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«Roger, bonjour de Jérusalem»: des hauts dignitaires israéliens ont-il tenté d'aider Trump en 2016 ?

Des documents issus de l'enquête du FBI sur la supposée ingérence russe dans la campagne américaine de 2016 pourraient montrer que le conseiller de Donald Trump, Roger Stone, a été en contact avec des dignitaires israéliens avant son élection.

Le FBI a rendu publiques, le 28 avril, plusieurs déclarations sous serment, reprenant des analyses et des extraits de conversations numériques de l'ancien conseiller et proche de Donald Trump : Roger Stone. On y apprend notamment que ce dernier aurait échangé avec au moins un contact basé en Israël, souhaitant aider à l'élection du 45e président des Etats-Unis. Sur la base des éléments disponibles dans la version caviardée des documents du FBI (qui les rend difficilement compréhensibles), plusieurs médias israéliens évoquent de possibles contacts du collaborateur de Donald Trump avec de hauts dignitaires de l'Etat hébreu.

C'est dans le cadre de la tentaculaire enquête du procureur Robert Mueller sur la présumée ingérence russe dans l'élection américaine de 2016 que les conversations de Roger Stone, notamment sur divers réseaux sociaux, ont fait l'objet d'investigations. Il est soupçonné d'avoir su à l'avance que WikiLeaks allait publier des e-mails piratés du camp Clinton, qui allaient plomber la fin de campagne de la candidate démocrate.

Arrêté en janvier 2019, Roger Stone a finalement été reconnu coupable de faux témoignage devant le Congrès et de subordination de témoins et condamné par un tribunal fédéral.

Un contact au sein du gouvernement israélien ? 

Contraint de publier les documents par une action en justice intentée par plusieurs médias américains, le FBI met en lumière, malgré des informations censurées, des échanges ayant eu lieu entre mai et août 2016, quelques mois avant l'élection du candidat républicain, entre Roger Stone et une ou plusieurs personne(s) dont l'identité est tenue secrète.

Toutefois, un message en particulier, envoyé le 12 août 2016 à Roger Stone, a retenu l'attention des médias israéliens. «Roger, bonjour de Jérusalem. Du nouveau ? Il va être battu, à moins que nous n'intervenions. Nous avons des informations cruciales. La clé est entre vos mains ! De retour aux Etats-Unis la semaine prochaine», peut-on lire. 

«Des documents du FBI suggèrent que Roger Stone [...] avait un ou plusieurs contacts de haut-rang dans le gouvernement israélien, souhaitant aider [Donald Trump] à remporter l'élection présidentielle», écrit la chaîne de télévision i24 sur son site.

Roger, bonjour de Jérusalem. Du nouveau ? Il va être battu, à moins que nous n'intervenions. Nous avons des informations cruciales.

«Un mandat de 2018 a démontré que [...] Roger Stone s'entretient avec des associés au sujet d'informations, qui seraient en provenance d'Israël, qui détruiraient la candidature de la présidente Hillary Clinton», résume de son côté le Jerusalem post.

Premier journal à se saisir de l'affaire dans le pays, le Times of Israel évoque quant à lui des «soupçons de tentatives israéliennes d'aider Trump dans la campagne de 2016».  

Mais qui est exactement ce mystérieux contact et quel est son rôle ? «Comme indiqué ci-dessous, en mai 2016, Jerome Corsi [un commentateur politique américain] a fourni les coordonnées de [nom masqué, Ndlr.] à Roger Stone. En juillet 2016, [nom masqué] a également déclaré à Stone qu'il avait besoin de rencontrer le candidat Trump "seul"», peut-on lire dans la note du FBI. 

L'agence de renseignement américaine décrit dans ses notes un «ministre sans portefeuille dans le cabinet [nom masqué] qui s’occupe des questions concernant la Défense et les Affaires étrangères».

Dans la retranscription des messages, l'interlocuteur inconnu fait par ailleurs plusieurs fois référence au «PM» (acronyme qui signifie «Premier ministre») dans ses messages, sans que son nom ni son pays ne soit dévoilé dans cette version caviardée. 

«[Je] RETOURNE À DC APRÈS DES CONSULTATIONS URGENTES AVEC LE PM À ROME. DOIS VOUS RENCONTRER MER[CREDI] SOIR AVEC D[ONALD] J TRUMP À NYC», écrit en capitales l'inconnu à Roger Stone dans un message envoyé selon le FBI «le, ou aux alentours du, 28 juin 2016».

Concordance des temps

Le Times of Israel souligne que ces descriptions contextuelles correspondraient bel et bien à l'agenda du gouvernement israélien, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou s'étant effectivement rendu à Rome, le 27 juin 2016, pour y rencontrer son homologue italien d'alors Matteo Renzi.  

Et le quotidien israélien de citer un nom : Tzachi Hanegbi. Pour le journal Haaretz également, «le suspect le plus intuitif est le vétéran du Likoud (parti politique israélien de tendance national-libérale présidé par le Premier ministre Benjamin Netanyahou, ndlr.) Tzachi Hanegbi, qui a été désigné ministre sans portefeuille en mai 2016, un mois avant qu'il ne soit mentionné dans les documents du FBI. Hanegbi, le seul ministre sans portefeuille à l'époque, était aux Etats-Unis aux dates mentionnées, assistant, entre autres, au lancement du premier avion israélien F-35 à l'usine de Lockheed Martin à Fort Worth, au Texas».

Un élément qui n'empêche pas l'ancien ministre de démentir tout lien avec Roger Stone ou l'équipe de Donald Trump. Et de préciser au journal israélien qu'il n'avait «jamais entendu parler ou connu l'existence» de Roger Stone avant la publication des différents articles sur cette affaire.

Un contact au nom masqué a pourtant bien tenté de rencontrer le futur président américain. «Au St. Regis avec le [Lieutenant général]. Je vous attends merci», écrit le 6 juillet un inconnu à Roger Stone. Précisant qu'il est malade, ce dernier lui répond que «Jerri», Jerome Corsi selon le FBI, va venir le chercher à sa place. «Merci beaucoup. Je dois rencontrer Trump seul après une brève présentation de Jerry», répond l'interlocuteur.

«Avez-vous reprogrammé la réunion avec [Donald Trump] ? Le [Premier ministre] met la pression pour une décision rapide», demande l'inconnu à Roger Stone le 8 juillet. «Désolé pour le fiasco de la semaine dernière», répond l'ancien conseiller, «cependant vous ne pouvez pas amener le général sans me le dire». 

La «surprise d'octobre»

Parallèlement à ces messages, déclare le FBI, Roger Stone aurait envoyé par courriel des «instructions à Jerome Corsi pour "aller voir Assange" en personne à l'ambassade d'Equateur et "obtenir les mails de WikiLeaks en attente"».

Le document du FBI fait plusieurs fois référence à une «surprise d'octobre», qui pourrait correspondre à la révélation en octobre 2016 par WikiLeaks de milliers d'e-mails de l'équipe d'Hillary Clinton

«TRUMP EN CHUTE LIBRE», écrit un interlocuteur inconnu à Roger Stone le 9 août, «LA SURPRISE D'OCTOBRE ARRIVE». 

Si le gouvernement américain vous poursuit, je ferais s'écrouler tout ce château de cartes

Le 20 août, toujours selon la description du FBI, Jerome Corsi dit à Roger Stone «qu'ils doivent s'entretenir avec [nom masqué] pour déterminer "ce qu'Israël envisage de faire et si [Israël envisage de faire quelque chose] en octobre"».

Outre ces échanges, les archives du FBI montrent que le compte Twitter de Roger Stone a écrit des messages privés le 4 juin 2017 (plusieurs mois après l'élection de de Donald Trump à la tête du pays) à celui de Julian Assange. «En tant que journaliste, peu importe où vous obtenez de l'information pourvu qu'elle soit exacte et authentique», écrivait Roger Stone citant en exemple une décision de la Cour suprême de 1971 jugeant légale la publication par le New York Times des «Pentagon Papers», des documents classifiés sur la guerre du Vietnam.

«Si le gouvernement américain vous poursuit, je ferai s'écrouler tout ce château de cartes. Quand les accusations d’agressions sexuelles montées de toutes pièces seront abandonnées, je n’ai connaissance d’aucun crime dont vous aurez à être amnistié», lit-on plus loin.

Le lanceur d'alerte réfugié dans l'ambassade d'Equateur à Londres répond, évoquant l'action de «la CIA et du département de la Justice» à son égard. «Du côté du département de la Justice, cela vient principalement de ceux qui sont obsédés par faire tomber Trump» écrit encore Julian Assange, tel que cité dans le document du FBI.

Quelques jours plus tard, l'ancien conseiller de Donald Trump écrit en privé au compte Twitter de WikiLeaks, assurant faire tout son «possible pour résoudre les problèmes au plus haut niveau du gouvernement». «Le traitement [du gouvernement des Etats-Unis] envers vous et WikiLeaks est un scandale», lit-on plus loin. 

Une promesse qui restera vraisemblablement lettre morte puisque le lanceur d'alerte, emprisonné en Angleterre en attente de sa probable extradition aux Etats-Unis, risque jusqu'à 175 ans de prison dans ce pays, notamment pour avoir rendu publics des documents compromettant les actes de l'armée américaine sur des théâtres d'opérations comme l'Irak ou l'Afghanistan.

Une arrestation digne «de la Gestapo»

Roger Stone, lobbyiste fantasque qui connaît Donald Trump depuis près de 40 ans, a quitté officiellement son équipe en 2015 mais aurait continué à agir officieusement pour le compte de celui-ci. L'ancien avocat de Donald Trump Michael Cohen (par ailleurs condamné à trois ans de prison en 2018 pour divers délits), l'a accusé devant la justice d'avoir informé à l'avance Donald Trump de la diffusion des courriels de l'équipe d'Hillary Clinton par WikiLeaks, information qu'il aurait tenue directement de Julian Assange, selon les dires de Michael Cohen. A contrario, Roger Stone a toujours clamé son innocence et est resté fidèle au président des Etats-Unis. 

Après la diffusion des documents du FBI, le collaborateur s'en tient toujours à sa ligne de défense. Dans des propos rapportés par le Times of Israel, Roger Stone assure : «Je n'ai aucune inquiétude quant à leur diffusion puisqu'ils confirment qu'il n'y avait pas d'activité illégale et certainement pas de collusion russe par moi durant l'élection de 2016.» Et d'ajouter : «Il n'y a, à ce jour, aucune preuve que j'avais ou connaissais la source ou le contenu des révélations de WikiLeaks avant leur diffusion publique.» 

Ils condamnent donc Roger Stone pour mensonge et veulent l'emprisonner pour des années à venir

Après une arrestation rocambolesque, digne «de la Gestapo», selon ses propres dires en 2019 et un procès marqué par les incidents, Roger Stone a été reconnu coupable d'avoir exercé des pressions sur des témoins et menti sous serment au Congrès sur ses liens présumés avec l'organisation WikiLeaks. Les réquisitions, très lourdes, allant de sept à neuf ans de prison contre lui, ont scandalisé le président américain : «Ils condamnent donc Roger Stone pour mensonge et veulent l'emprisonner pour des années à venir. Et Hillary la corrompue, Come, Strzok, Page, McCabe, Brennan, Clapper, Shifty Schiff, Ohr et Nellie, Steele, tous les autres, y compris même Mueller lui-même ?», a-t-il tweeté le 15 novembre. 

Le lendemain, le ministère de la Justice a requis une sentence comprise entre 3 et 4 ans de détention contre Roger Stone, poussant quatre procureurs fédéraux chargés de l'affaire à démissionner, accusant Donald Trump d'être intervenu. 2 200 anciens fonctionnaires du ministère de la Justice ont en outre appelé le Procureur général Bill Barr, accusée par l'opposition d'agir sur ordre de Donald Trump, à démissionner à la suite de cette affaire. 

Roger Stone a finalement écopé de 40 mois de prison le 19 février. La juge fédérale Amy Jackson a reconnu en rendant son jugement, que la réquisition initiale de sept à neuf ans n'aurait sans doute pas été appliquée en raison de l'âge de l'accusé. A 67 ans, l'ancien conseiller de Donald Trump n'a toujours pas été incarcéré en raison de la crise du coronavirus, qui a par ailleurs permis à Michael Cohen de bénéficier d'une libération anticipée et de purger le reste de sa peine à domicile. Le président américain quant à lui continue de soutenir son ancien conseiller et n'a pas exclu d'user de son droit de grâce dans cette affaire. 

Au terme de son enquête de près de deux ans, Robert Mueller n'a pas pu prouver de collusion entre l'équipe de campagne de Donald Trump et Moscou en 2016, même si le rapport fait état de tentatives d'ingérence du gouvernement russe. Le procureur n'a pas pu, non plus, démontrer de tentative obstruction de la part du chef d'Etat.

Lucas Léger et Louis Maréchal