Il aura fallu plus d’un an au quotidien britannique The Guardian pour corriger son erreur. Dans un article mis en ligne le 21 septembre 2018 et publié dans la version papier du lendemain, le journal fondé en 1821 avait révélé un «plan secret» visant à transférer Julian Assange depuis l’ambassade d’Equateur, dans laquelle il se trouvait, vers la Russie. A l’époque, le journal avait parlé de «complot» et de «contrebande». Des termes qu’il dit regretter aujourd’hui.
«Notre article aurait dû éviter les mots "contrebande" et "complot" car ils impliquaient que l’immunité diplomatique [de Julian Assange] en tant que telle était illicite», a reconnu le quotidien dans un communiqué de presse mis en ligne sur son site le 22 décembre.
Citant des sources anonymes, The Guardian décrivait un scénario dans lequel l’Equateur aurait offert le statut diplomatique de Julian Assange afin de lui permettre de quitter le Royaume-Uni et de trouver refuge en Russie. Ceci dans le but de lui éviter une extradition vers les Etats-Unis où il est poursuivi pour espionnage et risque jusqu’à 175 ans de prison. Mais le plan aurait été abandonné après le refus du bureau des Affaires étrangères de valider ce statut diplomatique comme le requiert la loi britannique.
«The Guardian n’a pas pris soin de ne pas publier d’informations trompeuses ou déformées»
Toutefois, comme l’a confirmé le comité d’examen du journal dans un rapport daté de novembre dernier, mis en ligne le 20 décembre sur le site du Guardian, l’«article donne une impression trompeuse aux lecteurs sur la nature du plan lui-même et particulièrement lorsqu’il est suggéré que ce qui a été proposé aurait été autre chose qu’un recours légitime à l’immunité diplomatique».
Dans le document, les quatre membres du comité ont également souligné que «l’article donne une impression trompeuse aux lecteurs de l’étendue de l’implication russe dans le plan» et que celui-ci constitue «une violation de l’article 1 du règlement du journal en ce que The Guardian n’a pas pris soin de ne pas publier d’informations trompeuses ou déformées». A la parution du papier, la diplomatie russe à Londres avait mis en lumière une «publication n'ayant rien à voir avec la réalité», ajoutant être «perplexe devant l'attitude sensationnaliste des auteurs».
Le comité d’examen avait été poussé à se pencher sur le contenu de l’article après une plainte de Fidel Narvaez, ancien diplomate de l'ambassade d'Equateur à Londres, qui aurait été, selon le quotidien Outre-Manche, un intermédiaire entre Julian Assange et le Kremlin. Celui-ci avait fermement démenti les accusations portées à son encontre.
Corrections minimales
Dans ses recommandations, le comité a invité The Guardian «à préciser que le plan concernant la capacité de M. Assange à pouvoir quitter l’ambassade d’Equateur n’a pas été conçu ni orchestré par la Russie» et que «le "plan" tel qu’il est décrit dans l’article ne contenait rien d’illicite et qu’il aurait impliqué l’utilisation légitime de l’immunité diplomatique pour permettre à Assange de quitter le pays et de se rendre dans un Etat tiers».
Si le journal a bien fait mention de la légalité du supposé «plan» dans son communiqué de presse, il n’est à aucun moment question du degré d’implication de la Russie. Les histoires de complot semblant mieux se vendre que les descriptions parfois mornes des longues tractations diplomatiques, The Guardian s’est donc contenté de retirer les termes «complot» et «contrebande» de son article.
L’information, elle, avait été largement partagée par la presse française. Le 21 septembre 2018, Le Point, se référant au quotidien britannique, décrivait un plan visant à «faire sortir clandestinement le cybermilitant de l'ambassade […] pour l'exfiltrer hors du royaume, probablement en Russie». La même terminologie avait été utilisée le lendemain dans Le Parisien : «Le quotidien britannique évoque des discussions tenues secrètes entre des diplomates russes et des proches de Julian Assange pour faire sortir clandestinement ce dernier de l'ambassade d'Equateur.» Pour le moment, aucun de ces deux articles n’a été modifié.
Julian Assange bientôt extradé vers les Etats-Unis ?
De son côté, Julian Assange est toujours incarcéré au pénitencier de haute sécurité de Belmarsh à Londres dans lequel il purge une peine de 50 semaines de prison pour violation des conditions de sa liberté provisoire. Il avait été arrêté le 11 avril dernier alors qu’il se trouvait dans l’ambassade d’Equateur à Londres depuis sept ans.
Dans un communiqué diffusé le 1er novembre dernier, le rapporteur de l’ONU sur la torture, Nils Melzer, avait exprimé son «inquiétude face à la dégradation continue de la santé de Julian Assange depuis son arrestation et son placement en détention» et demandé sa libération à l'instar de nombreux autres défenseurs des droits de l'homme.
Fondateur de WikiLeaks, Julian Assange s’était fait connaître en juillet 2010 après la diffusion par son organisation de The Afghan War Diary, agrégat de 91 000 documents militaires américains sur la guerre en Afghanistan ainsi que la mise en ligne quelques mois plus tard, en octobre, de 391 832 documents secrets sur la guerre en Irak, révélant la mort de plus de 65 000 civils ainsi que le recours à la torture dans différents centres de détention. Par ailleurs, entre novembre 2010 et septembre 2011, WikiLeaks avait rendu publics plus de 250 000 télégrammes de la diplomatie américaine, opération connue sous le nom de Cablegate. Les Etats-Unis mènent depuis une lutte sans relâche afin de pouvoir juger sur son sol le ressortissant australien. L'audience cruciale devant la justice britannique, qui autorisera ou non son extradition, est fixée à février 2020.
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