Washington menace de s'en prendre aux entreprises étrangères présentes à Cuba, l'UE hausse le ton
- Avec AFP
L'UE, premier partenaire commercial de Cuba, menace d'«utiliser tous les moyens à sa disposition» pour protéger ses intérêts. Washington envisage d'ouvrir la porte à des actions en justice contre les sociétés étrangères opérant dans l'île.
Les Etats-Unis devraient ouvrir la voie à des milliers d'actions en justice contre des entreprises étrangères, notamment européennes, présentes à Cuba, en décidant d'appliquer une loi vieille de plus de deux décennies qui risque d'affaiblir l'économie de l'île. Un responsable de l'administration Trump a fait savoir le 16 avril que le conseiller à la Sécurité nationale de la Maison Blanche, John Bolton s'apprêtait à annoncer lors d'un discours à Miami «l'application du chapitre III de la loi Helms-Burton» de 1996. Les mesures entreront en vigueur le 2 mai, selon l'AFP.
Systématiquement gelé jusque-là par Washington pour ne pas froisser ses alliés (dont l'Union européenne, premier partenaire commercial de l'île), ce texte permet théoriquement, et notamment aux exilés cubains, de poursuivre devant les tribunaux fédéraux américains les entreprises qui ont réalisé des gains grâce à des sociétés nationalisées après la révolution de 1959 dans l'île des Caraïbes. La date du 17 avril, qui aurait été choisie pour annoncer ces nouvelles mesures n'est pas le fait du hasard ; il s'agira de l'anniversaire de l'attaque de la Baie des Cochons en 1961, tentative d'invasion américaine qui s'était soldée par une défaite cinglante.
C'est là une mauvaise nouvelle pour les partenaires économiques du gouvernement socialiste, au premier rang desquels se trouve l'Union européenne. «Cela va créer encore plus de confusion pour les investissements étrangers, qui aident à la création d'emploi et la prospérité à Cuba», a déclaré à la presse l'ambassadeur européen à La Havane, Alberto Navarro, ajoutant «déplorer profondément» cette décision.
Les Etats-Unis accentuent de la sorte la pression qu'ils exercent depuis des décennies sur Cuba, dont ils accusent par ailleurs les autorités de soutenir le président vénézuélien Nicolas Maduro, autre ennemi déclaré de Washington. Lors de l'adoption de la loi Helms-Burton en 1996, le département d'Etat américain avait estimé qu'il existait jusqu'à 200 000 plaintes potentielles, qui ont donc été gelées et pourraient être remises en selle lorsque le chapitre III sera pleinement activé.
Grandes entreprises dans le viseur
Selon le Conseil économique et commercial des Etats-Unis et de Cuba, un groupe basé à New York qui appuie les relations commerciales entre les deux adversaires, les plaintes dans le cadre du Titre III pourraient viser des entreprises dont les chiffres d'affaires combinés atteindraient 678 milliards de dollars. D'après ce groupe, parmi les entreprises qui pourraient faire l'objet de poursuites potentielles figurent les compagnies aériennes américaines Delta, American Airlines et United, des chaînes hôtelières comme Marriott et Accor et d'autres firmes comme Pernod Ricard et Huawei.
L'ex-président américain Barack Obama avait renoué des relations diplomatiques avec Cuba en 2015 après un demi-siècle de rupture, sans pour autant lever totalement les sanctions infligées à l'île caribéenne par Washington. Mais à son arrivée à la Maison Blanche, Donald Trump a durci le ton et donné un tour de vis aux restrictions imposées à l'économie cubaine.
Les élus républicains militant de longue date pour des actions plus dures contre Cuba se sont réjouis des signaux adressés depuis janvier par l'administration Trump évoquant l'application entière de la loi Helms-Burton. «Maintenant, les entreprises qui s'empêtrent volontairement dans des partenariats avec le régime oppressif, illégitime et anti-américain à Cuba savent qu'elles vont être tenues pour responsables du fait qu'elles ont participé à bénéficier froidement des énormes pertes des victimes du régime», disait ainsi récemment Mario Diaz-Balart, républicain de Floride d'origine cubaine.
L'administration de Donald Trump, qui accuse Cuba de faire partie d'une «troïka de la tyrannie» en Amérique latine avec le Venezuela et le Nicaragua (deux autres gouvernements socialistes) avait déjà fait planer cette menace en janvier, encourageant alors «toute personne faisant des affaires à Cuba à examiner si elle fai[sai]t du trafic de biens confisqués et [était] complice de cette dictature». Le département d'Etat américain, affirmant avoir pris en compte les «inquiétudes» des alliés de Washington, avait finalement fait machine arrière début mars. Pas pour longtemps.
L'UE met en garde Washington
L'Union européenne a de son côté regretté cette annonce. «Nous déplorons profondément» cette décision car «cela va créer encore plus de confusion pour les investissements étrangers, qui aident à la création d'emploi et la prospérité à Cuba», a déclaré à la presse Alberto Navarro, l'ambassadeur à La Havane de l'UE.
De plus, dans un courrier daté du 10 avril, adressé au secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo, dont l'AFP a obtenu une copie, la cheffe de la diplomatie européenne Federica Mogherini et la commissaire au commerce Cecilia Malmström annoncent que «l'Union européenne sera contrainte d'utiliser tous les moyens à sa disposition» afin de protéger ses intérêts.
L'objectif est de décourager les investissements étrangers, selon l'ambassadeur Alberto Navarro. «C'est pour qu'un investisseur se dise : au lieu d'investir à Cuba, je vais le faire à Punta Cana [en République dominicaine]», a-t-il expliqué. «[Néanmoins] l'UE a créé une législation antidote, comme l'ont fait le Canada, le Japon et le Mexique, donc nos citoyens et entrepreneurs ont la protection de l'Union européenne en cas de procès des Etats-Unis», a affirmé l'ambassadeur. «Les citoyens européens ont l'obligation de ne pas collaborer [à ces procédures judiciaires] et la possibilité de porter réclamation contre les entreprises demandant des indemnisations pour les propriétés confisquées à Cuba», a-t-il ajouté.