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Bayer rachète Monsanto et supprime son nom, symbole de plus d'un demi-siècle de scandales

A l'occasion du rachat unissant deux mastodontes de l'agro-chimie, Bayer va faire disparaître le nom de Monsanto, symbolisant depuis des décennies pour ses détracteurs des pratiques de falsification scientifique et de destruction de l'environnement.

Le géant de l'agrochimie Bayer vient d’officialiser, le 7 juin, l’acquisition de l’Américain Monsanto, la plus importante fusion jamais effectuée par une entreprise allemande à l'étranger. Bayer a racheté les titres Monsanto pour 128 dollars par action, portant le montant total de la transaction à 63 milliards de dollars. Dans le même temps, le groupe allemand a procédé à la suppression du nom «Monsanto», entaché par une série ininterrompue de scandales depuis les années 1940. Mais en disparaissant, l'entité juridique Monsanto, n'emportera pas avec elle les problèmes qu'elle pose encore aux milliers de plaignants qui, à travers le monde, ont assigné le mastodonte américain de l’agrochimie en justice.

Des désastres sanitaires et environnementaux 

Si le nom sera bien effacé, ses produits continueront à être commercialisés, qu'il s'agisse d'organismes génétiquement modifiés ou de pesticides, à l'instar du célèbre Round-up, dont le principe actif n’est autre que le glyphosate. Ils seront simplement estampillés Bayer, fabriqués par un poids lourd industriel allemand à la force de lobbying considérable dans l'Union européenne mais qui a promis sur Twitter de ne pas créer de produits dangereux.

Une sage précaution en amont des protestations attendues contre un industriel dont les activités sont liées depuis les années 1940 à un grand nombre de désastres sanitaires et environnementaux, dénoncés par les média, les citoyens et de nombreuses associations. Falsification de rapports, lobbying forcené pour retarder l’interdiction de produits dangereux ou doper leurs ventes, dissimulation, pressions, corruption de scientifiques et mensonges font partie de la mécanique de défense de la firme. Retour sur quelques-uns des plus grands scandales qui ont marqué l'histoire de Monsanto. 

Monsanto : une entreprise rompue à la fraude, qui cache les dossiers sensibles

L’habitude de falsifier, biaiser les données ou cacher les dossiers révélant la dangerosité des produits pour la santé publique a très tôt été développée par la firme.

En 1949, l’usine de Nitro, en Virginie (Etats-Unis), qui fabrique un pesticide, le 2,4,5-T, contenant de la dioxine, explose. Ses composés répandus provoquent une maladie grave, le chloracné, chez deux cents de ses employés. Au fil des années, les ouvriers souffrent de différentes maladies, dont 27 cas de cancers liés à la manipulation des produits. Malgré la toxicité du produit composé de cancérigènes et de dioxine, Monsanto poursuivra sa commercialisation jusqu’à son interdiction partielle en 1970 et totale en 1985.

Marie-Monique Robin, auteur d'un documentaire et d'un livre à charge contre Monsanto, révèle qu'à l'époque, le directeur médical de la firme, Emmet Kelly, avait été invité dès 1937 à une conférence traitant des causes du chloracné. Au fil des années, il a ignoré les avertissements de ses confrères et minimisé les atteintes de la dioxine dans différents rapports, évoquant un «cancérogène probable», alors qu'il s'agissait d'un cancérogène certain. Des rapports de santé alarmants ont été passés sous silence. Monsanto qui a dû étudier l'impact sanitaire de la dioxine en vue des réglementations, a aussi manipulé ses études pour ne pas faire figurer les 27 cas de cancer des ouvriers de l'usine, comme l'a déclaré sous serment leur directeur médical en 1985, le docteur Roush. En 2012, après 7 ans de procédure, Monsanto a finalement accepté un accord de principe pour régler une poursuite en recours des habitants de la ville de Nitro, pour un montant total de 93 millions de dollars, affecté au nettoyage du site et au suivi sanitaire.

L'agent orange : le Vietnam dévasté, cancers et enfants malformés

Un dérivé de l'herbicide le 2,4,5-T, l’«agent orange», produit par la firme, est ensuite déversé au Vietnam par dizaines de millions de litres entre 1961 et 1971 en tant que défoliant et faciliter les opérations militaires américaines au sol. 50 ans plus tard, ces épandages massifs ont provoqué des cancers ainsi que des malformations chez les enfants nés sur les territoires contaminés, comme on peut le voir dans ce documentaire australien.

Une class action entreprise par des soldats américains eux aussi victimes du produit, leur ont permis d’obtenir 180 millions de dollars d'indemnisation. Il est à noter que durant le procès, Monsanto a eu à cœur de prouver l’innocuité de l’agent orange à l’aide de rapports, dont il s'est avéré plus tard qu'ils avaient été biaisés.

Les travaux de décontamination sont toujours d'actualité au Vietnam, ils prennent du temps et coûtent des centaines de millions de dollars qui ne sont que partiellement pris en charge par les Etats-Unis. Même si 4,5 millions de Vietnamiens ont été exposés à la dioxine, Monsanto refuse de les indemniser malgré les actions en justice intentées contre la firme.

Les PCB de Monsanto : des cancers, des malades, des mensonges et 700 millions d'indemnisation

Monsanto est aussi le producteur principal des PCB, des hydrocarbures chlorés, qui ont longtemps servi par exemple de liquide réfrigérants. Ces composés de sinistre mémoire, interdits en 1986, sont difficiles à oublier. Qualifiés de polluants organiques persistants, ils résistent aux dégradations dans le milieu naturel et et s’accumulent dans les tissus vivants. Encore présents dans le monde entier, ils occasionnent aujourd’hui des consignes de modération de consommation de poissons qui les stockent dans leur organisme, voire des interdiction de pêche dans certaines zones de France.

L'histoire de Monsanto et des PCB est tout aussi édifiante. La compagnie rachète en 1935 l'usine qui les fabrique, la Swann Chemical Company, à Anniston, dans l'Etat de l'Alabama, et devient un leader mondial de ce produit en 1940. Monsanto apprend dès 1936 la dangerosité du produit, après la mort de trois ouvriers qui en avaient inhalé. Un mémo interne de 1937 reconnaît «les effets toxiques systémiques du produit». A partir de 1955, d'autres notes internes et des rapports indépendants pointent leur dangerosité pour le développement des enfants et leur potentiel cancérigène.

Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un dollar de business

Mais Monsanto n'entreprend rien pour en stopper la production, bien au contraire. Il met en place un mécanisme pour défendre ses ventes, qui sera dévoilé par une note interne de la compagnie en 1970 : «Vous trouverez ci-joint une liste de questions et de réponses qui peuvent être posées par nos clients concernant Aroclor et les PCB. Vous pouvez répondre oralement, mais ne donnez jamais de réponse écrite [...] Nous ne pouvons pas nous permettre de perdre un dollar de business.»

En outre, la pollution des eaux provoquée par l’usine de production était attestée dès 1970. Pour éviter de une décision de justice, Monsanto prend contact avec les pouvoirs publics qui dissimulent la contamination de la chair des poissons nageant dans la canal jouxtant l’usine, pourtant 500 fois supérieures aux normes. Ainsi, jusqu'en 1993, les habitants continueront à consommer les poissons contaminés.

La ville d’Anniston, voisine de l’usine, a été victime des rejets de Monsanto : 810 tonnes de PCB déversées dans des canalisations d’évacuation des eaux se jetant dans le canal et 32 000 tonnes de déchets contaminés entreposés dans une décharge à ciel ouvert, située sur le site de production, à côté du centre-ville, selon un rapport de l'Agence de protection de l'environnement des Etats-Unis. Le village vit alors une hécatombe : une centaine d'habitants meurent de cancers, des milliers tombent malades... C'est à ce moment-là que 3 500 citoyens eux-même atteints de cancers ou de retard de développement décident de se mobiliser.

Un procès retentissant a lieu en 2002, alors que la firme continue à nier les faits malgré les preuves accablantes. Monsanto a été condamné à indemniser les 20 000 habitants à hauteur de 700 millions de dollars : leurs organismes présentaient des taux de PCB six fois supérieurs au seuil de dangerosité. C'est du reste la somme la plus importante qu’ait eu à payer une compagnie industrielle dans l’histoire des Etats-Unis.  

Quid des OGM, si controversés, dont la majorité sont conçus de manière à augmenter la résistance des plantes aux pesticides, afin d’en pulvériser davantage ? C'est l'activité phare de Monsanto. Les hormones de croissance ? Destinées à augmenter la production de lait des vaches qui entraînaient des inflammations à traiter avec des antibiotiques et se diffusaient ensuite dans le lait, elles ont été inventées par Monsanto. Elles n’ont pas séduit le monde : elles sont aujourd’hui interdites partout dans le monde sauf aux Etats-Unis. Avant la vente du brevet à une autre compagnie en 2008, le groupe a réussi à faire pression sur Fox News en 1997 pour qu'une de ses chaînes ne diffuse pas un reportage à charge sur cette hormone de croissance, et les journalistes ont été licenciés par la chaîne.  

L'agence européenne fait un copier/coller du rapport de Monsanto sur le glyphosate pour rédiger son avis sanitaire

Si le nom de Monsanto, que Bayer souhaite tant faire disparaître derrière un écran de fumée, est souvent cité aujourd’hui, c’est parce qu’il est aussi l'inventeur du Round up, dont le principe actif, le glyphosate, fait l’objet d’une intense polémique citoyenne après le flou entretenu par le gouvernement français par rapport à son interdiction. Le 20 mars 2015, le glyphosate a été classé comme «probablement cancérogène» pour l'humain par le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) de l'Organisation mondiale de la santé (OMS). Ce classement est fondé sur des résultats d'études conduites un vitro et in vivo. Ces résultats sont contestés car d’autres agences le déclarent non cancérogènes.

Mais à y regarder de plus près, l'une d'elle, l'Autorité européenne de sécurité des aliments (AESA) qui ne suit pas l'avis de l'OMS, ne s’est appuyée que sur les rapports et études fournies par... l'industriel Monsanto, qui a bien entendu pour intérêt de masquer toute suspicion de dangerosité. L’AESA s’est aussi vu reprocher d’avoir recopié mot pour mot une partie du dossier soumis par la firme américaine dans son expertise. Une centaine de pages seraient concernées, elles semblent être une copie de la demande de ré-autorisation déposée par le groupe américain en 2012. Il s’avère que les répercussions du rapport de cette agence européenne sont importantes, car c’est muni de cet avis que la Commission européenne a choisi de ne pas interdire l’herbicide. Le député européen Yoounous Omarejee a interpellé l'agence à ce sujet.

Le dernier scandale en date : les Monsanto Papers, dénoncent la falsification d’études scientifiques par la firme. Une enquête dévoilée en 2017 notamment par Le Monde, qui s'est appuyé sur des milliers de documents déclassifiés de la firme. Elle a notamment dévoilé que Monsanto avait rémunéré des scientifiques pour qu'ils signent, sans les avoir écrites ni validées, des études rédigées par ses employés vantant l'innocuité du glyphosate. Le procédé est d'autant plus scandaleux, que les agences publiques devant évaluer ces produits phytosanitaires s'appuient sur ces études scientifiques qui en apparence, ont l'air indépendantes de la firme. 

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