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Algérie : un an après le début du Hirak, l'islamisme politique n'a pas bénéficié de la contestation

Le traumatisme de la décennie 1991-2001 qui a ensanglanté l'Algérie semble avoir eu raison, du moins pour le moment, de l'islamisme politique. Les partis qui se réclament de cette mouvance n'ont pas réussi à s'approprier le mouvement de protestation.

Les Algériens sont-ils vaccinés contre l'islamisme depuis qu'ils ont subi ce que l'on a coutume d'appeler la «décennie noire» ? 

Fin décembre 1991, le Front islamique du salut (FIS) sort vainqueur du premier tour des élections législatives. Prise de court, l'armée décide d'interrompre le processus électoral et le FIS est dissous en mars 1992.

Ses leaders appellent à la lutte armée. S'ensuivent des années de terrorisme aux allures de guerre civile où l'on se demande régulièrement «qui tue» tant les pistes sont brouillées. Une chose est sûre, le bilan humain est très lourd : plusieurs dizaines de milliers de morts dans des massacres plus sordides les uns que les autres et un climat de terreur générale qui a fait fuir des milliers de personnes du pays et traumatisé la population. Aujourd’hui, à l'heure où le hirak, le mouvement de protestation boucle une année de manifestations intensives dans tout le pays, les mouvements islamistes ne pèsent plus grand chose en Algérie, même si la société est toujours majoritairement musulmane et conservatrice. 

Dans un entretien accordé à RT France, Zoubida Assoul, présidente du parti l’Union pour le changement et le progrès, estime que «depuis l'arrivée du multipartisme en 1989, l'Algérie est passée par plusieurs phases». Selon elle, s'il y a eu dans un premier temps l'émergence d'un courant islamiste, aujourd'hui, les nouvelles générations qui «constituent la majorité du peuple algérien» n'ont pas vécu cette décennie de terrorisme et «ces jeunes là sont totalement mondialisés, ils rêvent de vivre comme veulent vivre toutes les jeunesses du monde : être dans une société qui leur permette toutes les libertés, avoir un système d'éducation qui leur procure une qualification, un système de santé qui puisse les prendre en charge et un système de gouvernance qui implique la transparence et l’égalité».

Les islamistes participent au pouvoir en place

Cependant, le traumatisme de la décennie noire est bien là, et la vigilance de la population reste de mise. Le mot d'ordre des manifestations, silmiya, qui signifie «pacifiste», a donné le ton dès le premier jour de la mobilisation en février 2019. Les Algériens voulant faire dégager un président très affaibli assimilé à un système politique honni ne comptaient pas sombrer dans la confrontation physique avec le pouvoir ni voir dégénérer la situation.

Au début de la contestation contre le pouvoir d'Abdelaziz Bouteflika, en place pendant les 20 ans qui ont suivi la triste décennie, l'entourage présidentiel a tenté de faire triompher l'immobilisme et le statu quo en mettant en garde contre un scénario à la syrienne où Daech a profité d'une rébellion contre le pouvoir de Bachar el-Assad en 2011 pour s'implanter durablement dans le pays. Si un tel scénario pouvait légitimement être craint, immédiatement, des slogans ont émergé dans les rues d'Algérie disant : «vous n'allez pas nous intimider avec la décennie [noire].»

Quant aux mouvement islamistes, ils n'ont aujourd'hui plus aucune commune mesure avec le FIS qui avait appelé à la lutte armée à son époque. Aujourd'hui, les partis islamistes algériens sont légalistes. Loin de toute velléité belliqueuse, ils prennent part aux différents scrutins législatifs et présidentiels, certains occupant même des postes de ministres. Aujourd'hui, ils souhaitent participer au jeu politique. Si l'islam est très ancré dans la société algérienne, les partis islamistes sont toutefois totalement discrédités au sein du mouvement de contestation actuel en raison de leur participation continue au système en place. A titre d'exemple, Aboudjerra Soltani, ancien ministre du président Abdelaziz Bouteflika entre 2005 et 2009 et ancien leader islamiste du Mouvement de la société pour la paix (MSP) a été violemment chassé par plusieurs dizaines de manifestants lors d'un rassemblement pro-hirak à Paris, place de la République en avril 2019. Réputé proche du mouvement islamiste tunisien Ennahdha, le MSP, qui compte 30 députés à l'Assemblée nationale est en effet discrédité pour avoir participé à plusieurs gouvernements Bouteflika avant de passer en 2013 dans les rangs de l’opposition.

L’ambiguïté des islamistes quant au fait de vouloir réellement s'inscrire comme une alternative au pouvoir en place ne leur attire pas d'engouement populaire notable. Mais lors de l'élection présidentielle du 12 décembre 2019, le candidat islamiste Abdelkader Bengrina est tout de même arrivé en deuxième position avec 17,38 % des voix exprimées. Il n'a pas contesté le résultats qui ont fait d'Abdelmadjid Tebboune le nouveau président de la République dès le premier tour. Le nouveau chef d'Etat a par ailleurs reçu le 11 février une délégation du parti FJD (Front pour la justice et le développement) conduite par Abdallah Djaballah, de tendance islamiste. A l'issue de cet entretien, le leader du FJD a estimé qu'avec le nouveau président, il y avait une «volonté de redresser la situation».