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En immersion : le périple londonien de Gilets jaunes venus soutenir Julian Assange

Plusieurs dizaines de Gilets jaunes ont mené une action éclair à Londres où, au nom de la liberté d'expression, ils ont souhaité soutenir le porte-parole de WikiLeaks, menacé d'extradition vers les Etats-Unis. RT France était du voyage.

Il est une heure du matin et seuls les lampadaires éclairent la rue de La Chapelle, à quelques mètres du boulevard périphérique, dans le nord de la capitale. C'est ici que, dans la nuit du 1er au 2 mai, se sont donné rendez-vous quelque 80 citoyens, Gilets jaunes ou sympathisants du mouvement, afin de prendre un car pour Londres, où doit se tenir dans la matinée une audience sur la potentielle extradition aux Etats-Unis du journaliste Julian Assange.

L'initiative a été co-organisée sur les réseaux sociaux par le Gilet jaune breton Maxime Nicolle, figure du mouvement, et le conseiller juridique de WikiLeaks en France, Juan Branco.

A mesure que le groupe prend forme sur le trottoir, les langues se délient entre ces Gilets jaunes qui, quelques heures plus tôt, défilaient dans la capitale pour le 1er mai.

Beaucoup de jeunes, plusieurs quadragénaires et quelques couples de retraités ont fait le déplacement, venus de région parisienne mais aussi de province. 

Ici et là, les personnes présentes font connaissance par petits groupes, en se racontant les anecdotes de la journée. Surpris, un jeune du quartier qui passe en vélo met le pied à terre et scrute la petite foule. «Qu'est-ce qu'il se passe ?», interroge-t-il au hasard. «On va à Londres, faire la Révolution», lui répond un homme du groupe, amusé. 

Il est bientôt 2h du matin quand apparaît au loin le car «Robin des bus».

De la route et de la houle

L'autocar est plein à craquer. Tout juste installés, les passagers venus seuls font connaissance avec leur voisin. Les échanges fusent durant près d'une heure, avant que le calme ne s'installe, laissant le temps à chacun de s'assoupir avant d'arriver au port de Calais.

Héros de la vérité

Après plusieurs heures de route et d'attente au service des douanes, les voyageurs prennent place dans le ferry – l'occasion pour certains de faire le lien entre la cause de Julian Assange et ce qu'elle représente pour un mouvement citoyen tel que celui des Gilets jaunes. Carole, venue d'Angers, évoque ainsi la relation conflictuelle entre médias et Gilets jaunes : «Certains se rendent compte pour la première fois que les médias de masse font très mal leur travail. Or, si le peuple n'est pas correctement informé, il ne peut pas prendre de bonnes décisions.» Et la Gilet jaune angevine d'affirmer : «On a besoin de gens comme [Julian Assange], ce sont des héros de la vérité.»

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Ça serait un journaliste russe ou chinois qui serait emprisonné par son gouvernement, tout le monde se lèverait pour dire que c'est une dictature et que c'est scandaleux !

«C'est important de défendre quelqu'un qui permet à certaines vérités qui dérangent d'être révélées», estime de son côté Philippe, charpentier de profession. Venu de Bordeaux, il s'indigne du fait que la France ne propose pas d'accorder l'asile politique à Julian Assange : «Ça serait un journaliste russe ou chinois qui serait emprisonné par son gouvernement, [tout le monde] se lèverait pour dire que c'est une dictature et que c'est scandaleux», fait-il valoir.

Quant à Hugo, étudiant à Lorient, il explique l'importance à ses yeux de soutenir le rédacteur en chef de WikiLeaks actuellement en prison au Royaume-Uni. «C'est quelqu'un qui a fait preuve de beaucoup d'abnégation et de sacrifice», rappelle-t-il.

Le jour se lève et la côte anglaise se dévoile progressivement depuis le ferry. Quelques minutes avant d'accoster au port de Douvres, le groupe se réunit pour une photo sur le pont du bateau.

De retour dans l'autocar, Maxime Nicolle, Juan Branco ou encore le chauffeur, multiplient les interventions au micro, tantôt sur l'aspect organisationnel de la journée, tantôt sur l'affaire Assange. Nous atteignons le sud-est londonien peu après 9h du matin.

Le cortège se dirige d'abord vers le tribunal de Westminster, où l'extradition vers les Etats-Unis de Julian Assange est discutée lors de la première audience d'une probable longue série, avant que la justice britannique ne tranche.

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Julian Assange étant détenu à la prison de Belmarsh, c'est son avocate Jennifer Robinson et l'actuel directeur de WikiLeaks, Kristinn Hrafnsson, qui assistent à la séance. En attendant leur sortie du tribunal, les Gilets jaunes venus de France rejoignent des partisans du journaliste australien qui, pancartes en mains, scandent des slogans en faveur de sa libération.

«Ça a été un peu dur financièrement mais je suis contente d'avoir fait [le voyage]», confie une Gilet jaune venue de Vannes. «C'est une cause qui me touche, [Julian Assange] est une personne qui veut du bien à l'humanité, on ne peut pas le laisser dans cette situation, on doit faire tout ce qu'on peut pour reconnaître ce qu'il a fait vis-à-vis de nous», ajoute-t-elle.

L'intégrité est devenue rare, Julian Assange nous montre l'exemple.

Venue d'Aix-en-Provence, où elle regrette d'avoir oublié l'emblématique gilet fluo dans la précipitation, une autre citoyenne française affirme être là en tant que maman : «Je veux transmettre un meilleur monde à mes enfants [mais] l'intégrité est devenue rare, Julian Assange nous montre l'exemple», explique-t-elle avant de souligner le lien, à ses yeux, entre le combat du fondateur de WikiLeaks et la contestation de la parole officielle au sein du mouvement des Gilets jaunes. Venu de Metz, un couple de retraités participe également à l'aventure. Au côté de sa femme, l'homme explique qu'ils ont fait le déplacement «pour défendre la liberté d'expression».

La présence de citoyens français ne laisse pas l'actuel directeur de WikiLeaks indifférent. «Les gens commencent à comprendre en quoi le cas de Julian Assange est lié à l'intérêt général, notamment en ce qui concerne l'accès à l'information. [...] La liberté de la presse est un aspect fondamental de la démocratie», commente-t-il à la sortie de l'audience.

Direction l'ambassade équatorienne

Plus tard dans la journée, c'est devant l'ambassade d'Equateur que le cortège de Gilets jaunes recroise Kristinn Hrafnsson, alors qu'il tente de pénétrer le bâtiment pour récupérer les dernières affaires de Julian Assange. L'accès lui étant refusé, l'homme n'hésite pas à interpeller une patrouille de policiers qui passe par hasard. Certains fonctionnaires s'avèrent disposés à aider leur interlocuteur, quand celui-ci leur explique qu'il souhaite accéder au bâtiment. La bonne volonté des policiers londoniens n'aura toutefois pas raison de l'obstination de l'ambassadeur, celui-ci se bornant à son refus initial...

A 21h30, les Gilets jaunes regagnent leur car à deux étages dans le sud-est londonien. Si la fatigue se fait de plus en plus pesante, elle n'empêche pas certains de commenter les moments forts du voyage. «C'était quand même extraordinaire cette aventure», juge un habitué des manifestations mouvementées du samedi, cette fois impressionné par le bon déroulement des actions menées devant le tribunal et l'ambassade.

Comme l'a pu être le mouvement des Gilets jaunes pour nombre de ses membres, cette initiative engagée aura été marquée par une atmosphère conviviale : du tutoiement généralisé entre citoyens ne se connaissant pas, au désormais emblématique refrain des Gilets jaunes, chanté et même sifflé en chœur, plusieurs fois dans la journée : «On est là, on est là, et même si Macron ne veut pas, nous on est là...»

Fabien Rives