Des membres de l'opposition vénézuélienne très proches de Juan Guaido – le président autoproclamé du pays qui bénéficie du soutien des Occidentaux – ont négocié en octobre dernier un accord avec une petite société de sécurité de Floride, Silvercorp USA, pour qu'elle mène dans le pays une opération visant à chasser du pouvoir le président Nicolas Maduro. Une information confirmée – et assumée – par l'un des signataires de ce contrat, Juan José Rendon, chef du comité stratégique de Guaido basé à Miami, qui a toutefois assuré qu'il n'avait pas donné suite à l'opération.
Le Washington Post a publié ce 7 mai un document sous forme scannée qui reproduirait ce contrat expurgé de certaines parties, dans lequel est fait état d'un accord de près de 213 millions de dollars entre l'entreprise américaine et les signataires pour ce projet de renversement politique. D'après le journal, les termes généraux de l'«accord de service» ont été rédigés par le directeur de Silvercorp, Jordan Goudreau, qui a publiquement revendiqué l'organisation de l'opération. «Ce document a été fourni par des responsables de l'opposition vénézuélienne à la condition que l'une des pièces jointes soit expurgée», précise le quotidien américain.
Le document est on ne peut plus clair quant à la finalité de l'opération : les deux parties prenantes devaient collaborer dans «la planification et l'exécution d'une opération pour capturer / détenir / renverser Nicolas Maduro, renverser le régime actuel et installer le président reconnu Juan Guaido». Un projet qui corrobore les aveux des deux Américains, Luke Denman et Airan Berry, arrêtés le 4 mai, qui ont expliqué, dans un interrogatoire vidéo dont des images ont été diffusées par la télévision publique vénézuélienne, qu'ils avaient été chargés par Silvercorp de prendre le contrôle de l'aéroport de la capitale, Caracas, dans le but d'en exfiltrer Nicolas Maduro.
Pour rappel, les autorités vénézuéliennes ont arrêté sur leur sol plus d'une douzaine de personnes depuis le 3 mai, dont deux ressortissants américains travaillant pour la société de sécurité Silvercorp USA, qu'elles accusent d'une opération d'incursion destinée à renverser Nicolas Maduro. Le président vénézuélien, dénonçant une «invasion de mercenaires», avait à cette occasion lui-même évoqué le contrat, accusant Juan Guaido d'en être partie prenante. Si la signature de Juan Guaido n'apparaît pas dans le document publié par le Washington Post, Nicolas Maduro avait révélé un autre document en rapport avec ce contrat, sur lequel le président autoproclamé aurait apposé sa signature. Patricia Poleo, une journaliste qui affiche pourtant son opposition au gouvernement vénézuélien et qui a été la première à interviewer Jordan Goudreau, dès le 4 mai, a d'ailleurs publié ce document, qui s'étend sur huit pages.
En dépit de cette révélation, Juan Guaido nie toute implication dans cette affaire ainsi que tout lien avec Silvercorp.
Paiement possible en baril de pétrole
Le document de 41 pages publié par le Washington Post, dont RT France ne peut confirmer l'authenticité, détaille en outre de nombreux éléments tactiques – notamment le matériel militaire à utiliser – mais ne fournit aucune explication sur la manière dont un si petit commando pouvait envisager de venir à bout de centaines de milliers de membres des forces de sécurité loyales à Maduro. A cet égard, le vétéran Airan Berry avait déclaré dans ses aveux que les objectifs de la mission étaient également de contrôler des cibles spécifiques telles que le service de renseignement vénézuélien «Sebin» et le groupe de renseignement militaire «DGCIM», et de «récupérer» Maduro.
Le contrat prévoit par ailleurs l'après-opération. Silvercorp propose en effet de trouver des investisseurs capables de prêter aux signataires la somme nécessaire pour financer le projet. Un service qui a bien entendu un coût à long terme : «Après l'achèvement de ce projet, les investisseurs auront un statut de fournisseur privilégié avec le nouveau gouvernement au Venezuela». S'il n'est pas précisé ce qu'entend Silvercorp par ce statut de «fournisseur privilégié», l'entreprise américaine précise, un peu plus loin, qu'en cas d'insolvabilité, les signataires pourront toujours effectuer le payement... en barils de pétrole.
Opération «suicide» ?
Juan Rendon, chef du comité stratégique de Guaido, dont la signature apparaît sur le document, a déclaré lors d'une interview à CNN le 6 mai qu'il avait négocié l'accord «exploratoire», mais qu'il avait rompu ses liens avec le directeur de Silvercorp, Jordan Goudreau, en novembre. Celui-ci aurait, selon Juan Rendon, tout de même donné suite à l'opération, envoyant les soldats en «mission suicide bâclée», sans le soutien de Juan Guaido.
«Ils mentent», a de son côté déclaré Jordan Goudreau lors d'une conversation téléphonique avec Bloomberg le 4 mai . «Je mène une guerre de l'information contre ceux qui m'ont engagé. Ils ont de l'argent aux Etats-Unis sur un compte Citgo, ils avaient l'argent pour me payer, mais ils ne m'ont pas payé», a-t-il expliqué. Citgo est la branche américaine de la compagnie pétrolière d'Etat vénézuélienne PDVSA. Nicolas Maduro et la justice vénézuélienne accusent donc Juan Guaido d'avoir recruté des «mercenaires» avec les fonds bloqués par des sanctions américaines pour fomenter cette opération avec Jordan Goudreau.
En outre, le procureur général du Venezuela, Tarek Saab, a déclaré le 8 mai que son bureau avait demandé des ordonnances de détention et d'extradition de l'ancien militaire américain Jordan Goudreau et de deux Vénézuéliens accusés d'avoir participé à l'incursion armée ratée au début de la semaine.
Si je voulais aller au Venezuela, je n'en ferais pas un secret
Pour comprendre les motivations de Jordan Goudreau à envoyer une poignée d'hommes, il faut peut-être se souvenir que le 26 mars, les Etats-Unis avaient offert une récompense pouvant atteindre 15 millions de dollars pour toute information permettant d'arrêter le président vénézuélien Nicolas Maduro.
Pour le président vénézuélien, la responsabilité du président américain ne fait aucun doute : «Donald Trump est le chef direct de cette invasion», a-t-il ouvertement accusé. Dans une réponse musclée formulée le 8 mai, Donald Trump a assuré que les Etats-Unis n'étaient pas derrière l'opération avortée au Venezuela, mais que s'il intervenait contre le gouvernement socialiste, il s'agirait bel et bien d'une «invasion». «Si je voulais aller au Venezuela, je n'en ferais pas un secret», a confié sur un ton belliqueux le président américain à la chaîne Fox News. «J'y entrerais et ils ne pourraient rien y faire. Ils s'écraseraient. Je n'enverrais pas un petit groupe, non, non, non. Ca s'appellerait une armée, ça s'appellerait une invasion», a insisté le locataire de la Maison Blanche, expliquant «ne pas savoir grand-chose» du groupe de personnes arrêtées.
L'opposition vénézuélienne, qui est loin de se ranger comme un seul homme derrière Guaido, soutient encore moins cette opération paramilitaire. Le 7 mai, deux partis d'opposition, Primera Justicia et Voluntad popular, auxquels Guaido est affilié, ont déclaré dans un communiqué que «les forces démocratiques ne promeuvent ni ne financent des guérillas, des flambées de violence ou des groupes paramilitaires», tout en réitérant les appels à un gouvernement de transition.
Meriem Laribi