L'Union chrétienne-démocrate (CDU), le parti conservateur allemand que dirigeait depuis 18 ans Angela Merkel, a fait le 7 décembre le choix de la continuité en plaçant à sa tête Annegret Kramp-Karrenbauer, une fidèle d'Angela Merkel.
Le vote des quelque 1001 délégués réunis à Hambourg pour l'occasion s'est toutefois avéré très serré et pourrait donc augurer de difficultés à venir pour maintenir la cohésion de ce mouvement qui a dirigé la première économie européenne pendant 50 des 70 dernières années.
L’actuelle numéro deux de la CDU, âgée de 56 ans, s’est imposée lors du vote avec seulement 51,7% des voix face au rival de toujours d'Angela Merkel, le millionnaire Friedrich Merz. Ce dernier entendait opérer un virage nettement à droite par rapport au cap centriste imprimé pendant près de deux décennies par la chancelière.
La nomination de celle que l'on surnomme «AKK» ouvre à terme les portes de la chancellerie à cette Sarroise encore quasi inconnue il y a deux ans en Allemagne. Et elle augmente aussi les chances qu'Angela Merkel parvienne à boucler son mandat de chancelière en 2021, comme elle le souhaite, en dépit des très sévères revers politiques subis par sa majorité depuis trois ans.
Son partenaire gouvernemental minoritaire au sein de la coalition, le Parti social-démocrate (SPD), s'est montré soulagé de voir que la CDU n'allait pas se droitiser. «Vous prenez le relais d'une grande de la politique», a souligné sa présidente Andrea Nahles, avant de lui proposer «une bonne collaboration».
«La CDU va poursuivre son virage à gauche»
A l'annonce des résultats, la majorité des délégués présents dans un hall de la foire de Hambourg plein à craquer se sont levés, certains scandant «AKK! AKK» ! Très émue, l'heureuse élue s'est dirigée vers le podium où elle a embrassé Angela Merkel, son mentor. Cette mère de trois enfants, qui a fait presque toute sa carrière dans la Sarre, a endossé globalement la politique centriste de son mentor.
«Avec elle, la CDU va maintenir son cap à gauche», a persiflé l'une des dirigeantes du parti anti-immigrations Alternative pour l'Allemagne (AfD), Alice Weidel. En effet, «AKK» était en concurrence pour la présidence de la CDU avec deux hommes désireux de rompre avec l'héritage d'Angela Merkel dans l'espoir de récupérer l'électorat parti plus à droite après l'arrivée de plus d'un million de migrants dans le pays : l'avocat d'affaires, Friedrich Merz, battu d'un souffle au final avec un peu plus de 48% des voix, et le «jeune» ministre de la Santé Jens Spahn.
Soucieuse de préserver l'unité de la grande famille CDU, «AKK» leur a néanmoins promis de travailler avec eux à l'avenir. Il lui faudra aussi tenter de se détacher peu à peu, à mesure qu'approchent les prochaines élections fédérales qui se tiendront, sauf imprévu, en 2021, de l'ombre pesante de sa devancière. Se défendant de n'être qu'une «mini-Merkel», comme ses détracteurs la surnomment, elle a tenu à mettre en avant ses différences. «Je suis telle que je suis», a-t-elle ainsi déclaré après son élection, en référence aussi à ses positions plus radicales que celles de la chancelière sur certains thèmes de société ou en matière d'immigration.
Se distinguer de Merkel : une nécessité plutôt qu'une envie
S'il peut sembler difficile de trouver de réelles divergences entre Annegret Kramp-Karrenbauer et Angela Merkel, tout du moins sur le plan des idées, la première s'est toutefois distinguée de la seconde en s'opposant au mariage homosexuel. En déclarant que celui-ci risquait d'ouvrir la porte à l'inceste et la polygamie, elle avait d'ailleurs suscité une polémique jusque dans son parti. «AKK» est volontiers présentée comme conservatrice sur les sujets sociétaux : elle a par exemple plaidé contre une suppression du fameux paragraphe 219a du code pénal allemand, qui réprime la publicité pour l'avortement.
Celle qui était encore peu connue outre-Rhin il y a encore un an a également dû se positionner sur l'inévitable question migratoire, tant pour rivaliser avec ses concurrents à la tête de la CDU que par nécessité politique. Elle a adressé des reproches prudents à Angela Merkel au sujet de l'ouverture des frontières à des centaines de milliers de migrants en 2015. Partisane d'un durcissement de la politique migratoire, elle est allée jusqu'à réclamer l'expulsion de tout réfugié ayant commis un crime – une mesure qui fait débat jusqu'au sein de l'AfD.
Autre sujet sur lequel «AKK» a tenu à se différencier : la politique extérieure de l'Allemagne, question redevenue centrale à Berlin sous l'impulsion d'Angela Merkel, après de longues années de relative discrétion sur la scène internationale. En plein regain de tensions entre l'Ukraine et la Russie après l'incident survenu en mer d'Azov, celle-ci a déclaré, dans une interview à Reuters, être favorable à ce que les Etats-Unis et l'Union européenne réfléchissent à fermer leurs ports aux navires russes. Un ton sensiblement différent de celui adopté par la Chancelière, qui avait tempéré les ardeurs de Kiev, appelant l'Ukraine à la retenue après la demande faite par le président ukrainien Petro Porochenko d'envoyer l'OTAN pour faire face à la Russie.
A 64 ans, Angela Merkel dirige l'Allemagne depuis treize ans. Elle peut certes former un bon tandem avec «AKK» jusqu'à 2021, mais d'autres obstacles sont susceptibles d'entraîner son départ anticipé. Beaucoup ne la voient ainsi pas survivre aux élections européennes de mai 2019, si les partis traditionnels (CDU et SPD) sont de nouveau sanctionnés lors des prochaines élections régionales. Ce serait alors une sortie de scène assez peu glorieuse pour Angela Merkel et une entrée en piste plus que délicate pour «AKK». Ses adversaires ne manquent d'ailleurs pas de rappeler que son intronisation à la tête de la CDU n'en fait pas la candidate officielle pour la chancellerie.