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Crise entre la Russie et le Conseil de l'Europe : les risques d'une rupture définitive

Le bras de fer entre le Conseil de l'Europe et la Russie continue, cette dernière réclamant que le mandat de sa délégation soit pleinement rétabli. Si les Européens s'emploient à retenir Moscou par les mots, les actes ne suivent pas.

Pourquoi rester membre d'une organisation internationale, si prestigieuse soit-elle, pour n'avoir aucun droit mais en assumer toutes les décisions, souvent hostiles ? C'est la question délicate que se pose la Russie depuis plusieurs années, alors que les différends entre Moscou et l'Occident se sont invités au Conseil de l'Europe, instituée en 1949 et distincte de l'Union européenne... même si elle en reprend la bannière étoilée.

Aussi, alors que la Russie envisage de quitter l'organisation, le président de la République, Emmanuel Macron, a-t-il tenté de conjurer la rupture. «Je souhaite que la Russie reste au sein du Conseil de l'Europe», a-t-il martelé ce 6 mai, saisissant l'occasion d'une visite à l'Elysée du secrétaire général de l'organisation, le Norvégien Thorbjorn Jagland. La déclaration d'Emmanuel Macron a d'autant plus de poids que Paris s'apprête à prendre la présidence tournante du Conseil de l'Europe. 

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Crise en Ukraine

La crise remonte à 2014, avec comme pomme de discorde, le coup d'Etat pro-Union européenne en Ukraine et le rattachement, en mars, de la Crimée à la Fédération de Russie.

Le mois suivant, en avril 2014, les 18 députés russes de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), qui siège à Strasbourg, se voyaient privés de droit de vote en guise de sanction. Depuis, en protestation, la Russie boycotte l'organisation. En juin 2017, le ministre des Affaires étrangères Sergueï Lavrov avait annoncé à Thorbjorn Jagland que la Russie «ne contribuerait pas au budget du Conseil de l'Europe avant la restauration totale des droits de la délégation russe» 

Dans un autre communiqué, la diplomatie russe avait également dénoncé la «dégradation de la situation» au sein de l'APCE, dénonçant une «campagne de persécution frénétique» visant les représentants d'autres pays partisans d'une normalisation des relations avec la Russie.

Premier contributeur de l'APCE, Moscou a également gelé un financement annuel de quelque 30 millions d'euros par an mais la situation s'est encore dégradée ce 5 mai, à l'occasion du 70e anniversaire. Cité par l'agence Sputnik, Ivan Soltanovsky, représentant permanent de la Russie auprès du Conseil de l'Europe, a évoqué la possibilité d'un retrait de son pays de la Convention européenne des droits de l'homme. Une décision lourde de conséquences puisque l'appartenance au Conseil de l'Europe est subordonnée à l'adhésion à cette convention.

La Russie poussée vers la sortie ?

Mis au pied du mur, les Occidentaux semblent toutefois vouloir ménager Moscou. En janvier dernier, le ministre allemand des Affaires étrangères, Heiko Maas, exhortait la Russie et les Européens à s'entendre, assurant que Berlin contribuerait à résoudre la crise. «La Russie fait partie de l'Europe et donc appartient au Conseil de l'Europe», avait-il plaidé, se disant préoccupé que la Russie «continue de prendre ses distances». Pour autant, d'un autre côté, l'Union européenne persiste dans sa politique de sanctions antirusses. Signe de la défiance – pour ne pas dire de l'hostilité – de Bruxelles à l'égard de  Moscou, le Parlement européen, situé lui aussi à Strasbourg, en face du Conseil de l'Europe, a adopté le 12 mars dernier une résolution désignant la Russie, plus que jamais, comme un adversaire. Le texte appelait également l'UE à se tenir prête à «adopter de nouvelles sanctions à l'encontre de la Russie».

Tous perdants

Les effets négatifs d'une sortie de la Russie du Conseil de l'Europe sont néanmoins incalculables, et potentiellement chaotiques. La Russie n'a adhéré à cette organisation paneuropéenne, créée en 1949, qu'en 1996, après la disparition de l'Union soviétique.

A l'époque, cette adhésion, symbole fort, signifiait à la fois la volonté des Européens de tendre la main à la Russie, mais portait aussi la promesse d'une intégration dans le concert européen.

Bien que méconnu du grand public, le Conseil de l'Europe est ainsi un des piliers de l'intégration européenne. Du moins était-ce le projet, à l'issue de la conflagration de la Seconde Guerre mondiale. En claquant la porte du Conseil de l'Europe, la Russie se priverait d'une plateforme de dialogue et d'échange. Un départ aurait aussi pour conséquence de faire perdre aux Européens un levier sur la Russie.

Créée par le Conseil de l'Europe en 1959, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) représente ainsi une juridiction suprême pour la Russie, que les opposants ne se privent pas de saisir. Présenté à tort par les Occidentaux, en témoigne l'AFP, comme «principal opposant à Vladimir Poutine», Alexeï Navalny a ainsi eu gain de cause contre les autorités russes. Forts de dizaines de saisines de la CEDH par des citoyens russes, les défenseurs des droits de l'homme ont lancé un avertissement en avril dernier, faisant valoir qu'un départ de la Russie «ne contribuerait en rien à la résolution du conflit dans l'est de l'Ukraine et au retour de la Crimée sous l'autorité ukrainienne, mais aurait, au lieu de cela, des conséquences irréversibles».

La déclaration d'Emmanuel Macron de ce 6 mai traduirait-elle avant tout la crainte, du côté des Européens, de perdre tout moyen de pression sur la Russie ?

Alexandre Keller