«Je ne lui répondrai pas. Il est libre de vendre sa marchandise dans son pays, moi je suis élu par le peuple algérien et je ne reconnaîtrai que le peuple algérien» : la réponse à un journaliste d’Abdelmadjid Tebboune, qui commentait la réaction de son homologue français à sa toute récente élection à la présidence de l'Algérie, laisse-t-elle entrevoir une nouvelle période de turbulences entre Alger et Paris ? S’il est encore trop tôt pour l'affirmer, ce n’est pas la première fois que le nouveau locataire du palais d’El Mouradia lance une pique acérée en direction des autorités françaises.
Le 13 décembre, il commentait les propos d'Emmanuel Macron, qui avait appelé les autorités algériennes au «dialogue» avec leur peuple.
«La France s'ingère gravement»
Le 10 novembre, alors qu’il était candidat à la magistrature suprême, Abdelmadjid Tebboune n’avait pas manqué d’accuser les autorités françaises de s’ingérer «gravement» dans les affaires internes de l’Algérie après avoir fustigé la couverture médiatique du mouvement de protestation par la chaîne publique française, France 24 : «La France s'ingère gravement. Je ne parle pas de la France officielle, je ne me permettrais pas […] Mais le ministre des Affaires étrangères français [Jean-Yves Le Drian] a appelé à une période de transition en Algérie. Le peuple algérien ne veut pas de cette période de transition. De quoi je me mêle ?», avait-il regretté.
Une déclaration qui faisait écho au message du chef de la diplomatie française à l’occasion du 1er novembre (fête nationale algérienne). Ce dernier avait formulé le «souhait de la France» de voir les Algériens trouver «ensemble les chemins d’une transition démocratique». «C’est en effet aux Algériens et à eux seuls qu’il revient de décider de leur avenir. C’est ce que nous espérons pour l’Algérie, compte tenu des liens profonds qui nous rattachent à ce pays», avait ajouté le membre du gouvernement français.
«Il faudrait bien qu’un jour, on laisse l’Algérie aux Algériens»
Interrogé le 17 novembre sur la radio publique algérienne au sujet des relations qu’il entendait entretenir avec la France s'il venait à briguer la présidence de la République, Abdelmadjid Tebboune avait déploré, non sans feindre un certain agacement, que son pays fasse l’objet de débats sur la scène politique française : «On a des relations passionnelles, passionnées […]. Lorsque vous constatez que l’Algérie est au cœur des élections internes [françaises]. L’Algérie est citée tous azimut : il y a des parties d’extrême droite qui ont été créés à cause de [l’indépendance] de l’Algérie […]. Il faudrait bien qu’un jour, on laisse l’Algérie aux Algériens.»
S’il est le premier président algérien élu à ne pas être issu des rangs des combattants ayant lutté contre la colonisation française, Abdelmadjid Tebboune a néanmoins souhaité que l'Etat français reconnaisse le «crime colonial». «C’est très important pour nous et pour eux. Il faut qu’ils se dégagent de ces problèmes. Les ignorer ne veut pas dire qu’ils n’existent pas. Il y a eu de 1832 à 1962, [selon] certains historiens, 5 630 000 martyrs dont 1 500 000 durant la guerre de libération. Il faut en parler», assure-t-il, rappelant que les Algériens étaient les véritables «victimes» du conflit.
L'interdépendance franco-algérienne à l'épreuve d'un lourd passé historique
De par son histoire, la France est indirectement concernée par la situation politique en Algérie. La présence sur son territoire d’un nombre important d’Algériens de nationalité ou d’origine – en témoignent les régulières manifestations contre les autorités algériennes à Paris et dans d'autres villes françaises – est le signe tangible des liens étroits qui unissent les deux pays depuis plusieurs décennies.
Au-delà des volets humain et historique, les deux pays sont également liés sur le plan économique. L’Algérie est le premier partenaire économique de la France dans la région MENA («Middle East and North Africa»).
En outre, même si Paris et Alger ont maintes fois affiché leurs divergences concernant la résolution de crises internationales comme en Syrie ou en Libye, leur coopération sur le plan sécuritaire demeure indispensable au regard des enjeux communs. La stabilité de l’Algérie, interface géographique entre la Méditerranée et une bande sahélienne qui demeure instable, constitue un sujet de préoccupation majeur pour la France et ses partenaires européens.
Ces liens multiformes, sur fond de lourd passé commun, contraignent la France à peser chacun de ses mots lorsqu'elle est interrogée sur le dossier algérien. Un jeu d'équilibriste résumé ainsi en mars dernier par Edouard Philippe : la France n'a «aucune indifférence» envers la situation de l'Algérie, sa «voisine», mais ne veut se «livrer à aucune ingérence».
Malik Acher
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