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Pour Maduro, Trump est derrière la «tentative d'invasion» au Venezuela, Washington dément

Les deux Américains arrêtés pour avoir tenté de s'introduire au Venezuela seront jugés sur place, a assuré Maduro qui affirme que Trump est derrière cette opération. Washington dément toute implication, tandis que Moscou a exprimé ses doutes.

Luke Denman et Airan Berry, deux vétérans de guerre texans arrêtés le 4 mai au Venezuela pour avoir tenté, avec une dizaine d'hommes, d'«envahir» le pays dans le but de «capturer» ou de «tuer» le président, seront jugés au Venezuela, a assuré Nicolas Maduro. Le président vénézuélien accuse l'administration Trump d'être derrière cette opération. Washington dément et réclame le retour aux Etat-Unis de ses deux citoyens, tandis que la Russie s'est dit «pas convaincue» de la non implication étasunienne dans l'opération.

Agés respectivement de 34 et 41 ans, les deux «mercenaires» américains qui seraient, selon un de leurs complices, des membres de l’équipe de sécurité de Donald Trump «ont été inculpés et ont avoué» avoir organisé cette tentative d'«invasion déjouée» la veille, selon Nicolas Maduro qui s'exprimait lors d'une conférence de presse le 6 mai. Les deux hommes «font l'objet de poursuites lancées par le parquet général de la République», a poursuivi le dirigeant socialiste, qui a assuré qu'ils étaient «bien traités». «Leur procès se déroulera avec les pleines garanties et de façon juste», a encore affirmé Nicolas Maduro. 

L'objectif était d'enlever le président Nicolas Maduro et sécuriser l'aéroport, puis l'emmener aux Etats-Unis

Le président vénézuélien a ensuite diffusé, via les réseaux sociaux, la vidéo de l'interrogatoire de Luke Denman dans laquelle le jeune homme explique avoir été engagé par un ancien soldat de l'armée américaine, Jordan Goudreau, fondateur d'une société privée de sécurité appelée Silvercorp USA. «L'objectif était d'enlever le président Nicolas Maduro et sécuriser l'aéroport, puis l'emmener aux Etats-Unis», a-t-il expliqué face caméra. Lorsque l'enquêteur lui demande qui est à l'origine de cette opération, Luke Denman répond qu'il s'agit de... Donald Trump. 

Selon des éléments biographiques obtenus par l'AFP auprès du Pentagone, Luke Denman a fait partie des forces spéciales américaines et sa carrière au sein de l'armée a duré de 2006 à 2011. Jordan Goudreau est lui resté sous les drapeaux de 2001 à 2016 au sein des forces spéciales et il a été déployé en Irak et en Afghanistan. Enfin, Airan Berry, ancien membre des forces spéciales lui aussi, a effectué sa carrière militaire de 1996 à 2013.

«Mélodrame» et «désinformation» ?

Un peu plus tôt dans la journée du 6 mai, le secrétaire d'Etat américain, Mike Pompeo, avait affirmé que Washington ferait tout pour rapatrier Luke Denman et Airan Berry. «Il n'y a aucune implication directe du gouvernement américain dans cette opération», a-t-il affirmé. La diplomatie américaine a qualifié la situation de «mélodrame» qui pourrait, selon elle, faire partie d'une «campagne de désinformation majeure» menée par Caracas.

Un contrat de 212 millions de dollars

Une contre-accusation balayée par le président vénézuélien pour qui il ne fait aucun doute que Donald Trump a «dirigé directement» cette «invasion» tuée dans l'œuf le 3 mai sur la côte caribéenne et qui a tout d'une «Baie des Cochons» vénézuélienne, en référence à la tentative ratée de débarquement d'exilés cubains soutenus et armés par les Etats-Unis le le 17 avril 1961 à Cuba. «C'est un remake» de l'opération ratée montée par des exilés cubains et la CIA en 1961 pour renverser Fidel Castro, a tonné Nicolas Maduro. L'instigateur de cette «invasion» est, selon lui, bel et bien Donald Trump, et le «contrat» avec les «mercenaires» a été «commandité» par le département d'Etat. «Jordan Goudreau travaille directement depuis plusieurs années avec Donald Trump, a fourni des services de sécurité et de renseignement sous contrat avec la Maison Blanche et le Département d'Etat», a affirmé Nicolas Maduro.

Une opération coordonnée avec Juan Guaido ?

Jordan Goudreau ne semble d'ailleurs pas se défendre de ses desseins. Joint par téléphone par le site d'information économique américain Bloomberg, cet ancien des forces spéciales américaines assurerait avoir 62 hommes en tout, avec pour objectif final de «capturer Nicolas Maduro et libérer le Venezuela». Il affirme que, le volet maritime de son raid ayant échoué, ses hommes «se déployer[aient] dans la jungle monter des camps d'entraînements clandestins pour former des combattants et partir bientôt à l'assaut de Caracas».

Jordan Goudreau aurait en outre assuré à Bloomberg que son plan avait été coordonné avec Juan Guaido, l'opposant qui se prétend président par intérim du Venezuela avec le soutien de Washington et de l'Union européenne, avec qui il aurait signé «le 16 octobre 2019 un contrat de 212 millions de dollars». Il affirme n'avoir «obtenu que 50 000 dollars par le biais du consultant politique Juan Jose Rendon et que l'opposition continuait de promettre de lui obtenir le reste».

Le bureau de Juan Guaido a déclaré que l'opposant n'avait jamais parlé à Goudreau ni signé de contrat avec lui. «Ils mentent», aurait réagi Goudreau lors de la conversation téléphonique du 4 mai avec Bloomberg. «Je mène une guerre de l'information contre ceux qui m'ont engagé. Ils ont de l'argent aux Etats-Unis à partir d'un compte Citgo, ils avaient l'argent pour me payer, mais ils ne m'ont pas payé.» Citgo est la branche américaine de la compagnie pétrolière d'Etat vénézuélienne PDVSA. Nicolas Maduro et la justice vénézuélienne accusent donc Juan Guaido d'avoir recruté des «mercenaires» avec les fonds bloqués par des sanctions américaines pour fomenter cette opération avec Jordan Goudreau. Le président vénézuélien a produit la copie du fameux «contrat» signé entre Goudreau et Juan Guaido, entre autres, pour fixer les termes de cette «mission» sur papier.  Selon Bloomberg, Goudreau aurait par ailleurs déclaré qu'il avait essayé de parler au président Donald Trump de son opération mais avait échoué à le joindre.

Pour Moscou, ce sont des «actes terroristes» qui méritent «une condamnation inconditionnelle et décisive»

Moscou, allié traditionnel du gouvernement vénézuélien, a également jugé «pas convaincante» l'affirmation de Washington «selon laquelle le gouvernement américain n'a rien à voir avec ce qui s'est passé au Venezuela» ces derniers jours.

Dans un communiqué cité par l'agence TASS, le ministère russe des Affaires étrangères a déclaré le 6 mai que les actions des «mercenaires» qui, le 3 mai, avaient tenté d'entrer au Venezuela pour commettre des «actes terroristes» méritaient «une condamnation inconditionnelle et décisive» surtout dans le contexte actuel de coronavirus dont «la lutte nécessite l'unification des efforts de chacun». «Nous prenons avec inquiétude les informations sur la tentative d'un groupe de mercenaires d'entrer sur le territoire du Venezuela pour commettre des actes terroristes contre des représentants des autorités judiciaires de ce pays et ses dirigeants», a notamment écrit la diplomatie russe. Moscou a également attiré l'attention sur le fait que, selon les données des autorités de la République bolivarienne du Venezuela, parmi les «mercenaires» figuraient des personnes associées aux services de renseignement américains.

Le 3 mai, Caracas annonçait avoir démantelé «un groupe terroriste» en provenance de Colombie, qui tentaient de pénétrer dans le nord du Venezuela par voie maritime. Le lendemain, le président vénézuélien expliquait que le groupe de «mercenaires» était venu de Colombie, en longeant la veille les côtes de l’Etat de La Guaira. Il a annoncé que les autorités avaient procédé à 13 arrestations, dont les deux Américains et que huit «terroristes» avaient été abattus.

Pour rappel, le 26 mars, les Etats-Unis avaient offert une récompense pouvant atteindre 15 millions de dollars pour toute information permettant d'arrêter le président vénézuélien Nicolas Maduro et plusieurs membres de son entourage qui venaient d'être inculpés pour «narco-terrorisme» par la justice américaine. Le ministre vénézuélien des Affaires étrangères Jorge Arreaza  avait qualifié ces accusations de «misérables, vulgaires et infondées».


Meriem Laribi