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A travers le monde, les musulmans fêtent l'Aïd au rythme ralenti du déconfinement

Les musulmans du monde entier s'apprêtent à célébrer une fête de l'Aïd 2020 au rythme des restrictions dues à la gestion de la pandémie de coronavirus : voici un tour d'horizon non exhaustif de la situation.

Marquant la fin du mois de jeûne du ramadan, la fête de l'Aïd al-fitr est une des plus importantes pour les musulmans du monde entier. En cette année de pandémie, sa célébration devra, pour la plupart d'entre eux, se tenir en confinement ou en déconfinement progressif. La «nuit du doute» étant fixée ce 22 mai, le premier jour de l'Aïd sera célébrée soit le lendemain, soit, plus probablement, le 24 mai.

En temps normal, ce jour-là, les fidèles se rendent à la mosquée au lever du soleil pour une prière collective particulière. La journée est aussi dédiée aux enfants qui revêtent de nouveaux habits et que l'on gâte particulièrement. L'Aïd est également l'occasion de faire la tournée de la famille, en allant rendre visite aux plus isolés ainsi que de partager repas et gâteaux. Mais dans le contexte de la pandémie de coronavirus qui n'épargne aucun pays, l'Aïd 2020 ne ressemblera à aucun autre. Un constat global se dégage : dans la plupart des pays, la sécurité sanitaire semble primer sur la pratique religieuse. Et la crise économique générée par les restrictions a un impact sur les décisions politiques de certains pays.

En France, le CFCM plaide pour la primauté des considérations d’ordre sanitaire

En France, le Conseil français du culte musulman (CFCM) appelait le 19 mai les fidèles à considérer la décision du Conseil d’Etat du 18 mai comme un rappel de «la nécessité de concilier entre la liberté de culte et la protection sanitaire», expliquant que cette décision «n’ouvre pas la voie à une reprise normale et immédiate des cérémonies religieuses». «Compte tenu de la situation sanitaire de notre pays, la reprise des cérémonies religieuses dans les mosquées, qui doit être progressive, ne peut avoir lieu à l’occasion de grands rassemblements telles que la fête de l’Aïd ou la prière de vendredi», a écrit Mohammed Moussaoui, le président du CFCM.

Un discours empreint de retenue alors que le 18 mai, le Conseil d'Etat a ordonné au gouvernement de lever l'interdiction «générale et absolue» de réunion dans les lieux de culte, mis en place dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire, en raison de son «caractère disproportionné». Alors que les différents cultes ont fait leurs propositions au ministère de l'Intérieur, le CFCM plaide pour «des propositions consensuelles basées uniquement sur des considérations d’ordre sanitaire et la nécessité de nous protéger mutuellement face à la pandémie». Dans son communiqué, le CFCM appelle ainsi les musulmans de France «à se préparer à célébrer très probablement la prière de l’Aïd à la maison avec nos familles».

Pas de prières dans les lieux saints

Abritant les deux principaux lieux saints de l'islam que sont la Mecque et Médine, l'Arabie saoudite a annoncé mettre en place un couvre-feu total durant les cinq jours de l'Aïd, du 23 au 27 mai, face à l'augmentation des nouveaux cas de Covid-19. 

Le royaume wahhabite, pays arabe qui compte le plus d'infections dans le Golfe, a recensé 42 925 cas d'infections, dont 264 décès et 15 257 guérisons. Les centres commerciaux et magasins ont cependant été autorisés à rouvrir sauf dans certains lieux, comme à La Mecque, première ville sainte de l'islam, où le nombre de cas n'a cessé d'augmenter malgré un strict couvre-feu. 

En mars, l'Arabie saoudite, avait suspendu la omra – le petit pèlerinage musulman – mais les autorités n'ont pas encore annoncé si elles comptaient ou non annuler le hajj – le grand pèlerinage et cinquième pilier de l'islam  prévu à partir de fin juillet. Ce gigantesque rassemblement avait attiré plus de 2,5 millions de pèlerins en 2019 autour de la Kaaba, célèbre cube noir et lieu le plus sacré de l'islam.

A Jérusalem, troisième lieu saint pour les musulmans, l'esplanade des Mosquées ne rouvrira qu'après l'Aïd, après deux mois de fermeture due à la pandémie de Covid-19. – une décision inédite depuis 1967 du Waqf (l'autorité musulmane). En Cisjordanie occupée, les autorités palestiniennes ont officiellement recensé 366 malades, dont deux sont décédés de l'épidémie.

En Syrie, les autorités préfèrent prévenir que guérir

La Syrie non plus n'organisera pas de prières collectives pour l'Aïd. Si la maladie de Covid-19 n'a officiellement touché que 58 patients et entraîné trois décès dans les régions de Syrie tenues par le pouvoir de Damas, les autorités syriennes ne semblent pas prêtes à prendre des risques de propagation dans ce pays qui a payé un très lourd tribut aux neuf années de guerre. Invitant les fidèles à prier en famille à la maison, les autorités ont annoncé «la suspension de la prière collective de l'Aïd dans les mosquées», a rapporté l'agence officielle Sana. La décision, prise par le comité de jurisprudence du ministère du Waqf [biens religieux], s'inscrit dans le cadre des «mesures de précaution» adoptées pour lutter contre l'épidémie.

Le 14 mai, les autorités syriennes avaient déjà annoncé interdire tout rassemblement durant l'Aïd, notamment les foires et fêtes foraines très appréciées des enfants, et maintenir également le couvre-feu nocturne à partir de 19h30.

L'Egypte a aussi prévu de durcir le couvre-feu pendant l'Aïd. Les commerces seront fermés durant cette période et les transports en commun suspendus. La prestigieuse institution sunnite Al-Azhar, basée au Caire, a demandé aux fidèles d'effectuer leurs prières chez eux.

Pas de déplacements entre les provinces en Iran

En Iran, les autorités ont appelé la population à éviter tout déplacement entre les provinces à l'occasion de l'Aïd, dans un pays où les cas de nouveau coronavirus sont en hausse. La république islamique d'Iran est le pays du Proche et Moyen-Orient le plus touché par l'épidémie avec un nombre des morts atteignant 7 249 ainsi que 129 341 cas confirmés, selon les chiffres officiels. «Notre plus grande préoccupation» est de subir «de nouveaux pics de la maladie à cause du non respect des consignes sanitaires», a expliqué le ministre de la Santé, Saïd Namaki, cité par l'agence de presse iranienne Isna. «Je demande donc au cher peuple iranien [...] de ne pas voyager pendant les vacances de l'Aïd al-fitr car de nouveaux voyages signifient de nouvelles infections au Covid-19», a-t-il ajouté, en allusion aux déplacements traditionnels entre les 31 provinces du pays durant cette période pour aller visiter familles et amis. L'Etat a aussi fermé les écoles et les lieux de culte et interdit les déplacements entre les villes lors des vacances du Nouvel an persan en mars.

Au Pakistan voisin, les mesures de confinement ont été assouplies, et même si le nombre de nouvelles infections enregistrées dans le pays reste élevé, le Premier ministre Imran Khan a autorisé la réouverture progressive des commerces à partir de ce week-end, invoquant le choc économique provoqué par les mesures de restriction imposées. Dans la ville de garnison de Rawalpindi (nord), des milliers de chalands faisaient leurs courses en prévision de la fête de l'Aïd, tout en s'astreignant aux règles de distanciation physique et en échangeant des conseils sur le port du masque, rapporte l'AFP.

Au Maghreb, l'Aïd en confinement

Plus près de la France, en Tunisie, les autorités ont décidé de ne rouvrir les mosquées et tous les lieux de culte ainsi que les cafés, les restaurants et les hôtels, qu'au 4 juin, après plus de deux mois de fermeture en raison de la pandémie. Une reprise qui pourrait être encore reportée si le nombre de cas venait à augmenter. Les déplacements entre les gouvernorats restent interdits, et des contrôles sécuritaires seront renforcées ce week-end pour l'Aïd. Depuis début mars, quelque 1 045 malades du coronavirus ont été officiellement déclarés dans ce pays dont 47 morts, et l'épidémie semble avoir marqué le pas ces derniers jours après des mesures rigoureuses prises par les autorités dès les premiers cas mi-mars.

Même situation en Algérie, un des pays les plus touchés en Afrique par le coronavirus avec 7 201 cas et plus de 550 décès. Pendant les deux jours de la fête de l'Aïd, les couvre-feux seront allongés et la circulation automobile interdite dans tout le pays, selon un communiqué gouvernemental. Le port du masque sanitaire reste également obligatoire dans les lieux publics et les mosquées restent fermées, au moins jusqu'au 29 mai. Une vaste campagne de désinfection des lieux de culte a été lancée pour mettre les fidèles à l'abri du virus après la levée des mesures de confinement.

Au Maroc où les deux mois de confinement ont fortement impacté l'économie, coûtant au pays six points de son produit intérieur brut, le gouvernement a annoncé son intention de «relancer les différents secteurs économique après l'Aïd». Le Maroc a perdu «un milliard de dirham [environ 930 millions d'euros] pour chaque jour de confinement», a précisé le ministre de l'Economie Mohamed Benchaâboun devant le Parlement. Le pays qui a enregistré officiellement 7 023 cas de contamination et 193 décès au total, a imposé un confinement général le 20 mars, prolongé jusqu'au 10 juin et renforcé par un couvre-feu nocturne pendant le ramadan. Environ 950 000 salariés sont temporairement en arrêt de travail et au moins 4,3 millions de familles privées de revenus tirés du secteur informel ou d'emplois précaires. Pour faire face à cette crise économique, toute une panoplie d'aides financières ont été déployées par l'Etat marocain pour les entreprises, salariés et travailleurs du secteur informel.