Les Etats-Unis seraient-ils en train de profiter de la désorganisation en Syrie, quelques jours après la fin de l’offensive turque contre les miliciens kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), pour faire main basse sur le pétrole dans l’est du pays ? Dans un communiqué, diffusé ce 26 octobre sur ses réseaux sociaux, le ministère russe de la Défense a accusé Washington de faire passer, en contrebande, du pétrole extrait dans les champs pétroliers de l’est de la Syrie, repris par les forces kurdes aux djihadistes de l’organisation Etat islamique (EI), vers d’autres pays. «Ce que Washington fait actuellement, à savoir la saisie et le placement sous contrôle armé des champs de pétrole dans l’est de la Syrie est, tout simplement, du banditisme international d’Etat», a affirmé le ministère.
«Absolument tous les hydrocarbures et autres ressources localisés sur le territoire de la République arabe de Syrie n’appartient pas aux terroristes de l’EI, et encore moins aux "défenseurs américains des terroristes de l’EI", mais uniquement à la République arabe de Syrie», est-il précisé dans le document.
Le ministère russe a assuré avoir publié ce communiqué en réponse à «une déclaration du chef du Pentagone, Mark Esper, sur la nécessité de maintenir un contingent de troupes américaines dans l’est de la Syrie "pour protéger les gisements de pétrole" des "terroristes de l’EI"».
Etats-Unis : vues sur le pétrole syrien
En effet, présent au siège de l’OTAN, à Bruxelles, le 25 octobre, Mark Esper, le secrétaire d’Etat américain à la Défense, avait annoncé la volonté des Etats-Unis de «protéger» les champs pétroliers de la région de Deir ez-Zor, les plus vastes du pays, situés dans l’est de la Syrie, à une centaine de kilomètres de la frontière irakienne.
«Nous sommes en train de prendre des mesures pour renforcer notre position à Deir ez-Zor afin d’interdire l'accès aux champs pétroliers [au djihadistes de l’EI][…] Nous avons sécurisé le pétrole […] Nous allons le protéger et nous déciderons de ce que nous en ferons à l'avenir», avait-il déclaré, précisant que cette opération de sécurisation «inclura des forces mécanisées». La veille, le Pentagone avait confirmé l’envoi de renforts pour protéger les gisements, sans toutefois dévoiler l’ampleur du dispositif mis en place.
Mais le responsable des forces armées des Etats-Unis ne faisait néanmoins que confirmer des déclarations de Donald Trump, le 21 septembre, depuis la Maison Blanche. «Je l’ai toujours dit, si on y va [en Syrie], gardons le pétrole», avait-il expliqué, arguant que les Etats-Unis pourraient «peut-être envoyer l'une de [leurs] grandes compagnies pétrolières pour le faire».
Une idée immédiatement rejetée par Brett McGurk, ancien envoyé spécial du président américain auprès de la coalition luttant contre l’EI, qui avait qualifié cette manœuvre d’«illégale» dans une déclaration reprise par l'AFP. «Nous ne pouvons pas exploiter ces ressources pétrolières, à moins de devenir des contrebandiers», avait fait valoir l’ancien diplomate, rappelant que ce pétrole appartenait à une compagnie publique «qu’on le veuille ou non».
Celui qui qui a démissionné de ses fonctions fin 2018, lorsque Donald Trump avait évoqué pour la première fois un retrait de Syrie, avait par ailleurs révélé que, pendant un temps, les Américains avaient imaginé exploiter, en accord avec Moscou, le pétrole syrien, en vue d’en placer les revenus dans un fonds de développement mis à la disposition de l’Etat après la fin du conflit qui fait rage depuis 2011.
Il avait également décrit les Russe comme n'ayant «pas sauté sur l’idée», ajoutant qu’ils sauteraient probablement «encore moins dessus aujourd’hui». Quelques 200 soldats américains sont actuellement déployés dans la province de Deir ez-Zor aux côtés Forces démocratiques syriennes (FDS), dominées par les combattants kurdes. «Cela ne veut pas dire que les FDS ne peuvent pas l'exploiter [le pétrole] et en tirer des revenus, mais c'est de la contrebande», avait insisté Brett McGurk.
Une rente de 30 millions de dollars pour le gouvernement américain
Si le président américain et son membre de cabinet ont semblé faire mention de l’opération comme étant à venir, le porte-parole du ministère de la Défense russe, Igor Konashenkov, a lui fait savoir qu'elle avait bel et bien commencé. «Sous la protection du personnel militaire américain et des employés des compagnies privées de sécurité américaines, des camions de carburant des champs pétrolifères de la Syrie orientale sont passés en contrebande à d'autres Etats», a-t-il indiqué, comme le rapporte l’agence de presse TASS.
Il a affirmé que cet or noir était exporté par la société américaine Sadcad grâce à des équipements d’entreprises occidentales livrés sur les installations en contournant toutes les sanctions américaines. D’après le général, la valeur d’un de ces barils de pétrole s’établit à 38 dollars, soit, selon lui, une «entreprise» rapportant plus de 30 millions de dollars par mois au gouvernement américain.
De plus, Igor Konashenkov a présenté plusieurs clichés satellites du service de renseignement spatial russe comme étant la preuve que l’exportation des barils de pétrole avait débuté. Sur ces photographies sont légendés les différents véhicules, dont ce que le ministère considère être des «camions citernes». Sur les quatre images rendues publiques, prises entre le 23 août et le 8 septembre 2019, dans la province de Deir ez-Zor mais aussi dans celle d'Hassaké, située au nord-est de la Syrie, on dénombre pas moins de 111 «camions citernes», destinés selon Igor Konashenkov à transporter puis exporter le pétrole extrait.
Igor Konashenkov s’est enfin déclaré convaincu que cette protection américaine des champs pétrolifères de Deir ez-Zor, censée prévenir contre le retour de «cellules cachées de l’EI», sera maintenue indéfiniment, les dirigeants américains ne souhaitant pas perdre un flux financier exempté de toutes taxes.