22 février 2019 – 22 février 2020 : il y a un an débutait un puissant mouvement populaire de protestation secouant l’Algérie, en réaction à l’officialisation, plus tôt, de la candidature d’Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat.
Si les prémices de ce mouvement pacifique, le Hirak, remontent au 16 février – plusieurs centaines de manifestants s’étaient réunis à Kherrata, en petite Kabylie, pour s’opposer à un énième mandat du président algérien – le 22 février signait le point de départ d’une généralisation du mouvement à l’ensemble du pays. Alger, Bejaïa, Constantine, Oran, Tizi-Ouzou ainsi que d’autres grandes villes d’Algérie étaient devenues au cours de cette journée le théâtre de manifestations massives qui confirmaient ainsi le vent de révolte qui soufflait dans tout le pays.
Des réussites et des échecs
Si les partisans du Hirak ont certes réussi à pousser Abdelaziz Bouteflika, ainsi que plusieurs de ses proches, à démissionner ou encore à annuler la présidentielle contestée du 18 avril et du 4 juillet 2019, ils ont cependant échoué à contraindre les autorités à instaurer une période de transition censée permettre une refondation du système politique algérien. Ils réclamaient, pour ce faire, l’application des articles 7 et 8 de l’actuelle Constitution.
Le premier stipule que «le peuple est la source de tout pouvoir [et que] la souveraineté nationale appartient exclusivement au peuple». Le second, que «le pouvoir constituant appartient au peuple, [qu’il] exerce sa souveraineté par l'intermédiaire des institutions qu'il se donne [et] aussi par voie de référendum et par l'intermédiaire de ses représentants élus». Une revendication à laquelle Abdelkader Bensalah et Gaïd Salah, alors respectivement président par intérim et chef de l'armée, ont opposé une fin de non-recevoir.
Il est trop tôt pour dire si c’est un échec ou un succès, on verra quand cela sera terminé
En décembre, malgré la vive opposition d’une importante partie des Algériens, le scrutin présidentiel s'est finalement tenu et s'est achevé par la victoire d'Abdelmadjid Tebboune, ancien Premier ministre d’Abdelaziz Bouteflika. Si cette élection constitue un premier échec pour les partisans du Hirak, ceux-ci n'ont pas pour autant dit leur dernier mot et tentent toujours de maintenir la pression sur le nouvel exécutif à l'occasion des deux marches hebdomadaires du mardi et du vendredi. Libération de l’ensemble des «détenus d’opinion», dissolution du parlement, rédaction d’une nouvelle constitution, libéralisation de la presse et des médias, indépendance de la justice ou encore un «état civil non militaire» : la liste des revendications est encore longue.
Pour Kader Abderrahim, spécialiste du Maghreb et chercheur à l'Institut prospective sécurité Europe (IPSE), il est prématuré de faire un bilan. Il estime néanmoins que le Hirak a déjà permis de mettre un terme à «un pouvoir solitaire», exercé pendant deux décennies par le président déchu.
«Ce mouvement populaire, qui a rassemblé massivement les Algériens, a permis de faire prendre conscience qu'ils sont plus forts unis que divisés. D’autant plus que cela s’est déroulé dans le calme. Il est trop tôt pour dire si c’est un échec ou un succès, on verra quand cela sera terminé. Pour le moment, je pense néanmoins que c’est globalement un succès d’avoir mis fin au pouvoir solitaire d’un homme, Abdelaziz Bouteflika, qui pendant 20 ans a dirigé l’Algérie en tentant d’étouffer notamment les corps intermédiaires», analyse-t-il pour RT France.
Le bras de fer laissera-t-il place au dialogue ?
Un an après sa naissance, le mouvement est traversé par une question quasi-existentielle : quelle stratégie doit-il adopter pour permettre la concrétisation de ses revendications ? Pour l’heure, la majorité de ses partisans s’accordent sur la nécessité de poursuivre les manifestations jusqu'à la satisfaction de leurs revendications. Face à eux, Abdelmadjid Tebboune, qui a assuré souhaiter l'instauration d'un dialogue avec ses détracteurs, tente de multiplier les signes d'apaisement. Dès son investiture, il a annoncé de profondes réforme de la Constitution en vue notamment de renforcer les libertés individuelles et les contre-pouvoirs et lancé dans la foulée une série de consultations avec des personnalités politiques afin de recueillir leurs avis sur les voies et les moyens de sortir de la crise. A cet égard, il a déjà reçu l’ancien chef du gouvernement, Ahmed Benbitour, ou encore Sofiane Djilali, le leader du mouvement d'opposition Jil Jadid (Nouvelle génération). Très critiques à l'égard du pouvoir, ils avaient refusé de prendre part au scrutin présidentiel.
La place des journalistes et des militants n’est pas en prison
Néanmoins, la démarche présidentielle doit être accompagnée de gestes forts selon plusieurs formations de l'opposition : «Une fois que toutes ces conditions sont réunies, on pourra parler de dialogue. Mais, encore une fois, il faut que le chef de l’Etat fasse un appel dans ce sens. Il l’a fait dans une conférence de presse le lendemain de son élection, mais pas dans son discours d’investiture et dans aucune autre occasion depuis qu’il a pris ses fonctions. Pour moi, politiquement, il n’a pas appelé au dialogue. Comment voulez-vous que j’accepte quelque chose qui ne m’a pas été offerte ?», a par exemple regretté sur TSA, Zoubida Assoul, présidente du parti de l'Union pour le changement et le progrès (UCP).
Une position partagée par Habib Brahmia, secrétaire chargé de la communication de Jil Jadid : «L’Algérie est vraiment passée par une phase difficile où il y a eu beaucoup d’arrestations, de l’abus dans la détention provisoire. Je pense qu’il y a eu des engagements du président de la République pour que la procédure judiciaire permette la relaxe, ou du moins l’acquittement, de tous les détenus d’opinion. Il y a eu la libération de Samir Benlarbi [le 3 janvier] mais il faut aller jusqu’au bout. Il faut libérer l’ensemble des détenus d’opinion. Les relâcher ne suffit pas, il faut les relaxer car aujourd’hui les Algériens veulent avoir le droit de défendre leurs opinions. La place des journalistes et des militants n’est pas en prison.» a-t-il plaidé sur RT France.
Le chercheur Kader Abderrahim reste de son côté prudent sur la volonté du pouvoir d'aller vers un dialogue avec le Hirak : «La proposition de dialogue du président [Abdelmadjid] Tebboune est intéressante. Mais, même lui l’a dit le lendemain de son élection : "le dialogue oui, la négociation non". Le système n’est pas prêt à discuter pour négocier. On n'est pas rentré dans une phrase de transition, on est dans un rapport de forces qui se maintient.», juge-t-il.
De son côté l'opposition, qui peine depuis plusieurs années à se faire entendre auprès de la population, peut-elle à nouveau jouer un rôle dans le champ politique ? Pour Hakim Addad, cofondateur de l'association Rassemblement action jeunesse (RAJ), «le Hirak devrait travailler avec ces acteurs politiques [d'opposition] pour construire une réelle démocratie». Une stratégie que tente d'adopter les Forces du pacte del'alternative démocratique (PAD), un rassemblement de différents partis politiques d'opposition, associations et membres de la société civile.
Lors d'assises organisées le 25 janvier à Alger, ses membres se sont engagés à rassembler les forces du Hirak pour faire face au pouvoir accusé d'«autoritarisme» et exigé «l'organisation d'une période de transition démocratique à même de satisfaire les aspirations légitimes du peuple algérien». Cette position semble d'ores et déjà écartée l'éventualité de leur participation aux prochaines élections.