L'OTAN célèbre son 70e anniversaire les 3 et 4 avril à Washington, mais l'ambiance n'est pas vraiment à la fête pour l'Alliance atlantique. Depuis son arrivée au pouvoir, le président américain Donald Trump met à l'épreuve comme jamais la cohésion de l'organisation qu'il n'avait pas hésité à qualifier d'«obsolète» quand il était encore candidat. D'autant plus qu'il l'utilise désormais pour tenter de contrer deux initiatives de pays membres qui lui déplaisent fortement : la livraison programmée de batteries S-400 – un système de défense antiaérienne et antimissile mobile russe – à la Turquie ainsi que la mansuétude dont ferait preuve l’Allemagne envers le projet de gazoduc russe Nord Stream 2. Signe des tensions inédites qui traversent l'OTAN, ce sont les ministres des affaires étrangères et non les chefs d'Etat qui s’efforcent d’afficher l'unité des désormais 29 alliés dans la capitale américaine. Une tâche qui s'annonce particulièrement difficile.
Signé le 4 avril 1949 entre 12 Etats, le traité de l’Atlantique nord visait initialement à assurer la sécurité de ses Etats membres contre l'expansion du bloc soviétique. Pourtant, si l'alliance a survécu à la chute de l'URSS, elle s'est trouvée une nouvelle raison d'être en s'alarmant d'une hypothétique menace russe sur le continent européen. Cette prétendue menace entraîne l'OTAN à développer ses bases aux portes de la Russie depuis des années, ce qui a bien entendu un coût.
L'Allemagne et Nord stream 2 dans le viseur
Or Donald Trump et son administration cherchent à instaurer un «partage du fardeau plus juste» au sein de l'alliance, en poussant ses membres à accepter l'objectif d'un budget de défense à 2% du produit intérieur brut (PIB) à l'horizon 2024. Après les avoir bousculés comme jamais, le président américain a accordé le 2 avril, veille des festivités, un satisfecit inédit aux Alliés pour leurs efforts financiers. Or, dès l'ouverture du sommet, son vice-président Mike Pence a pris le relais pour leur remettre la pression, avec l'Allemagne très clairement dans le viseur.
«L'Allemagne doit faire plus», a ainsi lancé Mike Pence, accusant Berlin de refuser de faire les investissements nécessaires pour atteindre cet objectif de 2%. Des critiques ciblées qui servent par ailleurs un tout autre objectif. Le vice-président américain a enchaîné son propos en remettant en cause Nord Stream 2, le projet de gazoduc entre la Russie et l'Allemagne, contre lequel Washington mène une guerre diplomatique et économique.
«Nous ne pouvons pas assurer la défense de l'Occident si nos alliés deviennent de plus en plus dépendants de la Russie», a justifié le vice-président américain, estimant que l'Allemagne deviendrait «prisonnière la Russie» si elle persistait dans la construction du gazoduc. «Il est tout simplement inacceptable que la première économie européenne continue d'ignorer la menace d'agression russe et néglige sa propre défense et notre défense commune», a encore fait valoir le vice-président américain, n'hésitant pas à jouer sur la corde sensible de l'Alliance atlantique pour arriver à ses fins.
Ankara sommé de renoncer aux S-400
Le président américain qui, à en croire le New York Times, aurait sérieusement entretenu l'idée de quitter l'alliance militaire, s'en sert désormais volontiers pour mener à bien les objectifs de son administration. Ainsi, Washington a de nouveau agité le spectre de la menace russe, chère à l'OTAN, pour régler ses comptes avec la Turquie.
Estimant qu'Ankara mettait en danger la stratégie de l'alliance face à Moscou, Mike Pence est allé jusqu'à lui lancer ce qui ressemble fort à un ultimatum : «La Turquie doit choisir : veut-elle rester un partenaire crucial de la meilleure alliance militaire de l'histoire, ou mettre en péril la sécurité de ce partenariat par des décisions irréfléchies qui sapent notre alliance ?»
Les deux alliés sont en froid depuis qu'Ankara entrepris d'acheter, en même temps, des système antimissiles S-400 russes et des avions de combat F-35 américains. Washington craint en effet que ce système russe ultra-sophistiqué ne perce les secrets technologiques de son avion militaire et a suspendu toutes les livraisons d'équipements liées au F-35 en attendant qu'Ankara ne renonce «sans équivoque» à acquérir les S-400. Une demande à laquelle la diplomatie turque a jusqu'à présent apporté une fin de recevoir par la voix de son ministre des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu : «Nous ne reviendrons pas en arrière.»
Face à ces divergences, le secrétaire général de l'OTAN Jens Stoltenberg a demandé dans un discours prononcé devant le Congrès américain à «préserver l'unité» de l'Alliance atlantique. «Nous avons surmonté nos désaccords par le passé et nous devons surmonter nos différences à l'avenir», a-t-il appelé de ses vœux. L'éternelle menace russe parviendra-t-elle à rassembler indéfiniment les membres de l'Alliance ? C'est en tout cas le seul levier sur lequel s'appuie l'organisation, qui devrait adopter ce 4 avril de nouvelles mesures pour renforcer la surveillance en mer Noire. «Nous ne voulons pas d'une nouvelle Guerre froide», a pourtant tempéré Jens Stoltenberg. Vraiment ?