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Bolivie : une sénatrice de droite s'auto-proclame présidente, Morales dénonce un coup d'Etat

La sénatrice Jeanine Añez s'est proclamée le 12 novembre présidente par intérim de la Bolivie et est entrée au palais une Bible à la main. Evo Morales a dénoncé le «coup d'Etat le plus astucieux et le plus désastreux de l'histoire».

Lors d'une séance éclair au Sénat, la sénatrice de droite Jeanine Añez s'est proclamée le 12 novembre présidente par intérim de la Bolivie. L'annonce a aussitôt été qualifiée de «coup d'Etat» par Evo Morales, l'ancien président actuellement en exil au Mexique.

Devant une assemblée à moitié vide, Jeanine Añez s'est en effet proclamée à la tête de la Bolivie malgré l'absence de quorum au Parlement, arguant de «la nécessité de créer un climat de paix sociale» dans le pays. Elle s'est immédiatement rendue au siège du gouvernement, où elle a prêté serment. Le Tribunal constitutionnel a validé sa présidence par intérim. Elle s'est ensuite réunie avec les chefs de l'armée et de la police, qui se sont ligués contre l'ancien président indigène. 

La présidente autoproclamée est ensuite entrée au palais présidentiel une grande Bible à la main en criant : «La Bible est de retour dans le palais».

Jeanine Añez entend marquer sa différence radicale avec le président Evo Morales, qui a tout au long de sa vie défendu la pluralité culturelle de la Bolivie et les droits des indigènes auquel il appartient, comme 65% de la population du pays.

Pour sa part, Jeanine Añez s'est souvent fait remarquer par des déclarations fracassantes empruntes de racisme envers les indigènes. Pour rappel, la chaîne Telesur a publié à cet égard une capture d'écran d'un tweet de la sénatrice datant de 2013 dans lequel elle écrivait : «Je rêve d'une Bolivie libérée des rites sataniques autochtones, la ville n'est pas aux "Indiens", ils feraient mieux d'aller dans les hauts plateaux ou à El Chaco.» 

«Coup d'Etat le plus astucieux et le plus désastreux de l'histoire»

Le président, contraint à la démission, a rejeté la manœuvre de l'opposition qu'il a qualifiée de «coup d'Etat le plus astucieux et le plus désastreux de l'histoire». «Une sénatrice de droite se nomme présidente du Sénat, puis présidente par intérim de la Bolivie, sans quorum, entourée d'un groupe de complices et soutenue par les forces armées et la police, qui réprime le peuple», a écrit Evo Morales sur son compte Twitter.

Depuis son exil, Evo Morales a dénoncé «devant la communauté internationale» l'acte d'auto-proclamation de la sénatrice à la présidence, qui «viole la Constitution politique de l'État plurinational de Bolivie (CPE) et les normes internes de l'Assemblée législative». Pour le dirigeant indigène, cette violation «se consume sur le sang de frères tués par la police et les forces militaires ayant servi au coup d'État».

Réélu au premier tour le 20 octobre, Evo Morales a dû quitter le pouvoir le 10 novembre, sous la pression des forces militaires et de la police qui se sont mutinées dans plusieurs villes du pays

Son départ a également été précipité par la pression de groupes d'opposition, qui ont organisé des manifestations attaquant violemment les partisans du président déchu et jusqu'à sa propre famille. Ces affrontement se poursuivaient encore le 12 novembre, comme en atteste de nombreux articles de la presse régionale et témoignages sur les réseaux sociaux.

Depuis Mexico, où il est arrivé dans l'après-midi en avion militaire après un périple rocambolesque de seize heures au gré des ordres et contrordres des pays latino-américains survolés, Evo Morales a promis de poursuivre «la lutte», affirmant qu'il ne cesserait pas de «faire de la politique». 

«Tous les peuples ont le droit de se libérer», a dit celui qui a longtemps était un symbole d'émancipation aux yeux des populations indigènes de son pays. Il a aussi remercié le Mexique de lui avoir «sauvé la vie». «Ça me fait mal d'abandonner le pays pour des raisons politiques, mais [...] je reviendrai bientôt avec plus de force et d'énergie», avait tweeté le 11 novembre au soir Evo Morales, qui avait démissionné la veille après avoir été lâché par l'armée. 

Droite contre gauche

Jeanine Añez, avocate de 52 ans, doit désormais nommer son gouvernement et convoquer de nouvelles élections dans un délai de 90 jours, selon la Constitution. Elle a promis qu'elles auraient lieu avant le 22 janvier 2020.

«Je félicite la nouvelle présidente constitutionnelle de Bolivie Jeanine Añez», a réagi sur Twitter le candidat centriste Carlos Mesa, qui contestait les résultats de la présidentielle du 20 octobre et réclamait un second tour. Le leader de la contestation, Luis Fernando Camacho, évangéliste très ancré à droite, a également reconnu la sénatrice d'opposition comme présidente par intérim et appelé à une «suspension des manifestations», notamment dans son fief de Santa Cruz, dans l'est du pays.

Le 12 novembre, La Paz restait paralysée, les transports publics étant à l'arrêt. La veille, après de violentes protestations, l'armée avait été déployée dans les rues pour appuyer la police. Sept personnes ont été tuées, selon un nouveau bilan annoncé le 12 novembre par le procureur général, et au moins 383 autres blessées.

Le président vénézuélien, Nicolas Maduro, a demandé à l'armée bolivienne de rétablir dans ses fonctions l'ancien chef de l'Etat, considérant que le pays courait un risque de «guerre civile». 

L'auto-proclamation de Jeanine Añez n'est pas sans rappeler, celle, fin janvier, de Juan Guaido au Venezuela. Sans surprise, celui-ci s'est d'ailleurs fendu d'un tweet pour féliciter la sénatrice. «Du gouvernement légitime du Venezuela, nous reconnaissons Jeanine Añez», n'a-t-il pas hésité à écrire. «Vous êtes une inspiration pour notre pays, nous avons la conviction que nous réaliserons la liberté», a-t-il ajouté.

Sans un mot pour Evo Morales, la France a appelé «au calme et à la retenue toutes les autorités de transition» tandis que Washington, qui a applaudi la défection du président indigène, a conseillé aux citoyens américains de ne plus voyager en Bolivie pour cause de «troubles civils» et a limité sa présence diplomatique dans le pays.

Meriem Laribi

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