oui. Ma famille a subi des pertes considérables, ainsi que mes proches d’une manière générale, durant la Seconde Guerre mondiale. C’est vrai. Dans la famille de mon père, ils étaient cinq frères dont quatre sont morts. Du côté de ma mère, c’est à peu près la même chose. De manière générale, la Russie a payé un lourd tribut.

Bien sûr, nous ne pouvons pas et nous ne devons pas l’oublier. Non pas pour accuser quelqu’un, mais pour que rien de semblable ne puisse se reproduire dans l’avenir. Nous devons nous en souvenir.

A propos, nous avons un grand respect pour les vétérans, y compris pour les vétérans américains. Ils étaient présents au Défilé de la Victoire le 9 mai de cette année. Nous nous souvenons des pertes subies par les autres pays de la coalition, la Grande-Bretagne, la Chine. Nous nous en souvenons. Je crois que cela fait partie de notre mémoire collective. Notre lutte commune contre le nazisme constitue tout de même un bon socle à partir duquel surmonter les problèmes auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui.

Ch. Rose : C’est ce que vous aimeriez renforcer ; le partenariat avec les Etats-Unis contre les ennemis communs ?

V. Poutine : Non pas contre les ennemis communs, mais dans l’intérêt de chacun.

Ch. Rose : Comme nous l’avons évoqué, vous êtes quelqu’un de très populaire, mais de nombreuses personnes en Russie vous critiquent. Comme vous le savez, ils disent que la Russie est plutôt autocratique que démocratique. Les journalistes politiques se retrouvent en prison et se font assassiner. Ils soutiennent que votre pouvoir est sans limite et aussi, que le pouvoir et en particulier un pouvoir sans limite, corrompt tout. Que diriez-vous à ces gens que préoccupe le climat politique en Russie ?

V. Poutine : Il ne peut y avoir de démocratie sans respect de la loi et tous doivent la respecter. C’est un principe de base, une chose essentielle que nous devons toujours avoir à l’esprit et ne jamais oublier.

Quant à ces évènements tragiques, la mort de ces personnes, y compris des journalistes, malheureusement c’est quelque chose qui arrive dans tous les pays du monde. Mais si cela arrive chez nous, nous faisons tout pour que les auteurs de ces crimes soient interpelés, jugés et punis.

Nous allons agir ainsi dans toutes les directions. Mais ce qui est le plus important, c’est que nous allons continuer à travailler au perfectionnement de notre système politique, afin que les gens puissent sentir, afin que toute personne puisse sentir qu’elle joue son rôle dans la vie de l’État et de la société, qu’elle influe sur le pouvoir et que le pouvoir sente sa responsabilité vis-à-vis des gens qui lui ont accordé leur confiance, ainsi qu’aux autorités pendant les campagnes électorales. 

Ch. Rose : Si vous, en tant que dirigeant de ce pays, insistez sur la suprématie de la loi et de la justice, alors il pourrait y avoir des progrès considérables dans l’inversion de cette perception négative.

V. Poutine : Beaucoup de choses peuvent être faites. Mais pas tout et pas tout de suite. Prenons l’exemple des Etats-Unis. Combien de temps a pris le processus de développement de la démocratie ? Il dure depuis la création des Etats-Unis. Et à présent, vous croyez que tout a été fait du point de vue de la démocratie ? Si tout avait déjà été fait, le problème de Ferguson n’aurait pas eu lieu, n’est-ce pas ? Il n’y aurait pas d’autre problème de ce genre. Il n’y aurait pas d’arbitraire policier.

Notre objectif est d’identifier tous ces problèmes à temps et d’agir de manière adéquate. Il en va de même pour la Russie. Nous avons aussi beaucoup de problèmes.

Ch. Rose : Ainsi, les assassins de Boris Nemtsov seront activement poursuivis par la justice ?

V. Poutine : J’ai tout de suite dit qu’il s’agissait d’une page honteuse de notre histoire moderne et que les criminels devaient être trouvés, démasqués et châtiés. Cela ne se fera peut-être pas tout de suite, mais nous avons d’autres exemples de crimes de ce genre. Finalement, malgré le fait que l’enquête dure déjà depuis longtemps, elle finira par être conclue.

Ch. Rose : Vous savez que j’admire la Russie, la culture russe, sa littérature, sa musique. C’est un pays immense, un très grand pays. Et beaucoup de personnes, y compris Staline, disaient que la Russie a besoin d’un dirigeant fort et autoritaire. Staline disait «La Russie a besoin d’une telle personne». Est-ce que Staline avait raison ?

V. Poutine : Non. Je ne me rappelle pas où et quand il aurait dit ça. C’est pourquoi je ne peux pas confirmer cette citation. La Russie, pas plus que n’importe quel autre pays, n’a besoin de dictateur. La Russie a besoin d’un État et d’une société fondés sur des principes équitables et efficaces. Ces principes doivent aussi être flexibles afin de pouvoir répondre aux changements du monde à l’intérieur et à l’extérieur du pays. C’est de cela dont la Russie a besoin. 

Ch. Rose : Mais la Russie a une tradition d’homme fort au pouvoir.

V. Poutine : Regardez : dans la plupart des pays européens existe une démocratie parlementaire. La démocratie parlementaire existe également au Japon et dans de nombreux pays, mais en revanche, on ne sait pas pourquoi, aux Etats-Unis, l'État est organisé différemment. C’est un régime présidentiel assez dur. Chaque pays a ses particularités, ses traditions qui se reflètent au présent et se reflèteront dans le futur.

Ces traditions existent également en Russie, mais on ne parle pas d’un homme fort, même s’il en faut dans le gouvernement. La question est : qu’est-ce qu’on entend par homme fort ? S’il s’agit d’un homme avec des tendances dictatoriales, c’est une chose. Mais, s’il s’agit d’un homme juste, qui agit dans le cadre de ses prérogatives, dans le cadre de la loi et dans l’intérêt de l’écrasante majorité de la société ; s’il agit de manière cohérente et déterminée, c’est une toute autre chose. Je crois que la Russie a bien sûr besoin de gens comme ça, de ce deuxième type, bien plus que de gens au comportement dictatorial.

Ch. Rose : Comme vous le savez, certaines personnes vous qualifient de «Tsar».

V. Poutine : Et alors ? Vous savez, on m’appelle de différentes manières, chez nous on dit…

Ch. Rose : Ce titre vous correspond-il ?

V. Poutine : Non.Chez nous, on dit : «Vous pouvez me traiter de pot, vous ne me mettrez au four.» Ce qui importe, ce n’est pas comment des sympathisants, des amis ou des adversaires politiques vous appellent. Ce qui compte, c’est ce que l’on pense soi-même de ce que l’on doit faire dans l’intérêt du pays qui vous a confié cette fonction, ce poste, en tant que chef de l’État russe.

Ch. Rose : Les gens ont peur de vous en Russie ?

V. Poutine : Je crois que non. Je suppose que la plupart des gens me font confiance, s’ils votent pour moi lors des élections. Et c’est ce qu’il y a de plus important. Cela représente une énorme responsabilité, une responsabilité colossale. Je suis reconnaissant au peuple pour cette confiance, mais bien sûr, je ressens une énorme responsabilité pour ce que je fais et pour le résultat de mon travail.

Ch. Rose : Comme vous le savez, on parle beaucoup de vous aux Etats-Unis.

V. Poutine : Vous n’avez rien d’autre à faire ? (Il rit).

Ch. Rose : Peut-être qu’ils sont tout simplement curieux ? Peut-être que vous êtes quelqu’un d’intéressant, peut-être que c’est pour cela ? Mais ils vous perçoivent, tout d’abord, comme un dirigeant fort. Ils savent que vous avez travaillé au KGB et que vous avez bâti votre carrière politique à Saint-Pétersbourg en devenant l’adjoint au maire, et que vous avez déménagé à Moscou. Il est à noter qu’ils vous voient sur des photos torse nu, sur un cheval au galop, et ils se disent : c’est un homme qui se crée une image d’homme fort.

V. Poutine : Je suis persuadé que toute personne à ma place se doit de donner un exemple positif aux gens. Dans les domaines dans lesquels il est capable de le faire, il doit absolument le faire. 

Dans les années 90 et au début des années 2000, la situation dans la sphère sociale était très préoccupante chez nous. Le système de protection sociale avait été détruit et de nombreux problèmes sont apparus, qu’on n’arrive toujours pas à résoudre de manière efficace, qu’on n’arrive pas à éradiquer, dans le domaine de la santé publique et du développement du sport.

Je crois qu’un mode de vie sain est extrêmement important et qu’il est à la base de la solution d’un grand nombre de problèmes importants, y compris la santé de la nation. Il est impossible de traiter les problèmes de millions des gens seulement avec des comprimés. Il faut que les gens aient des compétences, des passions, un mode de vie sain et que l’éducation physique et le sport soient à la mode.

C’est pourquoi je pense qu’il est bon que non seulement moi-même, mais aussi mes autres collègues, le Premier ministre, les ministres, les députés de la Douma, prennent part, comme c’est le cas aujourd’hui à un marathon, assistent à des matchs de football et participent eux-mêmes à des compétitions sportives.

C’est de là, entre autres, que naît l’intérêt et l’enthousiasme de millions de personnes pour l’éducation physique et pour le sport. Je crois que c’est quelque chose d’extrêmement important.

Ch. Rose : Je vous entend et tout cela est important.Puis-je supposer que vous aimez cette image d’ homme fort torse nu sur un cheval au galop ? Vous voulez que ce soit ainsi que les gens vous voient en Russie et dans le monde entier ?

V. Poutine : Je veux que chacun sache que la Russie dans son ensemble, ainsi que le gouvernement russe, est efficace, qui fonctionne correctement et que tout le pays, les institutions du pays, les dirigeants du pays sont des gens sains, actifs et prêts à coopérer avec nos partenaires dans quelque domaine que ce soit. Dans le domaine du sport, dans le domaine de la politique, et demain dans celui de la lutte contre les menaces d’aujourd’hui. Je crois que tout cela ne peut être que positif.

Ch. Rose : On suppose que vous croyez en l’idée d’un homme fort puisque vous croyez en l’idée d’un gouvernement fortement centralisé et que vous avez déjà dit ce qui se passe en l’absence d’un dirigeant fort. Les Etats-Unis vous intéressent-ils davantage que n’importe quel autre État avec lequel vous êtes amené à coopérer ? Je vous pose cette question, parce que, comme je l’ai déjà dit, vous intéressez les Etats-Unis. Etes-vous intéressé par les Etats-Unis ? Suivez-vous les débats politiques du Parti républicain ?

V. Poutine : Suivre les débats de manière quotidienne, ça non. Mais, bien sûr, nous nous intéressons à ce qui se passe aux Etats-Unis. C’est la plus grande puissance mondiale, la première puissance économique et militaire actuelle. C’est un fait. C’est pourquoi, les Etats-Unis ont une très grande influence sur la situation dans le monde en général. Bien sûr, nous ne sommes pas indifférents à ce qui se passe là-bas. Nous suivons cela de près. Mais nous ne pouvons pas dire que nous suivons de manière absolument quotidienne les péripéties de la vie politique américaine.

Ch. Rose : Si vous aviez suivi les débats, vous auriez pu apprendre ce qu’a dit Donald Trump.Cette personnalité célèbre exprime son désir de vous rencontrer, en pensant que vous devriez vous entendre ensemble.

V. Poutine : Oui, j’ai entendu cela. Nous serons heureux de tout contact avec le futur président des Etats-Unis, quel qu’il soit. Toute personne qui obtiendra la confiance du peuple américain pourra compter sur notre volonté de travailler avec lui.

Ch. Rose : Marco Rubio est l’un des candidats au poste de président des Etats-Unis du Parti républicain. Et il dit de vous des choses peu flatteuses. Par exemple, lors des débats politiques, il vous a traité de «gangster» ce qui ressemble à une attaque contre la Russie dans son ensemble.

V. Poutine : Comment puis-je être un gangster alors que je travaillais au KGB ? C’est absolument contraire à la réalité.

Ch. Rose : Qu'aimez- vous le plus à propos des Etats-Unis ?

V. Poutine : Leur approche créative dans la résolution des problèmes auxquels ils sont confrontés, l’ouverture et l’émancipation qui ont permis de faire fructifier le potentiel de la population. Je pense qu’en grande partie c’est grâce à cela que les Etats-Unis ont pu connaître de si grands succès dans leur développement.

Ch. Rose : La Russie a été la première à lancer un satellite, avant les Etats-Unis. Vous avez des astrophysiciens extraordinaires. Vos réalisations dans les domaines de la médecine, de la science et de la physique sont exceptionnelles. Espérez-vous que grâce à vous, la Russie pourra rétablir son rôle de premier plan dans le monde entier ? Que vous pourrez inspirer à la Russie les innovations que vous venez de mentionner en parlant des Etats-Unis ? Et de quelle manière comptez-vous y parvenir ?

V. Poutine : Nous ne devons pas perdre ce qui a été créé au cours des décennies précédentes et créer justement les conditions que j’ai évoquées, en faveur de l’ouverture et de la libération complète des énergies de nos citoyens.

Nous avons un peuple très talentueux. Nous avons une très bonne base que vous venez d’évoquer. Vous avez dit que vous aimiez la culture russe. C’est aussi une énorme base pour notre développement.

Vous venez d’évoquer les avancées de la science russe dans de nombreux domaines. Nous devons soutenir cela et créer les conditions pour que les gens puissent se développer librement, puissent se sentir capables de réaliser leur potentiel. Je reste convaincu, absolument convaincu, que ceci aura un impact sur les progrès de la science, sur les hautes technologies et sur l’ensemble de l’économie de notre pays.

Ch. Rose : Il n’y a pas très longtemps, la Cour Suprême des Etats-Unis a discuté des droits des homosexuels, y compris le droit constitutionnel aux mariages homosexuels. Pensez-vous que c’est une bonne idée de valider le mariage homosexuel comme droit constitutionnel ?

V. Poutine : Vous savez, ce n’est pas un groupe homogène de personnes. Certains représentants de l’orientation sexuelle non traditionnelle, par exemple, se prononcent contre l’adoption des enfants par des couples homosexuels. C’est-à-dire qu’ils sont contre ça eux-mêmes. Est-ce qu’ils sont pour autant moins démocratiques que les autres représentants de cette communauté, de la communauté gay ? Probablement non. Seulement, c’est leur point de vue sur la question. Si nous prenons le problème des minorités sexuelles en Russie, il a été délibérément exagéré à l’extérieur de la Russie pour des raisons politiques. Nous n’avons aucun problème dans ce domaine.

Ch. Rose : Expliquez-moi cela !

V. Poutine : Je vais vous l’expliquer. On sait très bien que l’homosexualité est considérée comme une infraction pénale dans quatre Etats des Etats-Unis. On ne peut pas dire si c’est bien ou mal. Nous connaissons à présent la décision de la cour constitutionnelle, mais ce problème n’est pas complétement éliminé. Il n’est pas complétement supprimé de la législation américaine. En Russie, nous n’avons pas cela.

Ch. Rose : Vous le condamnez?

V. Poutine : Oui, je le condamne. Je crois que dans le monde contemporain, il ne peut pas y avoir de poursuites, d’atteintes aux droits des personnes à cause de leur nationalité, de leur race, de leur orientation sexuelle. Ça ne doit absolument pas exister.

Nous n’avons pas cela. Nous avions, si ma mémoire est bonne, dans le code pénal de la République socialiste fédérative soviétique de Russie l’article 120, qui réprimait l’homosexualité. Nous avons supprimé cela et il n’existe absolument aucune ségrégation contre les homosexuels ! Nous avons des personnes d’orientation non traditionnelle, qui vivent tranquillement, qui travaillent, qui obtiennent des promotions, qui obtiennent des distinctions de l’État pour leur réussite dans le domaine de la science, de l’art ou dans n’importe quel autre domaine. Ils se voient remettre des décorations et moi-même je les leur remets.

Quelle était la question qui était posée ? La question qui s’est posée était celle de l’interdiction de la propagande de l’homosexualité auprès des mineurs. Je ne vois rien d’anti-démocratique dans cet acte juridique. Personnellement, je pars du principe qu’on doit laisser les enfants tranquilles. Nous devons leur donner la possibilité de grandir, de se découvrir eux-mêmes et de décider eux-mêmes qu’ils veulent être, un homme ou une femme, s’ils veulent vivre dans un mariage normal, naturel ou dans un mariage non traditionnel. C’est tout et je ne vois là aucune atteinte aux droits des homosexuels.

Je crois que cela a été délibérément exagéré afin de représenter la Russie comme un ennemi dans l’esprit de certains groupes de personnes. Ça se fait pour des raisons politiques, une façon d’attaquer la Russie.

Ch. Rose : D’où viennent ces attaques ?

V. Poutine : Elles viennent de ceux qui les mènent. Regardez d’où viennent ces attaques.

Ch. Rose : Donc, selon vous, les droits des homosexuels et les mariages homosexuels sont reconnus dans la même mesure qu’aux Etats-Unis ? C’est votre position ?

V. Poutine : Non seulement nous les reconnaissons, mais nous les garantissons. L’égalité des droits est garantie à tous, y compris à ceux qui ont une orientation sexuelle non traditionnelle.

Ch. Rose : La question suivante porte sur la situation en Ukraine. Nous avons déjà évoqué ce sujet auparavant. Un grand nombre de gens considèrent que c’est à cause des évènements survenus en Ukraine et en Crimée que les Etats-Unis et l’Occident ont mis en place des sanctions qui ont causé du tort à la Russie. Par ailleurs, on dit que la volonté de la Russie de se présenter comme une force bienfaisante en Syrie et dans le monde entier sert à détourner l’attention de la crise ukrainienne.

V. Poutine : Détourner l’attention du problème ukrainien, c’est ça le but de nos actions en Syrie ? C’est ce que vous voulez dire ?

Non, ce n’est évidemment pas le cas. L’Ukraine est un problème important et singulier, y compris pour nous. Je vais vous expliquer pourquoi. La Syrie est un autre souci. Je vous l’ai déjà dit : nous ne voulons pas de désintégration ; nous ne voulons pas que le terrorisme se propage ; nous ne voulons pas que ces gens qui se battent là-bas aux côté des terroristes retournent en Russie. Il y a tout un tas de problèmes qui sont liés à ce sujet.

Quant à l’Ukraine, il s’agit d’une situation à part, même pour nous. L’Ukraine est le pays qui nous est le plus proche. Nous avons toujours considéré l’Ukraine comme un pays frère et c’est toujours le cas. Ce n’est pas seulement un peuple slave, c’est le peuple qui est le plus proche des Russes. Nos langues et nos cultures sont très similaires. Nous avons une histoire et une religion en commun, etc.

Qu’est-ce que je trouve absolument inacceptable pour nous ? Que des questions, y compris des questions controversées, relevant de la politique interne des anciennes républiques de l’URSS soient réglées par des révolutions dites «de couleur», par le renversement des pouvoirs en place par des moyens non-constitutionnels. Ça c’est absolument inacceptable. Nos partenaires aux Etats-Unis n’ont pas caché qu’ils soutenaient ceux qui étaient contre le président Ianoukovitch. Certains ont clairement dit qu’ils avaient dépensé quelques milliards dans ce but.

Ch. Rose : Vous pensez que les Etats-Unis sont liés au renversement de Viktor Ianoukovitch, quand il a dû s’enfuir en Russie ?

V. Poutine : Je le sais avec certitude.

Ch. Poutine : Comment le savez-vous ?

V. Poutine : C’est très simple. Nous sommes en contact et en relation avec des milliers de personnes en Ukraine. Et nous savons qui, où et quand a rencontré et a travaillé avec ces gens qui ont renversé Ianoukovitch. Nous savons quel soutien leur a été accordé, combien ils ont été payés et comment ils ont été entrainés. Nous savons sur quels territoires et dans quels pays ces entrainements ont eu lieu et qui étaient les formateurs. Nous savons tout.

Proprement dit, nos partenaires américains ne s’en cachent plus. Ils confirment ouvertement qu’ils les ont soutenus. Ils racontent combien d’argent ils ont dépensé. Ils évoquent des sommes importantes allant jusqu’à cinq milliards. Ça se compte déjà en milliards de dollars. Donc il n’y a pas de secret, personne ne le conteste plus.

Ch. Rose : Respectez-vous la souveraineté de l’Ukraine ?

V. Poutine : Bien sûr. Mais nous voudrions que les autres pays respectent également la souveraineté des autres Etats, y compris de l’Ukraine. Respecter la souveraineté veut dire ne pas admettre de coups d’état, d’actions anticonstitutionnelles et de renversement illégal d’un pouvoir légitime. Ça, c’est une chose inadmissible partout.

Ch. Rose : Comment ce renversement du pouvoir légitime s’est-il passé ? Et quel rôle s’attribue la Russie dans la rénovation du pouvoir en Ukraine ?

V. Poutine : Mais la Russie n’entreprend pas, n’a jamais entrepris et n’entreprendra jamais d’actions visant à renverser un pouvoir légitime.

Je parle d’autre chose. Je dis que si quelqu’un le fait, les conséquences en sont très lourdes. En Libye il s’agit de la désintégration complète de l’Etat ; en Irak c’est l’envahissement du territoire par les terroristes ; en Syrie il semble qu’on n’en est pas loin ; et quelle est la situation en Afghanistan, vous le savez.

Que s’est-il passé en Ukraine ? Le coup d’état a conduit à la guerre civile. Admettons qu’un grand nombre de citoyens ukrainiens ne faisaient plus confiance au président Ianoukovitch. Mais il fallait alors organiser des élections et élire un autre chef d’Etat au lieu d’organiser son renversement. Et après ce coup d’état, certains l’ont soutenu et d’autres s’y sont opposés. Et avec ceux qui étaient opposés on a commencé à faire usage de la force. Le résultat a été la guerre civile.

Ch. Rose : Et qu’êtes-vous êtes prêt à faire vis-à-vis de l’Ukraine ?

V. Poutine : Je vais vous le dire. Si telle est votre question, je considère que la Russie, tout comme les autres acteurs de la communauté internationale, y compris ceux qui participent de la manière la plus active à la résolution de la crise ukrainienne, je parle de la République Fédérale d’Allemagne et de la France, du Format Normandie avec, évidemment, une contribution active des Etats-Unis et notre dialogue à ce sujet s’est intensifié, nous devons tous avoir pour but de respecter absolument les accords de Minsk. Il faut les respecter.

Ch. Rose : Hier John Kerry en a parlé au cours d’une conversation avec le ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni. Après avoir traité de la question syrienne, il a évoqué l’Ukraine en soulignant la nécessité de respecter parfaitement les accords de Minsk. Cela signifierait-il que John Kerry et vous-même êtes d’accord pour respecter les accords de Minsk ?

V. Poutine : Oui, complétement.

Et maintenant vous allez être patient, et m’écouter pendant deux minutes sans me couper la parole. Mais je vais vous demander de diffuser ce que je vais dire sans coupure au montage. Pourrez-vous le faire ? Avez-vous assez de pouvoir pour cela ?

Ch. Rose : Oui.

V. Poutine : Respecter les accords de Minsk, qu’est-ce que cela veut dire ? Il y a plusieurs points, mais je vais parler de l’essentiel. Le plus important c’est de mener des transformations politiques pour que la situation en Ukraine change de façon radicale.

Tout d’abord il faut appliquer des changements à la Constitution. C’est ce qui est écrit dans les accords de Minsk. Et maintenant le plus important : les accords de Minsk prévoient que ces changements doivent être adoptés en accord avec Donetsk et Lougansk. C’est une question cruciale. Actuellement en Ukraine on adopte des changements dans la Constitution. La première lecture est faite, mais il n’y a aucun accord avec Donetsk et Lougansk et personne ne compte rien négocier avec eux. Ça c’est le point numéro un.

Point numéro deux : dans les accords de Minsk il est directement prescrit qu’il faut appliquer une loi déjà adoptée en Ukraine, portant sur les particularités de l’autogestion locale dans ces territoires. La loi est promulguée, mais son application est suspendue. Les accords de Minsk ne sont donc pas respectés.

Point numéro trois : il fallait adopter la loi sur l’amnistie. Comment est-il possible de dialoguer avec les gens du Donbass, de Lougansk et de Donetsk, s’ils sont tous sous le coup de poursuites pénales ? Il y a des affaires pénales contre chacun d’eux. C’est pour ça qu’il est écrit dans les accords de Minsk : «adopter une loi d’amnistie». Mais elle n’a pas été adoptée.

Il y a d’autres points. Par exemple, sur la question des élections locales il est précisé : «adopter une loi sur les élections locales en accord avec Donetsk et Lougansk». En Ukraine on a adopté une loi sur les élections locales ; les représentants de Donetsk et Lougansk ont envoyé à trois reprises leurs propositions concernant cette loi. Mais personne n’a simplement voulu leur parler, bien qu’il soit inscrit dans les accords de Minsk : «… en accord avec Donetsk et Lougansk».

C’est pour ça que je respecte et j’apprécie monsieur Kerry, c’est un diplomate très expérimenté. Il m’a raconté qu’à l’époque il était même opposé au projet de Guerre des étoiles et il avait raison. Si la décision sur la défense anti-missiles avait été prise par lui, nous n’aurions peut-être pas eu les conflits actuels relatifs à ce sujet. Mais dans le cas dont nous parlons, il a clairement tort, car le pouvoir ukrainien actuel dit : «Nous avons fait ça et ça, nous respectons les accords de Minsk». Alors que ce n’est pas vrai, car tout doit être appliqué en accord avec Donetsk et Lougansk et il n’y a aucun accord.

Quant à l’implémentation de la loi déjà adoptée sur les particularités de l’autogestion dans ces territoires, même le délai d’entrée en vigueur est précisé dans les accords de Minsk : 30 jours. Rien n’a été fait et l’ implémentation de la loi est toujours suspendue.

C’est pourquoi nous insistons pour que les accords de Minsk soient respectés par les deux parties, et non selon l’interprétation de l’une de ces parties, mais selon ce qui est écrit.

Ch. Rose : Je ne vous ai pas coupé la parole pendant quatre minutes, n’est-ce pas ?

V. Poutine : J’ai vu que vous avez fait des efforts pour vous retenir. Je vous en suis très reconnaissant.

Ch. Rose : Oui, j’ai apprécié vos déclarations.

V. Poutine : En fait, ce que je dis, c’est la vérité.

Ch. Rose : Les Américains vont vous voir d’une manière tout-à-fait nouvelle. Vous êtes enclin à parler et très expressif, c’est vraiment très bien.

V. Poutine : Merci. En réalité, ce que je viens de dire est absolument vrai. Vous comprenez ? Il ne peut pas y avoir de solution à ce problème si le pouvoir de Kiev fait tout unilatéralement, alors que dans les accords de Minsk il est indiqué : «en accord avec le Donbass». C’est une question de principe.

Ch. Rose : Vous le croyez vraiment ?

V. Poutine : Il n’y a pas à croire, tout est écrit noir sur blanc, il faut juste lire. C’est marqué : «en accord avec Donetsk et Lougansk». Lisez le document. Et moi je vous dis qu’il n’y a pas d’accord, un point c’est tout. Il est écrit : «introduire une loi sur le statut spécial au cours des 30 jours.» Elle n’est pas introduite. Qui ne respecte pas les accords de Minsk ?

Ch. Rose : Vous avez parlé du secrétaire d’État américain, qui trouve qu’il est nécessaire non seulement que les accords de Minsk soient appliqués, mais aussi que les séparatistes abandonnent l’idée d’élections locales indépendantes. C’est ce que Kerry a dit hier.

V. Poutine : Je connais la position de nos amis américains et voilà ce que je veux dire à ce propos. Je viens d’en parler, mais je vois qu’il faut le répéter. Quant aux élections locales, il est écrit dans les accords de Minsk : «adopter une loi sur les élections locales en accord avec Donetsk et Lougansk».

Que s’est-il passé en réalité ? Le pouvoir de Kiev a adopté cette loi tout seul sans aucun accord avec Donetsk et Lougansk, malgré le fait que ces derniers ont envoyé leur projet à trois reprises. Il n’y a pas eu de dialogue. La loi a été adoptée sans la moindre consultation avec eux. De plus, la loi promulguée par Kiev postulait que les élections sur ces territoires ne devraient pas avoir lieu du tout.

Comment doit-on le comprendre ? Au fond, ils ont poussé eux-mêmes les représentants de Donetsk et de Lougansk à organiser leurs propres élections. C’est tout. Nous sommes donc prêts à en parler avec monsieur Kerry, nous devons nous assurer à ce que les deux parties respectent leurs engagements écrits, au lieu d’essayer de recueillir des lauriers pour ce qu’ils font de leur propre initiative.

Ch. Rose : Je vous comprends, je voulais juste le répéter car le secrétaire d’État Kerry a mis en avant cette question des élections. Oui, je vous comprends, vraiment.

V. Poutine : Le secrétaire d’État Kerry, en tant que diplomate, a esquivé. Mais c’est normal, ça fait partie de son travail. Tous les diplomates sont dans l’esquive, lui aussi.

Ch. Rose : Vous ne faites jamais comme ça, n’est-ce pas ?

V. Poutine : Non, je ne le fais pas. Je ne suis pas diplomate.

Ch. Rose : Qui êtes-vous ? Comment vous percevez-vous ?

V. Poutine : Comme une personne, un citoyen de la Fédération de Russie, un Russe.

Ch. Rose : Vous avez également dit que la plus grande tragédie du XXème siècle était la chute de l’Union Soviétique. Cependant, certaines personnes regardent l’Ukraine et la Géorgie et disent non pas que vous voulez rétablir l’empire soviétique, mais plutôt la sphère d’influence que la Russie mérite selon vous, à cause de ces relations qui ont existé toutes ces années.

Pourquoi souriez-vous ?

V. Poutine : Vous me réjouissez. On nous prête tout le temps je ne sais quelles ambitions et essaie en permanence de déformer ou de tronquer les faits. J’ai réellement dit que je croyais que la chute de l’Union Soviétique avait été la plus grande tragédie du XXème siècle. Vous savez pourquoi ? C’est avant tout parce que du jour au lendemain, quelque 25 millions de Russes se sont retrouvés hors des frontières de la Fédération de Russie. Ils vivaient tous dans le cadre d’un seul Etat et depuis toujours en parlant de l’Union Soviétique on disait «la Russie», «la Russie soviétique», mais c’était vraiment la grande Russie. Puis, soudain, pratiquement en une nuit, la chute de l’Union Soviétique s’est produite et l’on s’est rendu compte que dans les ex-républiques de l’Union Soviétique vivaient des gens, des Russes, au nombre de 25 millions.

Ils vivaient dans un pays et soudain, se sont retrouvés à l’étranger. Vous imaginez le nombre de problèmes que cela a posé ?

Premièrement, des problèmes d’ordre domestique, la séparation des familles, des problèmes économiques, des problèmes sociaux. Impossible d’en faire la liste complète. Et vous pensez qu’il est normal que 25 millions de personnes, de Russes, se soient retrouvés soudain à l’étranger ? A l’heure actuelle, les Russes constituent la plus grande nation jamais séparée dans le monde. Ce n’est pas un problème ? Ce n’est pas un problème pour vous, mais ça l’est pour moi.

Ch. Rose : Et comment voulez-vous régler ce problème ?

V. Poutine : Nous voulons préserver un espace humanitaire commun dans le cadre de processus modernes civilisés. Nous voulons que les frontières entre les Etats ne soient pas un problème, que les gens puissent communiquer librement, qu’une économie commune se développe, tout en tirant parti des avantages que nous avons hérités de l’Union Soviétique.

De quels avantages s’agit-il ?  Une infrastructure commune, des réseaux ferroviaire et routier communs, un système énergétique commun et enfin – je n’aurai pas peur d’employer ce terme à cette occasion – notre grande langue russe, qui réunit toutes les anciennes républiques de l’Union Soviétique et nous donne des avantages concurrentiels évidents quant à la promotion des projets internationaux dans l’espace post-soviétique.

Vous avez entendu sans doute, que nous avions d’abord créé l’Union douanière et l’avons ensuite transformée en Union économique eurasiatique. Quand les gens peuvent communiquer librement, quand il y a une libre circulation de la main-d’œuvre, des marchandises, des services et des capitaux, quand il n’y a pas de lignes de séparation entre les États, quand nous avons des règles communes d’ordre légal, par exemple dans le domaine social, dans ce cas les gens peuvent se sentir libres.

Ch. Rose : Mais était-il nécessaire d’utiliser la force militaire pour arriver à cette fin ?

V. Poutine : Bien sûr que non.

Ch. Rose : Beaucoup de gens parlent de la présence militaire russe aux frontières de l’Ukraine et certains disent même qu’il y a des troupes russes sur le territoire du pays voisin.

V. Poutine : Vous avez une présence militaire en Europe ?

Ch. Rose : Oui.

V. Poutine : N’oublions pas que des armes nucléaires tactiques américaines s’y trouvent. Qu’est-ce que cela signifie ? Que vous auriez occupé l’Allemagne ou bien auriez décidé de ne pas en finir avec l’occupation de l’Allemagne après la Deuxième Guerre mondiale en transformant tout simplement les forces d’occupation en forces armées de l’OTAN ? On peut voir ça sous cet angle aussi, mais on ne le fait pas. Et si nous avons des troupes sur notre territoire près de la frontière d’un État, vous considérez que c’est déjà un crime ?

Ch. Rose : Je n’ai pas parlé de crime.

V. Poutine : On n’a pas besoin de forces militaires pour mettre en pratique les processus d’intégration économique, humanitaire, sociale naturelle que j’ai évoqués.

Nous avons créé l’Union douanière et l’Union économique eurasiatique non par la force, mais en cherchant des compromis. Ce processus n’était pas facile. Il était compliqué et a duré plusieurs années. Grâce aux négociations et à la recherche de compromis, sur la base de conditions acceptables pour tous, nous avons créé ces organisations en espérant qu’elles donneront à nos économies et à nos peuples des avantages concurrentiels de poids, sur les marchés internationaux et dans l’espace global en général.

Ch. Rose : Passons à la question suivante : les pays baltes et vos intentions à leur égard.

V. Poutine : Nous aimerions bâtir des relations amicales, de partenariat. De nombreux Russes y habitent depuis l’époque de l’Union Soviétique. Il y a une atteinte à leurs droits là-bas. Savez-vous que de nombreux Etats baltes ont inventé quelque chose de nouveau dans le droit international ?

Auparavant, qu’est-ce qui était prévu dans le droit international concernant la citoyenneté ? Le citoyen, l’étranger, l’apatride et le double-national, c’est-à-dire, la personne qui a une double-nationalité. Dans les républiques baltes, on a créé quelque chose de nouveau. Vous savez quoi exactement ? Le terme de «non-citoyen».  C’est celui qui habite sur le territoire d’Etats baltes pendant des dizaines d’années et qui est privé d’une partie considérable de ses droits politiques. Ils ne peuvent pas prendre part à des campagnes électorales et ils sont limités dans leurs droits politiques et sociaux. Et l’on garde le silence, comme si tout allait bien.  

Bien sûr, cela ne peut que causer une certaine réaction. Mais, je pars du principe que nos collègues aux Etats-Unis et dans l’Union Européenne vont tout de même prendre en considération les principes contemporains du droit humanitaire et accorderont des libertés politiques et des droits à toutes les personnes, y compris celles vivant sur le territoire des États baltes depuis la chute de l’Union Soviétique. Quant aux relations économiques, elles sont stables entre nous, nous avons des relations durables et très développées avec ces pays.

Mais vous savez, il y a tout de même certaines choses qui, comment dire, me dérangent.

Ch. Rose : Qui vous dérangent ?

V. Poutine : Il y a des choses qui me dérangent et qui me chagrinent.

Nous évoquons tous la nécessité du rapprochement des positions, de la nécessité de l’intégration dans le domaine de l’économie et dans la sphère politique.

Par exemple, j’avais déjà mentionné que nous avons, depuis l’époque de l’Union Soviétique, un système d’approvisionnement en énergie commun, un réseau d’énergie commun. Les pays baltes faisaient bien évidemment partie du réseau d’énergie commun de l’Union Soviétique. Et maintenant, que font-ils ? Tout le monde parle, paraît-il, d’un rapprochement entre la Russie et l’Union Européenne.

Que se passe-t-il en réalité, en pratique ? On prévoit désormais de faire sortir les pays baltes du réseau d’énergie commun de l’ex-Union Soviétique et de les inclure dans le système européen. Qu’est-ce que cela signifie pour nous en pratique ? En pratique, cela signifie que certaines régions de la Fédération de Russie seront dépourvues de lignes électriques à haute tension, car auparavant, l’énergie était distribuée en boucle à travers les pays baltes. Et à présent, nous devons de nouveau dépenser des milliards de dollars pour construire encore une fois ce réseau et de même, des milliards de dollars devront être dépensés par nos partenaires européens pour intégrer les pays baltes dans leur réseau. Pour quoi faire ?

Pourquoi faire tout ça, si l’on aspire réellement, et non seulement en paroles, à une certaine collaboration et intégration ? Et ce genre de chose arrive dans de nombreux domaines : il y a une grande différence entre ce qui est dit et ce qui est fait en réalité.

Mais je pars du principe que ce sont des problèmes de croissance et, qu’en fin du compte, le bons sens l’emportera, peut-être pas dans ce domaine, mais dans d’autres domaines. Nous sommes tous intéressés par un développement ouvert et sans préjugés et les pays baltes sont les premiers intéressés. C’est probablement encore plus important pour eux que pour la Russie.

Prenons l’exemple de l’un de ces pays, la Lituanie. Vous connaissez la taille de la population lituanienne à l’époque soviétique ? 3,4 millions de personnes. Un petit pays, une petite république. Et aujourd’hui ? J’ai regardé les dernières statistiques : 1,4 million. Où sont passés les gens ? Plus de la moitié des citoyens a quitté le pays. Vous vous imaginez si plus de la moitié des Américains quittaient le territoire des Etats-Unis ? Ce serait une catastrophe.

Qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie que les relations qui ont été détruites, surtout dans l’économie, ont joué un rôle négatif sur nous tous. Je parle également de la Russie. C’est pourquoi je suis profondément convaincu, que nous devons abandonner les vieilles phobies, regarder vers l'avenir et bâtir des relations de bon voisinage et d’égalité en se basant sur le droit international.

Ch. Rose : Et bien évidemment nous devons lever les sanctions ?

V. Poutine : Si quelqu’un apprécie de travailler sous un régime de sanctions, alors allez-y ! Mais ça ne peut durer qu’un temps. Premièrement, c’est contraire au droit international. Deuxièmement, donnez-moi un exemple où cette politique de sanctions s’est montrée efficace ? Nulle part. D’autant plus que dans le cas d’un pays comme la Russie, il est peu probable que cette politique soit efficace.

Ch. Rose : Dans le contexte des sanctions et de la baisse des prix du pétrole, même vos amis sont inquiets pour l'économie russe. Est-ce que c’est un grand défi pour vous ? Cette réalité économique globale, est-elle inquiétante ?

V. Poutine : Vous savez, les sanctions, comme je viens de le dire, sont des actions illégales qui détruisent les principes de l’économie internationale, les principes de l’OMC et de l’ONU. Les sanctions ne peuvent être appliquées que par décision du Conseil de sécurité des Nations Unies. Mais la mise en place de sanctions à titre unilatéral est une violation du droit international. Bon, laissons à présent le côté juridique de l’affaire. Elles sont préjudiciables, mais bien sûr, elles ne sont pas la principale raison du ralentissement de l’économie russe et des autres problèmes liés à l’inflation.

Pour nous la raison principale, c’est bien sûr la baisse des prix sur les marchés mondiaux de nos marchandises traditionnellement destinées à l’export. Avant tout, il s’agit de la baisse du prix du pétrole et du gaz et de certains autres biens. C’est essentiel. Les sanctions ont bien sûr rajouté leur part de manière négative. Elles influent d’une manière ou d’une autre, même s’il est peu probable que cette influence soit déterminante pour l’économie de notre pays.

Ch. Rose : Est-ce que la Russie peut faire face aux sanctions ?

V. Poutine : Bien sûr, cela ne fait aucun doute, c’est même indiscutable. Il y a même un aspect positif. Vous savez de quoi il s’agit ? Ce côté positif réside dans le fait que de nombreux biens, notamment ceux du secteur des hautes technologies étaient auparavant tout simplement achetés en utilisant les pétrodollars.

Aujourd’hui, en raison de ces sanctions, nous ne pouvons plus acheter, ou craignons de ne plus avoir accès à ces biens de haute technologie, et cela nous oblige à mettre en place des programmes de développement de notre propre économie, industrie, fabrication et recherche dans le domaine des hautes technologies.

  C’est quelque chose que nous devions faire de toute manière. Mais c’était auparavant difficile, car nos propres marchés internes étaient submergés par des biens étrangers. Et, dans le cadre de l’OMC, il nous était très difficile d’accorder des subventions à nos propres industriels. Mais dès lors que les sanctions ont été introduites et que nos partenaires se sont volontairement retirés de notre marché, cela nous a donné l’occasion d’un nouveau développement.

Ch. Rose : J’aimerais encore vous poser quelques questions. Vous avez été président, puis Premier ministre et de nouveau président. Combien de temps comptez-vous rester au pouvoir ? Et qu’aimeriez-vous laisser après vous ? C’est la première question.

V. Poutine : Combien de temps je compte rester au pouvoir, cela dépendra de deux circonstances. Premièrement, sans aucun doute, il y a des règles prévues par la Constitution et je n’enfreindrai ces règles en aucun cas. Mais je ne suis pas non plus sûr de devoir pleinement utiliser ces droits constitutionnels. Tout dépendra de la situation concrète dans le pays, dans le monde et de mon propre état d’esprit.

Ch. Rose : Etquelle Russie aimeriez-vous laisser après vous ?

V. Poutine : La Russie doit être performante, compétitive, dotée d’une économie stable, d’un système social et politique développé, apte aux changements qui se produisent à l’intérieur du pays et autour de lui.

Ch. Rose : Devra-t-elle jouer un rôle importantdans le monde ?

V. Poutine : Elle doit être compétitive, comme je viens de le dire. Elle doit être en mesure de protéger ses intérêts et d’influencer les processus qui ont de l’importance pour elle.

Ch. Rose : Beaucoup de gens disent que vous êtes un homme tout-puissant, que vous pouvez obtenir tout ce que vous désirez. Alors, que désirez-vous ? Dites aux Etats-Unis et au monde, ce que désire Vladimir Poutine.

V. Poutine : Je veux que la Russie soit celle que je viens de décrire. Ça, c’est mon principal désir. Et je veux que les gens ici soient heureux et que nos partenaires dans le monde entier souhaitent et aspirent à développer des relations avec la Russie.

Ch. Rose : Merci. Merci beaucoup, ce fut un plaisir.

V. Poutine : Merci.

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