Cryptomonnaie : les législateurs américains sur le point d'ouvrir les hostilités contre le Libra ?
Les sénateurs américains ont réservé un accueil glacial au projet Libra de Facebook, qu'ils considèrent dangereux à bien des égards. Inquiet d'une mise en concurrence du dollar, le président américain a appelé à la régulation de cette cryptomonnaie.
Va-t-on assister à une guerre ouverte entre les législateurs américains et le réseau social Facebook, qui entend lancer sa propre monnaie ? Devant la commission des Finances du Sénat à Washington le 16 juillet, David Marcus, responsable du développement du projet Libra au sein du réseau social, a fait son possible pour défendre la future cryptomonnaie, mais a reçu un accueil glacial de la part des sénateurs, tant démocrates que républicains.
«Facebook n'a peut-être pas l'intention d'être dangereux mais ils ont déjà démontré qu'ils ne respectaient pas le pouvoir des technologies avec lesquelles ils jouent», a ainsi attaqué en préambule le sénateur démocrate Sherrod Brown, précisant que «chaque fois que les Américains font confiance [à Facebook], il semblerait qu'ils s'en mordent les doigts». «Nous serions fous de leur donner une chance de les laisser toucher les comptes bancaires des gens», a-t-il poursuivi lors de cette audition durant laquelle les critiques ont fusé contre le réseau social.
La question de la confiance à accorder à Facebook a en effet été soulevée à plusieurs reprises, le sénateur républicain John Kennedy s'interrogeant par exemple sur les contrôles qui existeront sur la Libra Association, cette entité composée de 28 multinationales qui disposera du pouvoir de battre la monnaie. «J'ai beaucoup de respect pour Facebook, mais Facebook veut maintenant contrôler la quantité de monnaie en circulation. Qu'est-ce qui pourrait dérailler ?», s'est-il demandé avec une pointe d'ironie.
D'autres, à l'image de la sénatrice républicaine Martha McSally, se sont inquiétés des conséquences d'un tel projet sur le respect de la vie privée des utilisateurs. «Vous n'avez pas respecté la vie privée par le passé [...] et pourtant vous lancez un nouveau produit et assurez que la vie privée sera respectée. Comment les utilisateurs pourront savoir si cela ne va pas aussi changer et que le respect de leur vie privée ne sera pas de nouveau enfreint ?», a-t-elle fait valoir, assénant un cinglant : «Je ne vous fais tout simplement pas confiance.»
Libra contre dollar
Si quelques sénateurs se sont montrés plus réceptifs aux arguments de Facebook – qui assure vouloir faciliter et rendre plus abordables les transferts d'argent internationaux – le projet du réseau social fait face à de sérieux vents contraires en provenance des autorités américaines. Le secrétaire d'Etat au Trésor Steven Mnuchin a ainsi lancé un avertissement sans frais à Facebook le 15 juillet, assurant que l'entreprise «allait avoir beaucoup de travail à faire pour convaincre» l'administration Trump qu'elle pouvait mettre en place sa cryptomonnaie en toute sécurité.
En toile de fond, bien entendu, la concurrence qu'elle crée de fait pour le dollar, et la remise en question du rôle de ce dernier comme monnaie de réserve nationale. Pour Steven Mnuchin, préserver l'intégrité de la monnaie américaine n'est ni plus ni moins qu'«une question de sécurité nationale».
Le président américain Donald Trump s'est lui aussi invité dans le débat, appelant dans une série de messages sur Twitter à la régulation du projet de Facebook. «Si Facebook et d'autres entreprises souhaitent devenir une banque, elles doivent adopter une nouvelle charte bancaire et être soumises à toutes les réglementations bancaires, tout comme les autres banques, tant nationales qu'internationales», a fait valoir le chef d'Etat.
...and International. We have only one real currency in the USA, and it is stronger than ever, both dependable and reliable. It is by far the most dominant currency anywhere in the World, and it will always stay that way. It is called the United States Dollar!
— Donald J. Trump (@realDonaldTrump) 12 juillet 2019
Une position qui rejoint celle de Jerome Powell, le président de la banque centrale américaine (FED) qui avait évoqué quelques jours plus tôt les «nombreuses préoccupations sérieuses» que lui inspirait la cryptomonnaie de Facebook. Outre les inquiétudes relatives à la protection de la vie privée, au blanchiment d’argent et à la protection des consommateurs, le Libra fait selon lui peser de graves risques sur la stabilité financière mondiale, en raison de l’immense base d’utilisateurs de Facebook. «Le processus de résolution de ces problèmes doit être patient et prudent, cela ne doit pas être un sprint», avait-t-il ainsi déclaré devant le Comité des services financiers de la Chambre des représentants, précisant que la FED collaborait sur ces questions avec d'autres agences fédérales et d'autres banques centrales à l'étranger.
Preuve supplémentaire que cet épineux dossier, dont l'essence est la remise en question de la prérogative des Etats et des banques centrales sur le contrôle de la monnaie, interpelle dans les hautes sphères : il sera au cœur d'une réunion des ministres des Finances du G7 qui se tient les 17 et 18 juillet près de Paris. Le début des hostilités ?
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