Les Etats-Unis prennent-ils comme source d'information en Syrie, les djihadistes du Front al-Nosra ? Tout porte à le croire. Le 21 mai, le département d'Etat américain a en effet assuré que Washington disposait d'«indications» selon lesquelles «le régime de Bachar el-Assad» serait responsable d'une «attaque présumée au chlore dans le nord-ouest de la Syrie au matin du 19 mai».
Menaces et informations bancales
Ce communiqué est concomitant avec celui, cité par l'AFP, qui a été diffusé par l'organe de propagande du groupe terroriste Hayat Tahrir al-Cham (HTS) (dominé par le Front al-Nosra, ex-branche syrienne d'al-Qaïda), qui a également accusé le 19 mai les forces gouvernementales syriennes d'avoir lancé une attaque au chlore contre ses combattants dans le nord de la province côtière de Lattaquié, au nord-ouest du pays.
Les Etats-Unis n'ont pas hésité à employer un ton menaçant... tout en reconnaissant eux-mêmes que ces informations étaient bancales. «Nous sommes encore en train de recueillir des informations sur cet incident mais nous réitérons notre avertissement, si le régime Assad utilise des armes chimiques, les Etats-Unis et nos alliés répondront rapidement et de manière appropriée», a ainsi déclaré Morgan Ortagus, porte-parole de la diplomatie américaine.
L'armée syrienne a démenti dès le 19 mai l'information, affirmant qu'il s'agissait d'une affaire «fabriquée», selon une source militaire citée par le quotidien syrien al-Watan.
Ces accusations de Washington interviennent au moment même où l'armée russe a annoncé dans un communiqué le 19 mai, que les forces gouvernementales syriennes avaient décrété un cessez-le-feu unilatéral dans la province d'Idleb. Damas, appuyé par l'armée russe a, ces dernières semaines, lancé une offensive d'envergure afin de repousser les groupes djihadistes, après que ces derniers ont multiplié les attaques dans la région. En outre, plusieurs villages de la province de Hama, contrôlés par des groupes terroristes, ont été repris début mai par les troupes de Bachar el-Assad.
Quand les protégés des Etats-Unis démentent l'information
Problème pour l'administration américaine : les accusations qu'elle profère sont démenties... par les principales sources d'information qu'elle utilise.
En effet, même l'autoproclamé groupe de secouristes Casques Blancs (qui opère exclusivement dans des zones contrôlées par des djihadistes et est accusé par Damas et Moscou de collaborer avec les terroristes et de mettre en scène des attaques chimiques), a affirmé à l'AFP ne disposer «pour l'instant d'aucune information sur cette attaque».
Principale source utilisée par les agences occidentales sur le conflit syrien, l'Observatoire syrien des droits de l'Homme (OSDH), habituellement prompt à pointer la responsabilité de Damas, a affirmé de son côté ce 22 mai n'avoir aucune information sur ces prétendues attaques. «Nous n'avons documenté aucune attaque chimique dans les montagnes de Lattaquié», a déclaré à l'AFP Rami Abdel Rahmane, directeur de l'OSDH. Selon lui, seuls les djihadistes étaient présents dans le secteur de l'attaque présumée. «Il n'y avait pas de civils dans la région», a-t-il assuré.
L'OSDH est une ONG basée à Londres dont le seul membre connu est son directeur, Rami Abdel Rahmane. Il publie depuis la capitale britannique des actualités sur la situation en Syrie en s'appuyant sur un «réseau d’informateurs» anonymes auxquels il «fait confiance». Rami Abdel Rahmane n’a pourtant pas voyagé en Syrie depuis 15 ans, selon ses propres dires. En outre, il ne cite pas ses sources lorsqu'il diffuse des informations, largement reprises.
L'utilisation (réelle ou supposée) d'armes chimiques est considérée par l'administration Trump comme une ligne rouge. Les Etats-Unis ont déjà ordonné à deux reprises des frappes contre des cibles de l'armée syrienne, qu'elles ont justifiées en accusant Damas, avant toute enquête, d'être responsable d'attaques chimiques.
Ce fut le cas en avril 2017, mais également un an plus tard. Des accusations d'attaque chimique à Douma avaient alors été formulées par les Casques blancs, puis reprises par plusieurs gouvernements occidentaux, Etats-Unis en tête, au moment même où Damas reprenait la main sur ce territoire, où étaient reclus des groupes islamistes, à la fin de la bataille de la Ghouta orientale.
Sans attendre l'ouverture d'une enquête, Washington, Paris et Londres avaient mené des frappes sur des infrastructures syriennes dans la nuit du 13 au 14 avril entraînant un pic de tension diplomatique.