42% des Britanniques ne savent pas qu'une guerre fait rage au Yémen. C'est ce que révèle une étude menée conjointement par l'ONG britannique Human Appeal et le cabinet d’études de marché YouGov.
Le sondage, qui a eu lieu les 16 et 17 octobre, a révélé que, lorsqu'on demande aux Britanniques : «Selon vous, lequel des pays suivants est actuellement ou a été impliqué récemment dans un conflit armé ?», seuls 58% d'entre eux ont choisi le Yémen parmi les dix options possibles.
Human Appeal, l'une des principales ONG britanniques actives au Yémen via des projets d'accès aux soins, à l'eau potable et à l'aide alimentaire, a qualifié les résultats de «surprenants», sachant que le Yémen se trouve au bord d'une «famine catastrophique» résultant du conflit dans lequel est notamment impliquée l'Arabie saoudite.
Une situation guère meilleure en France ?
Si cela n'équivaut pas à une étude scientifique, RT France est allé à la rencontre de Français dans les rues de Paris. Les citoyens sont-ils conscients qu'une guerre a lieu au Yémen et que la France est impliquée dans ce conflit via des ventes d'armes à l'Arabie saoudite ?
Si certains ont une idée précise de ce qu'il s'y passe, plusieurs ignorent tout de cette guerre... voire même du pays.
Quant à la question de la vente d'armes par la France à l'Arabie saoudite, deux Parisiens interrogés semblent être au courant de cette problématique. Un premier s'oppose à ce commerce qui, selon lui, ne rapporte pas grand chose en termes financiers à la France, tandis qu'un autre estime que la vente d'armes «représente des milliers d'emplois en France» et qu'il faut donc mesurer l'impact de l'arrêt éventuel de ce commerce.
La guerre au Yémen ne se joue pas comme un film hollywoodien où l'on sait clairement qui sont les bons et les méchants
Une couverture médiatique insuffisante du Yémen?
Pour expliquer le désintérêt du grand public pour la situation au Yémen, Charles Lawley, coordinateur britannique pour Human Appeal, a comparé les chiffres recueillis dans l'étude menée par YouGov sur le Yémen avec, notamment, ceux sur la Syrie ou l'Afghanistan : «Le conflit au Yémen fait rage depuis trois ans et demi, mais deux Britanniques sur cinq n’en ont jamais entendu parler tandis que 77% de la population est au courant du conflit en Syrie et 63% de la situation en Afghanistan.» Et le militant de pointer la responsabilité des médias dans ce manque d'informations : «Cela pourrait être dû au fait que le public britannique est moins susceptible de consommer des informations relatives aux affaires étrangères et que, comparativement, le conflit au Yémen n'a pas reçu beaucoup de couverture, en particulier par rapport à la Syrie, ou que le conflit est complexe et qu'il ne se joue pas comme un film hollywoodien où l'on sait clairement qui sont les bons et les méchants.»
L'affaire Khashoggi jette la lumière sur le Yémen
La guerre au Yémen, très peu médiatisée depuis qu'elle a éclatée en 2015, connaît récemment un regain d'attention en marge de la vague d'indignation mondiale entraînée par l'affaire Khashoggi. Grands alliés stratégiques du royaume saoudien, les Occidentaux, Etats-Unis et France en tête, semblent devoir durcir le ton pour ne pas choquer davantage leur opinion publique. Ainsi, alors qu'ils ont jusque là soutenu sans réserve le royaume wahhabite, les Etats-Unis ont appelé le 30 octobre à l'arrêt des frappes aériennes de la coalition menée par Riyad sur le Yémen tout en demandant aux Houthis de faire le premier pas, et de se retirer de la frontière. Washington souhaite l'ouverture de négociations de paix d'ici 30 jours.
En France, la ministre des armées Florence Parly a également souhaité la fin du conflit mais s'est employée le 30 octobre à minimiser l'implication de la France dans la guerre au Yémen, assurant que Paris était un «modeste» fournisseur d'armes au royaume wahhabite. Mais la consultante en droits humains Hélène Legeay, interrogée par RT France, donne une tout autre interprétation du volume de matériel militaire que l'Hexagone fournit à l'Arabie saoudite : «En 2017, il y a un record toutes années confondues de livraisons d'armes, comme l'atteste le rapport annuel du ministère des Armées», révèle-t-elle. Sur les 5,2 milliards d'euros d'armes livrées par la France en 2017, 1,38 milliard d'euros concernaient l'Arabie saoudite.
Florence Parly a en outre fait part de son indignation face à la crise humanitaire dans le pays.
En effet, l'ONU estime à 14 millions le nombre de personnes qui sont actuellement au bord de la famine, soit la moitié de la population du pays. «[Le Yémen fait face à] un danger clair et présent d'une famine géante et imminente», a averti le 23 octobre le secrétaire général adjoint de l'ONU pour les Affaires humanitaires, Mark Lowcock. Charles Lawley de Human Appeal lance un cri d'alarme sur la situation sanitaire : «75% des habitants ont besoin d'une aide humanitaire. Le système de santé publique yéménite a été handicapé par les épidémies de choléra et de diphtérie de l’année dernière. Seulement la moitié des hôpitaux du pays fonctionnent encore et ceux qui sont ouverts ont du mal à accéder aux médicaments. De plus en plus de Yéménites luttent pour avoir accès à de l'eau potable et à des installations sanitaires, permettant ainsi aux maladies et aux infections de se propager rapidement. Malgré tout cela, le Yémen est ignoré.»
Depuis 2015, le Yémen est le théâtre d'une guerre opposant les rebelles chiites houthis, qui contrôlent le port de Hodeida ainsi que la capitale yéménite Sanaa, à une coalition arabe sous commandement saoudien qui défend le gouvernement réfugié à Aden, dans le sud du pays et qui bombarde régulièrement le Yémen, causant des milliers victimes civiles dont beaucoup d'enfants. Au mois d'août, au moins 66 enfants ont été tués dans des frappes de la coalition saoudienne. En plus de trois ans, le conflit a fait des dizaines de milliers de morts et est à l'origine de la pire crise humanitaire au monde selon l'ONU. Selon les données des Nations unies, le bilan était de 10 000 morts en août 2016 mais il ne fait aucun doute que ce chiffre est très largement dépassé aujourd'hui. Désormais, il se rapprocherait des 50 000 morts selon une estimation indépendante citée par le Washington Post.
Meriem Laribi
Lire aussi : Selon Florence Parly, la France est un «modeste» fournisseur d'armes à l'Arabie saoudite